Ce mardi, les derniers occupants des parcelles visées par un arrêté de destruction loi Elan au quartier Cetam, en Petite-Terre, ont dû quitter les lieux. Parmi les décasés, la femme d’un propriétaire souffrant, et qui avait refusé l’intervention sur son terrain.
Il est loin le temps où toutes les caméras pouvaient gambader gaiement au milieu des tractopelles, main dans la main avec les équipes de la préfecture venues admirer le travail. Depuis l’opération de destruction de cases en tôle de Kahani, en novembre 2020, qui a lancé le top départ d’un calendrier rythmé de démolitions dites “loi Élan » à Mayotte, les choses ont en effet bien changé. Le souvenir tendu des violences à Koungou, peut-être ? Ou encore celui de Dzoumogné, en février dernier, quand la destruction illégale de la maison d’une famille propriétaire du terrain avait conduit le tribunal administratif de Mayotte à ordonner à la préfecture de reloger les victimes dans un délai de 48 heures et à défaut sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard…
Toujours est-il que ce mardi, en Petite-Terre, les gendarmes postés tout autour du quartier Cetam veillaient au grain. La consigne ? Refuser le passage à tout le monde – sauf exception dont Flash Infos n’a pas pu bénéficier : “Les médias ne sont pas autorisés, adressez-vous au service communication de la préfecture pour des informations.” Seule Mayotte la 1ère et Kwézi seront parvenues à grappiller cinq minutes d’images à une bonne distance de sécurité des habitants délogés, sous le regard vigilant des gendarmes. Il faut dire que l’opération du quartier Cetam a déjà fait couler un peu d’encre.
Le couac des propriétaires
Souvenons-nous : le premier arrêté préfectoral du 3 février avait malencontreusement intégré des terrains appartenant à des propriétaires privés. Certains d’entre eux avaient donc déposé une requête devant le tribunal administratif. Le temps que celui-là rende sa décision, le 30 mars dernier, la préfecture avait rapidement corrigé le tir en publiant un autre arrêté le 19 mars, avec un nouveau plan de la parcelle à la clé. Parsemé de trous, là où les propriétaires avaient refusé l’opération, donc. Mais la “détermination” du préfet Jean-François Colombet à raser les bangas du quartier Cetam restait “entière”, comme le rapportaient nos confrères de France Mayotte Matin vendredi dernier.
Ainsi soit-il ! Ce mardi matin, comme prévu, les bulldozers ont donc fait vrombir leurs moteurs au-dessus des tôles froissées, sur les parcelles encore en vert d’après le plan de l’arrêté préfectoral. Le hic ? C’est que l’un des propriétaires, un certain Monsieur T., hospitalisé en métropole, a refusé la démolition des cases sur son terrain, pourtant marqué en vert sur cette même carte. “Démolir les cases, je ne voulais pas en entendre parler ! Mais mon fils ne voulait pas que j’aie une autre femme et il est venu pour dire qu’il fallait quand même détruire”, hoquete-il au téléphone entre deux grosses quintes de toux.
Une affaire de famille
Deux courriers ont en effet été envoyés à la suite de l’arrêté préfectoral. Un premier, signé de la main de Monsieur T. en date du 8 mars informe le maire de Dzaoudzi-Labattoir de son refus de voir les cases de sa parcelle rasées. Un second, envoyé le 31 mars au préfet de Mayotte, annule la première missive et autorise “la démolition de casses (sic) en tôle”. “Mais en comparant les deux, il y a eu une falsification de la signature”, signale Maître Saïd Khaled, l’avocat du plaignant, qui assure en avoir informé la préfecture. Une requête en référé a par ailleurs été envoyée au tribunal administratif vendredi. “S’ils décident de démolir, ils feront comme à Dzoumogné où une famille a vu son banga démoli alors qu’ils sont propriétaires. C’est une politique du spectacle”, dénonce-t-il.
48 cases détruites à l’abri des regards
Un spectacle à huis clos tout du moins. “Les gendarmes sont venus vers 4h du matin, ils nous ont foutu à la porte ! Sans même nous laisser le temps de prendre nos affaires”, soupire l’un des décasés. “Il y a les cahiers et les cartables des enfants, qui ne sont pas même pas allés à l’école”, renchérit sa sœur. Regroupés sur le bord d’une route, ils sont une dizaine à attendre rageusement le départ des engins. Dans le petit groupe, la femme de Monsieur T. qui enchaîne les cigarettes comme pour évacuer le stress. “Les gendarmes, ils sont venus dire hier qu’ils allaient détruire, peu importe ce que disait l’avocat”, déplore cette mère de cinq enfants. “Ils mettent les gens dehors, ils proposent des hébergements pour 21 jours, mais après, on va aller où ?” Un discours qui résonne aussi chez sa voisine, Daoulati, commerçante sur le même terrain. “Ma boutique elle n’est pas clandestine, je paie 365 euros par mois pour mon prêt et en une après-midi, je dois débarrasser mon entreprise, ma vie ! On a récupéré ce qu’on pouvait”, souffle-t-elle.
En tout, 48 cases ont été détruites ce mardi, d’après la préfecture. 32 personnes ont accepté les propositions d’hébergement d’urgence, et 37 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en marge de l’opération. À noter que selon l’attestation de l’Acfav jointe à l’arrêté du 19 mars, 258 occupants avaient été enquêtés par les services de l’association d’aide aux victimes, dont 241 avaient accepté les solutions proposées. Quant aux propriétaires privés, le préfet de Mayotte a confirmé sa volonté de les traduire en justice pour “lutter contre ceux qui depuis de longues années tirent profit de l’habitat indigne”. Cette opération “répond également au cycle de violences de la fin du mois de janvier 2021 au cours duquel trois homicides ont été perpétrés, comme à l’agression au couteau d’un jeune laissé pour mort, début mars 2021”, précise par ailleurs le communiqué, en référence aux violents affrontements entre bandes rivales des quartiers Cétam et la Vigie. “Ils disent qu’ils luttent contre les délinquants, mais en France, quand il y a des crimes, est-ce qu’ils vont détruire les bâtiments ?”, s’énerve Daoulati. “Ce n’est pas la loi de la France. C’est la loi de Mayotte.”