« Le territoire mahorais est durable et mérite qu’on s’y attache »

Au terme de trois jours de discussions et d’échanges intenses sur ce que sera la ville mahoraise de demain, l’Epfam (Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte) a clos le forum « Ville mahoraise durable », ce mercredi à midi. Beaucoup a été dit, beaucoup reste à faire, tous les participants ont salué l’organisation de cette manifestation qui a facilité les échanges entre différents acteurs locaux, régionaux et nationaux autour des notions, de villages anciens, intermédiaires et futurs.

A peine ce premier forum « Ville mahoraise durable » terminé, l‘Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam), organisateur de cet événement, promet de faire mieux pour la deuxième édition programmée dans dix-huit mois en début 2025. Cette journée du mercredi 4 octobre a été consacrée à la restitution des différents ateliers organisés durant les deux jours précédents. Ce sont donc exprimés des architectes, des chercheurs, des paysagistes, des urbanistes, des élus locaux, des hauts fonctionnaires d’administrations centrales parisiennes, des entrepreneurs, mais également des représentants de la société civile. Certains des participants ont insisté sur le fait que ce forum n’avait pas pour objet de donner des réponses immédiates aux différents problèmes soulevés mais qu’en revanche, « il offrait une méthodologie de travail sur le terrain, faire émerger des dynamiques de transformation auxquels Mayotte est soumise en ce moment ». Ainsi, Pascal Handschumacher préconise lui d’aller sur le terrain pour s’imprégner des réalités afin de pouvoir prendre le recul nécessaire à l’élaboration des actions à mener dans le futur pour relever les défis, gérer les risques et bâtir des trajectoires. Il met en exergue le fait qu’on ne cible pas assez les réactions en chaîne pouvant découler de l’érosion des sols dans notre département. Comme d’autres intervenants, il constate que Mayotte est un territoire pionnier dans la résilience et le développement durable. Il pose la question de savoir quelle forme donner à cette « ville mahoraise durable », doit-elle être une ville nouvelle entièrement conçue sur la base de paramètres modernes extérieurs à l’île ? Ou doit-elle être constituée de villes et villages à construire dans la prolongation de l’existant en faisant de l’habitat un enjeu mahorais ? « Cela revêt ici énormément de valeurs et ne s’arrête pas à la seule notion de logement. Comment faire de l’espace terre/mer un projet de réflexion, des champs d’exploration en se basant sur quatre notions : ressources, culture, cadre de vie et compétences ? » Il conclut son intervention sur un constat, la nécessité de faire de Mayotte un territoire pionnier, un lieu d’apprentissage et de formation permanente dans le secteur de l’habitat.

Retrouver la solidarité, le partage et le mutualisme

Autre intervention remarquée et applaudie, celle de l’urbaniste Hawa Timera (Urbanea). Elle lance le concept visant à parler davantage de territoires durables que de villes ou villages car il y a une interdépendance entre eux. « Il faut essayer de trouver des spécificités et des complémentarités entre eux pour éviter de tout concentrer sur Mamoudzou. » A cela, l’alternative selon elle consiste à favoriser les échanges en commun, un travail d’ensemble en vue de regrouper toutes les compétences existantes sur le territoire mais qui sont dispersées. En matière de culture, elle estime qu’il est urgent de retrouver dans les réflexes quotidiens des Mahorais les notions de solidarité, de partage et de mutualisation des moyens qui caractérise la société mahoraise traditionnelle. À l’adresse des élus du territoire, elle insiste sur l’importance de mutualiser les équipements sportifs et autres car selon elle, « l’acte de bâtir a forcément des impacts sur pas mal de choses ». En parallèle, Hawa Timera estime que Mayotte n’a pas le temps d’attendre la résultante des SAAR et autres PLU car elle doit avancer de front sur l’enseignement des problématiques qui se présentent quitte à se tromper parfois et à devoir corriger cette situation par la suite. Elle a insisté sur le besoin d’intégrer les populations locales dans la modernisation de l’espace et des mentalités qui l’accompagne. « Le territoire mahorais est durable et mérite qu’on s’y attache, s’en imprégner pour mieux le comprendre. Il ne tient qu’à nous tous ici présents de mettre chacun la main à la pâte pour avancer ensemble, dans une cohabitation visant à obtenir quelque chose de démonstrateur qui serait la part de Mayotte dans la France. » Dans ce besoin d’avancer frontalement sur tous les besoins et les défis qui se posent à Mayotte, Hawa Timera insiste sur le fait que ces urgences à relever ne signifient pas pour autant « construire du laid et du moche parce que nous nous inscrivons ici dans la durabilité ».  

La tradition et l’avant-gardisme

L’une des conclusions de ce forum est que l’urbanisme tout court doit être inclusif avec les Mahoraises et les Mahorais pour construire le Mayotte de demain. « Nous, les techniciens et experts, sommes là pour travailler à leurs côtés et grâce à une enquête comme notre Mayotte à moi, les populations se sont exprimées notamment les jeunes. L’échantillon utilisé dans cette enquête lancée l’année dernière compte un chiffre supérieur à la moitié des habitants interrogés, de jeunes âgés de moins de 17 ans. Les contributions les plus riches viendraient des établissements scolaires avec des enfants qui ont rêvé de leur île idéale, ont dit ce qu’ils désiraient, et je pense qu’il faut respecter leur désire et les faire participer à toutes les échelles au développement de ce territoire », rajoute l’architecte Ning Liu, qui accompagne le territoire depuis plusieurs années. Des conclusions des différents ateliers organisés à l’occasion de ce forum initié par l’Epfam, il ressort une information importante : les Mahorais aiment leur île. « Dans la presse nationale et internationale, on a souvent une image négative de Mayotte à cause de la violence et du manque d’eau notamment, ce qui est une réalité du territoire qui fait face à beaucoup de défis. Cette enquête nous a permis de découvrir et redécouvrir les qualités de l’île, notamment à travers le jardin mahorais qui est pratiqué depuis de nombreuses générations pour assurer l’autosuffisance alimentaire. On souhaite que Mayotte se dote de nouveaux équipements pour le sport et la modernité. Et là, on se heurte à une notion importante qui est sortie, à savoir, quelle est la modernité mahoraise désirée par les Mahorais eux-mêmes ? Dans cette définition de la modernité les Mahorais ont dit qu’il y a la tradition et aussi l’avant-gardisme. Cela veut dire que dans une philosophie visant à s’orienter vers le futur, ils considèrent que ces deux notions sont ensemble. »

Dans cette affirmation, Ning Liu se base sur la volonté exprimée des jeunes Mahorais pour que l’espace public soit plus accueillant, à la fois pour les grandes fêtes traditionnelles et les voulés qui occupent le haut de la page, mais également les activités scolaires, sports et loisirs, ainsi que l’accession au commerces modernes qui constituent Mayotte de demain. Pour elle, il n’y a pas de dichotomie entre tradition et modernité, au contraire, ces deux notions doivent se marier entre elles. « Je pense que dans le futur, au niveau de la conception de l’espace, les aménageurs, les urbanistes et les architectes en prennent note », a conclu l’architecte-urbaniste. Forte de sa connaissance du tissu social mahorais, elle plaide pour l’inclusion d’étudiants mahorais dans les écoles d’architecture et d’urbanisme, notamment à La Réunion où elle enseigne désormais.

Elle défend l’émergence de projets pilotes visibles d’ici deux ans avec la participation de la jeunesse mahoraise.

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