Les habitants de Petite-Terre ne supportent plus « le canal de la pestilence »

D’une saison à une autre, un surnom lui est attribué par les riverains. Tantôt « canal de la honte », tantôt « canal de la pestilence », le déversoir d’eaux usées de Labattoir, revient sur toutes les lèvres des habitants du quartier Pamandzi Kéli. À l’approche de la haute saison estivale, les usagers des plages environnantes s’interrogent sur l’impact de son contenu sur les eaux de baignade.

 

« Les hommes politiques peuvent être sans cœur. J’admets qu’ici à Oupi, résident plus d’étrangers que de Labattoiriens d’origine, mais quand même ! Nous restons des êtres humains et des coreligionnaires de ceux qui sont aux manettes de cette municipalité ». Le septuagénaire, qui dit se prénommer Ousséni, s’exprime avec un fort accent anjouanais. Il vient de réaliser sa troisième traversée de la journée du canal d’eaux usées qui limite le quartier de Pamandzi Kéli de la zone d’extension programmée du quartier appelé Oupi.

De l’aurore à la tombée de la nuit, il traverse plusieurs fois ce cours d’eau artificiel avant chaque appel du muezzin pour aller faire la prière dans la petite mosquée du quartier. Seulement voilà, il doit, contre son gré, tremper ses pieds et parfois mouiller son boubou dans une eau pestilentielle à la surface de laquelle se distingue bien des résidus d’excréments qui finiront dans la lagune voisine « Bahari titi » (la petite mer en Shimaoré).

« Ce n’est pas bien d’aller se prosterner devant Dieu et lui demander sa miséricorde en étant chaque fois souillé de la sorte. Ces personnes qui gouvernent cette ville ne craignent pas le créateur. Seul le pouvoir compte pour eux. Ils n’ont de la considération pour nous que lors des élections ». Et d’enchaîner sur la même lancée que les politiciens et politiciennes savent, en pareilles circonstances, se succéder dans toutes les chaumières de cet endroit délaissé de toutes politiques publiques, pour quémander le soutien direct ou indirect des résidents. « Ils se rappellent alors que nos enfants ou nos petits enfants ont le droit de vote ou qu’ils peuvent faire campagne pour eux. Ensuite, Oupi retombe dans l’oubli total, sujet à la délinquance juvénile, aux hordes de chiens errants. Les seules autorités qui nous fréquentent ici, ce sont les policiers de la PAF (Police aux frontières) et les CRS (comprendre les patrouilles de gendarmerie) dans leurs véhicules bleus qu’ils cherchent à remplir de clandestins ».

Déménager du quartier pour une meilleure santé

L’amertume exprimée par ce vieil homme est loin d’être un cas isolé dans le voisinage de ce qui convient de nommer « le canal de la honte ». En effet, les deux bords de ce cours d’eau nauséabonde sont habités par des familles excédées par l’insalubrité des lieux. Fatima, Bastoi, Assadi, et bien d’autres riverains n’ont pas de mots assez forts pour décrire les conditions de vie et d’hygiène qu’ils supportent chaque jour et depuis plusieurs années déjà.

Il convient de distinguer deux phénomènes dans cette affaire. Les eaux usées provenant de tous les coins de la ville de Labattoir drainées à cet endroit par quantité de caniveaux mais aussi, et surtout, les eaux issues de la station d’épuration positionnée au carrefour de Manga Magari, à côté du déversoir en amont. À certains moments de la journée et de l’année comme actuellement en pleine saison sèche, l’odeur dégagée par ce bouillon de culture à ciel ouvert devient insupportable pour les riverains du canal.

Les mieux lotis prennent l’avion et quittent le territoire pour respirer un air plus sain sous d’autres horizons. Ceux qui ne disposent pas des finances nécessaires à de telles pérégrinations n’ont d’autre choix que de supporter l’insupportable. À l’instar de Sandia, plusieurs mères de familles dans le voisinage font part de leur décision de déménager du quartier pour préserver leur santé et celle de leurs enfants. « Le problème c’est qu’il n’y a pas de logement disponible dans la ville, pas même dans les immeubles de la SIM à côté, à Marzoukou », se désole-t-elle, impuissante. « Au point où nous en sommes, j’envisage même de m’exiler en Grande-Terre, très loin de ce cauchemar », nous souffle Sandiya. « Sinon c’est la mort assurée qui nous attend dans un mois, lorsqu’il n’y aura aucune goutte d’eau qui coulera dans les caniveaux. Le mélange d’eaux sales et d’excréments va constituer une grosse flaque en aval et le soleil finira son œuvre de macération. Ça va devenir épouvantable, un nid à germes et épidémies assuré au final », fait-elle observer.

