L’inflation des coûts de production a pénalisé le secteur du bâtiment, cette année. La société immobilière de Mayotte, qui s’est fixée un objectif de 500 à 600 logements mis en chantier par an, n’est pas en reste. Ahmed Ali Mondroha, directeur général de la SIM, fait le point sur le bilan 2022 et les perspectives du groupe CDC Habitat à Mayotte.
Flash Infos : Vous venez de publier votre bilan de l’année 2022. Quel regard portez-vous sur vos chiffres ?
Ahmed Ali Mondroha : On s’était fixé un objectif de 500 mises en chantier en 2022, mais c’était avant l’explosion des coûts de construction. On n’a pas eu assez de retours pour nos appels d’offres. Maintenant, 477, ça reste dans une moyenne importante dans un contexte de crise. En 2020, on avait réussi à faire 600 mises en chantier. En 2021, on était dans les mêmes proportions. 2022 a été donc un petit fléchissement. Notre objectif à moyen terme reste entre 500 et 600 par an. Pour les livraisons, on n’est pas encore à cette vitesse de croisière de 600 logements par an. En 2021, on était aux alentours de 400. En 2022, on est descendu à 200. Mais cette année, on devrait de nouveau dépasser les 400.
F.I. : Sur un plus long terme, on voit quand même une multiplication des projets.
A.A.M. : Depuis 2017 et notre entrée en tant qu’actionnaire dans le groupe CDC (Caisse des dépôts) Habitat, la SIM est vraiment rentrée dans une dynamique très importante de production avec d’autres moyens, que ce soient financiers ou d’organisation. Il y a toute la force de frappe du groupe. Avant, quand on arrivait à faire 100 logements à Mayotte, c’était une année exceptionnelle. Aujourd’hui, on parle de 500 logements dans l’année, ce n’est même plus un événement. On s’est fixé comme objectif ce chiffre pour les dix ans à venir. Et on arrivera. On est aujourd’hui à 100 millions d’euros d’investissements par an.
F.I. : En quoi la SIM a changé ces dernières années ?
A.A.M. : On souffre d’une image un peu négative. On perçoit le logement social comme le logement des plus démunis. Alors que si vous regardez les opérations comme la rue du Stade, à Cavani, on fait vraiment de la mixité sociale et de la mixité fonctionnelle. Il y a du logement social, du très social, du logement libre, une petite école privée maternelle, des commerces, des bureaux. Si vous allez du côté de Combani, on fait du logement social, mais également du non-social. On a livré, il y a à peine un mois, 70 logements intermédiaires, dans la résidence du Golf.
F.I. : Le logement social reste très attendu à Mayotte. Est-ce que vous pouvez chiffrer le nombre de personnes en attente ?
A.A.M. : Oui et non. Nous avons la base du SNE (système national d’enregistrement). A ce jour, on est à 2.800 demandes actives. Évidemment, la demande à Mayotte dépasse largement ce chiffre. Sauf que tout le monde ne fait pas une demande enregistrée. A Mayotte, on a plutôt le phénomène de l’offre qui gère la demande. Par exemple, on lance une opération dans une commune. Quand les gens voient ce qui va se faire, ils courent faire leur demande. Donc la base ne reflète pas la réalité de la demande. Il suffit de lever les yeux et voir tous ces bangas pour se rendre compte qu’il y a un besoin de loger les gens ici. Et il faut comprendre qu’il n’y a pas que le logement social. Il y a aussi d’autres besoins. Quand on voit le nombre de personnes qui veulent habiter à Mamoudzou pour des raisons diverses. Même si elles ne rentrent pas forcément dans la cible du logement social, on tente aussi d’y répondre. Autour du lycée Younousssa-Bamana par exemple, ce sont des logements SIM aussi, mais ce n’est du logement social. Aujourd’hui, on a 80% de logements sociaux, contre 20% de non sociaux. Ces derniers incluent les logements intermédiaires, les logements libres et les commerces.
F.I. : Dans votre bilan, vous annoncez un objectif de logements très sociaux. Quels sont leurs caractéristiques ?
