Très tôt lundi 27 septembre 2021, tractopelles et engins de chantier ont débuté la démolition de 350 habitations de fortune au lieu-dit Carobolé dans la commune de Koungou. Une opération prévue depuis plusieurs mois mais qui a une fois encore surpris une partie des habitants. Certains assistaient, impuissants et incrédules, à la démolition de leurs maisons.
Fumée, bris de verre et tôles froissées… Il ne reste bientôt plus rien de l’habitat illégal qui constituait le quartier de Carobolé. Assis sur un muret, à l’abri du soleil et des nuages de poussière, Soirez et ses copains contemplent ce paysage dévasté, la mine sombre. “Ça fait mal”, lance le lycéen d’une voix rauque. Ses copains du collège de Kawéni hochent la tête. Toute la bande est comme sur pause, sans autre activité ce jour-là que d’assister au spectacle funeste des tractopelles en action. En raison des barrages et de caillassages dans la commune, ils n’ont pas pu prendre les transports scolaires et se rendre à l’école. Avertis de l’opération il y a un mois de cela, ils avaient tous préparé leurs affaires à l’avance pour le grand départ. Reste aujourd’hui un sentiment d’incompréhension, teinté d’injustice. “Nous allons aller vivre chez des cousins à Koungou. Mais ce n’est pas normal qu’on casse nos maisons. Pourquoi font-ils ça ?”, interrogent-ils, l’air amer.
À la demande de la commune de Koungou, une nouvelle opération de destruction d’habitats illégaux a débuté lundi 27 septembre au lieu-dit Carobolé, sur la base d’un arrêté loi Elan publié le 21 juin dernier. Elle doit se prolonger sur plusieurs semaines. Au total, pas de moins de 350 habitations de fortune doivent être réduites à néant, d’après la préfecture, soit un peu plus que le rapport initial de la gendarmerie en juin, qui chiffrait environ 200 habitations.
955 destructions en 2021
La préfecture de Mayotte rappelle que ce nouveau décasage fait suite aux 955 destructions de logements illégaux, intervenues depuis le début de l’année 2021. “Permettre aux Mahorais d’habiter des logements dignes n’est pas négociable. Cet impératif suppose de construire et nécessite de détruire. La destruction des bidonvilles n’est pas humainement facile à faire, mais c’est une décision fondée par le droit, c’est une demande forte de la population mahoraise, c’est une exigence de sécurité publique, de salubrité et de dignité humaine. Cette politique publique doit se poursuivre”, affirme le préfet de Mayotte, Thierry Suquet. La municipalité promet pour sa part le lancement d’un important projet de construction de 500 logements sociaux, à la suite de cette intervention.
Par ailleurs, comme à chaque opération loi Elan, les occupants sont censés faire l’objet d’enquêtes sociales, effectuées par l’association pour la condition féminine et l’aide aux victimes (ACFAV), avec l’appui de la direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités. Ceux-ci se voient alors proposer des solutions d’hébergement temporaire. D’après les chiffres communiqués, 282 propositions auraient déjà été acceptées. En outre, le centre communal d’action sociale (CCAS) de Koungou, la Croix-Rouge Française, les associations ACFAV et Mlézi Maoré assureront l’accompagnement des personnes qui le souhaitent dans la recherche d’hébergement et de logement.
“La commune a promis de construire des logements sociaux”
Si la promesse d’une vie plus digne à l’issue de ces opérations est louable, elle peine encore à convaincre sur place. Plusieurs témoins interrogés déplorent ainsi la faiblesse et l’inadéquation des solutions proposées. “Nous vivons un moment très triste”, confie Asma*, dont la sœur habitait le quartier. “Une association leur a donné une maison pour quelques jours à Tsoundzou, mais c’est temporaire et loin pour que les enfants puissent se rendre à l’école”, expose la riveraine. Même constat chez Mohamed, qui regarde abasourdi les bulldozers détruire son logement. “C’est une vraie maison en dur, avec six pièces. Une partie appartient à mon ex-femme et l’autre devait revenir à ma fille qui se marie bientôt. Je ne sais pas comment nous allons faire”, se désole-t-il. Sur les lieux depuis 4h du matin, il assure avoir demandé à plusieurs reprises à récupérer ses outils, encore entre les murs, en vain. “Je ne sais pas où je vais habiter. Je vis dans ce quartier depuis 1990”, soupire-t-il. “Il n’y a pas de solution à ce problème. La commune a promis de construire des logements sociaux, je serais ravi de pouvoir y habiter, mais est-ce que ce sera vraiment possible ?”, lâche-t-il, fixant au loin le tas de gravas qui fut jadis sa maison. Las, mais sans colère.
Quatre interpellations pour menaces et caillassages
Tous n’ont pas sa philosophie. Ni son discours apaisé, qui dénote avec la tension du jour, particulièrement palpable entre les engins de chantier et les camions de gendarmerie. En marge de l’opération, quatre individus ont été interpellés et placés en garde à vue ce lundi pour des menaces et des caillassages, d’après la préfecture. Par ailleurs, “plus d’une vingtaine d’étrangers en situation irrégulière ont été interpellés lors de la première journée de décasage et reconduits à la frontière”, détaille le communiqué. Un climat tendu, qui n’est pas sans rappeler le précédent de la Jamaïque, où l’interpellation d’étrangers en situation irrégulière en amont des démolitions avaient provoqué une vague de violences inouïe.
* le prénom a été modifié