À chaque lâchée d’eaux usées provenant des immeubles Marzoukou en amont d’Oupi, les habitants des abords de ce canal de la pestilence voient rouge et balancent des propos peu aimables à l’adresse de la municipalité de Dzaoudzi-Labattoir. « Nous avons compris qu’ils ne feront rien pour nous et que nous ne figurons guère dans leurs préoccupations. Tout ce que nous demandons en urgence, c’est un pont métallique pour enjamber le canal et ne plus avoir à patauger dans cette eau dégueulasse. Cette demande nous la réitérons chaque année mais ils restent sourds à cette doléance, et les autorités sanitaires ne viennent pas non plus ici. Nous avons l’impression que les différents services se sont passé le mot pour fermer les yeux devant ce problème », avance Abdallah Ahmed, un autre résident du quartier Oupi.

Entre mutisme et embarras des élus locaux

Entre branches (charriés par la mer en période de marré haute) et troncs d’arbres que l’érosion des sols (sous l’effet des pluies diluviennes) fait renverser dans la zone centrale du canal, des enfants non scolarisés y trouvent un terrain de jeu idéal au dessus de ces eaux dangereuses, sous le regard indifférent des passants. Autre conséquence et non des moindres, la lagune de « Bahari titi », déversoir final de ces eaux, autrefois réputée comme un lieu de reproduction de certaines espèces marines (raies, dugongs, poissons, coquillages, oursins, crabes des palétuviers, etc…), est en contact direct et permanent avec la mer du côté de Dzaoudzi comme des Badamiers. Les plages de Four-à-Chaux, Faré et Badamiers seraient impactées. « Qui s’en soucie vraiment ? Personne ! Et surtout pas ces associations de défense de l’environnement qui ont fait stopper la construction de l’aéroport de l’autre côté à Pamandzi. Quand je pense que nos enfants s’adonnent aussi à certains sports nautiques dans les eaux de cette lagune, il y a de quoi perdre le nord dans tout ça », avance énervé Hamada Ali M, un habitant du quartier Racini qui longe « Bahari titi », juste avant Four-à-Chaux.

La gestion des eaux usées dans la commune de Dzaoudzi-Labattoir est « un serpent de mer » qui ne cesse de grandir d’année en année, au fur et à mesure que les équipes municipales se succèdent à l’Hôtel de Ville. L’extension progressive du réseau d’eaux usées dans une partie importante de la ville ne fait qu’empirer une situation déjà dramatique. Ces équipements s’avèrent sous-dimensionnés avant même qu’ils ne deviennent opérationnels. Il n’est pas rare de tomber sur des bouches de réseaux et autres regards débordants d’eaux nauséabondes. À l’heure actuelle, très peu d’usagers y ont accès alors même que la loi impose à tous les riverains du réseau de s’acquitter d’une taxe destinée à financer le traitement de ces eaux usées. Du côté des élus locaux, l’heure est au mutisme et à l’embarras, faute de disposer de moyens adéquats pour gérer ce sérieux problème de santé publique.

La réponse de l’Agence régionale de santé de Mayotte

Nous avons contacté l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte afin qu’elle puisse pour réagir sur ce phénomène d’insalubrité. Voici sa réponse. « La plage de Monaco fait l’objet d’un contrôle sanitaire régulier. Ce contrôle sanitaire, réalisé par l’ARS, permet au gestionnaire du site, à savoir la Mairie de Dzaoudzi, d’avoir des éléments objectifs quant aux mesures de gestion à mettre en œuvre pour préserver la santé des usagers.

Ce site a connu par le passé des épisodes de pollution dues à des contaminations par des déversements des matières fécales. Dans ce type de situation, l’ARS prend attache avec la mairie afin qu’un arrêté de fermeture temporaire de la baignade soit émis pour préserver les usagers. Une visite est ensuite organisée pour identifier les sources de pollution et prendre les mesures nécessaires. Enfin, une fois les mesures palliatives prises, un prélèvement de recontrôle est réalisé pour vérifier le retour de l’eau à une qualité conforme à la réglementation.

Concernant les actions mises en œuvre sur les derniers épisodes de pollution connus, je vous invite à vous rapprocher de la SMAA (société mahoraise de l’assainissement) afin d’avoir le détail des interventions réalisées.

Pour ce qui est de la situation actuelle sur ce site de baignade, les résultats du contrôle sanitaire ne révèlent pas de nouvelle pollution depuis plus de 12 mois, et les derniers prélèvements font état d’une eau de baignade de bonne qualité. 

Par ailleurs, aucun signalement n’est parvenu à l’ARS signalant une quelconque pollution de l’eau sur ce site de baignade. »

Journaliste politique & économique

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