Du 29 janvier au 7 février, l’association Les Ateliers internationaux de maîtrise d’œuvre urbaine de Cergy-Pontoise a réuni plusieurs acteurs mahorais afin de tenter de répondre aux enjeux fonciers, de croissance démographique, tout en tenant compte du changement climatique et en développant des filières créatrices d’emplois sur le territoire. Liu Ning, architecte-urbaniste et co-pilote de l’événement, dresse un bilan de ces échanges.
Flash Infos : Vous êtes à l’initiative des dix jours d’ateliers de maîtrise d’œuvre urbaine qui ont eu lieu à Mayotte début février. De quels constats êtes-vous partis pour animer les échanges ?
Liu Ning : D’abord, l’image de Mayotte est très mauvaise. Ça ne donne pas du tout d’espoir à la jeunesse alors que plus de 150.000 jeunes grandissent et ont besoin d’avenir. Pour construire un avenir désirable, il faut faire des efforts. Il y a des questions essentielles auxquelles on n’a pas de réponse aujourd’hui. Les coupures d’eau, notamment, impactent le rythme de vie des habitants. La gestion des déchets également. L’idée est de savoir comment on peut les valoriser, les trier, plutôt que de les enfouir. Et il y a un enjeu autour de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire afin d’être moins dépendant des importations.
F.I. : Quelles solutions avez-vous identifiées pour répondre à ces défis ?
L.N. : Le volume de précipitations est important sur le territoire. Mais plus il pleut, plus il y a de coupures d’eau. Alors que cette eau de pluie pourrait servir à se doucher ou à arroser les plantes, grâce à des retenues d’eau décentralisées et des citernes au niveau des habitations. L’eau est un sujet essentiel et il ne faut pas compter sur une deuxième usine de dessalement pour sauver l’île.
Pour l’agroalimentaire, les acteurs se sont questionnés sur la valeur du jardin mahorais, qui s’étend généralement sur une surface de 3.000 à 6.000 m², voire moins. Sur ces parcelles, on cultive jusqu’à six sortes de fruits et légumes. Alors que l’agriculture intensive se développe et que les monocultures de banane et de manioc appauvrissent les sols, il faut revenir à ce modèle ancestral. L’idée est également de se détacher des importations en élevant des volailles, par exemple, ce qui peut être facile à Mayotte.
F.I. : Concernant la construction de logements, que préconisez-vous ?
L.N. : Le logement doit être une des priorités de l’île. Et les emplois doivent s’articuler autour de cette opportunité. Il faut former la jeunesse et créer toute une chaîne. Il y a des opportunités foncières mais on manque de projets structurants. D’autant que le territoire a besoin d’actions tout de suite. Le schéma d’aménagement régional (SAR) estime qu’il faut construire 110.000 à 150.000 logements aux normes. Un chiffre astronomique. Cela passera donc par la résorption d’habitats insalubres (RHI) mais aussi par du foncier solidaire. Il faut en effet que la société civile s’empare du sujet. L’une des pistes est de favoriser la construction de logements chez les propriétaires de foncier, en leur offrant des aides pour l’utilisation de matériaux locaux et respectueux de l’environnement par exemple. Cela pourra faire naître de nouvelles pratiques mais également agrandir le marché de la location tout en augmentant le standing de l’offre.
F.I. : Vous avez également réfléchi à la question de la mobilité ?
L.N. : C’est un vrai sujet. Chaque année, 5.000 à 6.000 véhicules supplémentaires sont importés. Forcément, cela crée beaucoup de bouchons. Pour fluidifier le trafic, la multimodalité du transport est indispensable. Il faut développer les transports en commun, éviter les poids lourds dans le centre-ville de Mamoudzou et avoir des relais en termes de mobilité douce. Mayotte a un relief compliqué, mais des vélos électriques pourraient y être déployés. On peut également envisager des moyens de transport maritime. Il y a beaucoup de villages côtiers qui ont besoin de renforcer leurs relations avec le lagon.
F.I. : Vous estimez que Mayotte n’est pas assez tournée vers le lagon ?
L.N. : L’île doit être considérée comme un tout, on ne peut pas urbaniser sans considérer le lagon qui nous entoure. En matière de transport de marchandises, Mayotte a besoin d’échanger avec le monde, de s’ouvrir sur l’international et cela passe par la valorisation du port notamment. La relation entre la ville et le port, enclavé, est aussi en levier important. La jeunesse pourrait notamment participer à la redéfinition d’une identité portuaire. Mais on peut également travailler sur l’écotourisme, les loisirs, sans oublier l’aquaculture. Tous ces domaines sont indispensables pour gagner en attractivité et permettre à Mayotte d’avoir une meilleure image.