A.A.M. : Dans les logements sociaux, il y a le locatif très social (LLTS), le locatif social (LLS) et le prêt locatif social (PLS), qui est la gamme un peu au-dessus. A Mayotte, la plupart des gens sont éligibles au premier. Mais ce qui les différencie, ce n’est pas le produit, plutôt le financement. On peut avoir le même type de logement pour les trois. Ce n’est pas du low cost ! Pour le LLTS, il y a simplement plus de financements de l’État, d’où des loyers moins élevés.
F.I. : Olivier Klein (N.D.L.R. ministre délégué de la Ville et du Logement jusqu’au 20 juillet) est venu deux fois à Mayotte et a promis d’aider le territoire dans la construction de logements. De quelle manière l’État vous aide justement ?
A.A.M. : L’État nous aide par l’intermédiaire de la LBU (Ligne budgétaire unique), c’est le socle du logement social. Elle ne cesse de croître ces dernières années. Quand on monte une opération de logement social, on demande une convention pour la LBU. On fait aussi une demande auprès de la Caisse des dépôts et on bénéficie de crédits d’impôts. Toutes ces aides de l’État, ça représente presque la totalité du financement. Nous avons aussi des réunions bilatérales avec la Dealm (direction de l’environnement, l’aménagement, du logement et de la mer) presque chaque mois.
F.I. : Au dernier conseil interministériel des Outre-mer, des promesses ont également été faites, notamment sur l’allégement des normes.
A.A.M. : On attend ça impatiemment. Sur les normes de construction par exemple, elles seront plus adaptées à notre environnement. J’ai vu aussi qu’on va pouvoir s’approvisionner en matériaux dans notre région. Pour prendre un exemple simple, si on peut acheter du bois à Madagascar, on gagnerait en temps.
F.I. : Est-ce que les entreprises du bâtiment arrivent à suivre ?
A.A.M. : C’est un autre aspect des complications. Dès que vous lancez des opérations à plus de quarante logements, il n’y a que les trois grandes entreprises du BTP (Vinci, Colas, GTA) qui peuvent répondre au marché. Alors que beaucoup de nos opérations sont de taille moyenne, on a des difficultés parce qu’il y a moins d’entreprises structurées. A l’heure actuelle, on a plus de 1.600 logements en construction, soient 35 chantiers.
F.I. : Quel est le délai moyen pour un chantier ?
A.A.M. : ça dépend de la taille de l’opération. A Mayotte, on est sur un territoire complexe. On construit plus lentement qu’ailleurs pour faire simple. Si on compare avec un chantier de deux ans à La Réunion, il faut six mois ou un an de plus ici. Il peut y avoir des problèmes d’approvisionnement, des retards liés aux bouchons. Il y a des paramètres qu’on ne peut pas maîtriser.
F.I. : Vous parlez souvent de logements neufs. Mais quand est-il de l’existant ?
A.A.M. : On fait aussi de la réhabilitation. Le logement locatif social reste récent pour nous, on en fait depuis 2011. Avant, c’était la fameuse case SIM, donc de l’accession pour les familles. Dans notre parc le plus ancien, on a dépensé l’année dernière trois millions d’euros. On a un plan qu’on actualise tous les ans en fonction des années de construction. On sait exactement quels bâtiments vont être retouchés l’année prochaine par exemple. On a un département qui ne s’occupe que de ça.
F.I. : On a l’impression que beaucoup de choses se font à Mamoudzou.
A.A.M. : C’est lié au marché de Mayotte. La moitié de notre patrimoine est sur la commune de Mamoudzou. Sur nos 2.700 logements annoncés, 1.500 y sont. Il y en a 700 en chantier aujourd’hui. 70% de notre demande est sur Mamoudzou, Koungou et Petite-Terre. On va aussi dans des secteurs où il y a de l’activité économique. A Dzoumogné et Chirongui, on a déjà des chantiers en cours. Et pour Combani, quand le deuxième hôpital sera fait, il y aura déjà des logements. On essaye toujours d’anticiper.
Romain Guille est un journaliste avec plus de 10 ans d'expérience dans le domaine, ayant travaillé pour plusieurs publications en France métropolitaine et à Mayotte comme L'Observateur, Mayotte Hebdo et Flash Infos, où il a acquis une expertise dans la production de contenu engageant et informatif pour une variété de publics.