Un différend oppose l’Auberge du Rond-point, restaurant emblématique de l’île, à la municipalité de Mamoudzou et aux propriétaires d’un bâtiment en construction adjacent au leur. L’affaire a été portée devant le tribunal administratif de Mamoudzou en fin d’année dernière. Les protagonistes attendent désormais le jugement du Conseil d’État, saisi par la défense.
A peine une heure avant le début du service, à 11h, les employés finissent de préparer les tables ; ils ajustent les nappes, alignent soigneusement les couverts, vérifient la propreté des verres. Dehors, ciel bleu et grand soleil, mais dans la salle règne davantage une atmosphère de début de soirée. « On est dans l’obscurité ! », constate amèrement Michel Dal Piaz, cuisinier et associé dans l’exploitation de l’Auberge du Rond-Point à Mamoudzou. Juché au-dessus de la route nationale, au croisement entre la rue du Commerce et la rue Mahabou, le restaurant était connu pour son panorama imprenable sur l’embarcadère de la barge, le lagon et la Petite-Terre. Désormais, à quelques dizaines de centimètres des tables placées en façade, un mur de parpaings gris – le troisième étage d’une construction nichée en contrebas – fait écran, entrave la vue et bloque une bonne partie de la lumière extérieure.
« Quand on a vu qu’ils démarraient les travaux, on n’a rien dit. Un étage, deux étages… on n’était pas surpris. Ici, les travaux d’agrandissement sont courants », raconte le cuisinier. « Mais quand ils ont attaqué le troisième étage, et que c’est arrivé à notre niveau, on a pris peur ! » Décontenancés, les restaurateurs se renseignent alors auprès de la mairie : un permis de construire a bien été délivré par l’ancienne municipalité en 2015, modifié en 2016 et prorogé en 2019. Par une requête du 29 septembre 2022, Anne-Marie Vautrin, gérante de l’Auberge du Rond-point, en demande la suspension. Elle soutient que ledit permis n’a jamais été affiché sur le terrain correctement. « Avec le panneau, on aurait pu voir le permis et être alertés par la hauteur prévue », déplore son associé. Au tribunal administratif de Mamoudzou, la défense avance que ce recours ne respecte pas le délai raisonnable prescrit par la loi et intervient trop tard. Le propriétaire* soutient que l’affichage a été continu et lisible pendant de nombreuses années.
Un mur à soixante-dix centimètres des tables
Le tribunal écarte les fins de non-recevoir opposés en défense, et par son ordonnance du 26 octobre 2022, somme l’arrêt des travaux sous 48 heures. Le chantier est au point mort, mais le mur est bel et bien là, à 70 centimètres des tables de l’auberge. Grâce à une clientèle fidèle, les restaurateurs ont su garder la tête hors de l’eau. « C’est surtout au niveau du standing qu’on a pris un coup. Les gens sont mécontents en voyant ça, et quelques-uns s’en vont… », regrette Michel Dal Piaz, qui a par exemple vu un banquet de 80 personnes annulé par cette vue gâchée.
Contestant la décision du tribunal administratif, « la ville de Mamoudzou a saisi un cabinet d’avocat pour faire appel devant le Conseil d’État de l’ordonnance décidant de la suspension de l’arrêté municipal accordant permis de construire. Le mémoire a été transmis le 10 novembre 2022. La Ville est en attente de la décision du Conseil d’État », rapporte la municipalité, précisant qu’elle « prendra les dispositions nécessaires pour répondre [de] la légalité de l’arrêté municipal accordant permis de construire ». De son côté, le propriétaire du bâtiment en construction aurait également formé un pourvoi en cassation. « On attend le résultat. S’il est en notre défaveur, on reportera plainte et on demandera la destruction de ce troisième étage », prévoit le restaurateur. « On ne peut pas nous emprisonner dans notre commerce comme ça ! »
*Contactée, la famille propriétaire du bâtiment n’a pas souhaité donner suite à notre sollicitation.