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Les pêcheurs sont en train de structurer la filière via la création d’un comité de pêche à l’échelle de Mayotte.

Un comité spécifique pour représenter les pêcheurs et les aquaculteurs de Mayotte va voir le jour au plus tard en 2027. Représentés pour l’instant par l’actuelle chambre d’agriculture de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (Capam), ils souhaitent voler de leurs propres ailes.

Vent debout depuis plusieurs années, les responsables associatifs de la filière pêche et aquaculture de Mayotte cherchent à exister distinctement de leurs collègues agriculteurs. Ils se plaignent d’être sous représentés à l’intérieur de cette instance consulaire, et surtout, d’être défavorisés en cas de vote de budget ou projets les concernant. Ils font désormais la promotion d’un « comité de pêche » capable d’apporter plus de lisibilité à compter de l’année prochaine, grâce à un réel divorce qui ne pourra être programmé finalement qu’en 2027. Si ce souhait ainsi exprimé n’est pas nouveau, il l’est avec force depuis l’année dernière. Les réunions d’information en direction de membres de la profession se multiplient ces jours-ci. Après le terre-plein de M’tsapéré, jeudi 29 août, où ils ont été plus de 70 pêcheurs à avoir fait le déplacement, le bâton de pèlerin va se déplacer dans le nord de l’île, ce vendredi 6 septembre à 9 heures, dans les locaux de la communauté d’agglomération du Grand nord de Mayotte à Bouyouni. L’objectif recherché est obtenir un maximum d’adhésions de leurs collègues en vue de réussir une large mobilisation et donner corps à leur projet de comité de pêche dans un délai inférieur à trois ans.

Cette volonté d’indépendance se fait aussi en raison d’un mécontentement à l’encontre de la Capam (chambre d’agriculture de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte), les pêcheurs n’hésitant plus à étaler au grand jour leur envie d’exister pleinement et de voler de leurs propres ailes. Ils estiment que leurs intérêts n’étaient quasiment pas défendus par l’organisme, avec pour conséquence fâcheuse, le délaissement complet d’une filière pourtant indispensable dans la chaîne alimentaire sur le territoire. « Vous serez d’accord avec moi que c’est un paradoxe que d’avoir une île au milieu d’un océan très poissonneux mais dont les habitants souffrent de multiples pénuries de cette même ressource. Ça fait des années que cette aberration passe pour une normalité aux yeux des élus locaux tous niveaux confondus et des représentants de l’État », assène Madi Abdou, un pêcheur du sud de l’île. Il cite aussi l’exemple « des licences de pêche accordées régulièrement à navires espagnoles et portugais qui déciment chaque années nos fonds marins et nos ressources halieutiques. Tout cela pour quoi ? des cacahuètes qui ne finissent jamais dans l’assiette du contribuable mahorais. Et tout le monde trouve ça normal ! ».

Des jugements à Saint-Denis de La Réunion

Il rêve de voir l’un de ses fils reprendre enfin le flambeau, mais dans des conditions beaucoup plus favorables et des perspectives de long terme. Il explique que son grand-père et son père étaient pêcheurs et qu’iI a tenu à faire le déplacement sur le terre-plein de M’tsapéré, le 29 août, pour faire entendre sa voix. Selon Bacoco Lahadji, trésorier de l’association des pêcheurs de Mayotte, outre des techniciens, sont également invités à cette rencontre de Bouyouni, des représentants de la Deets (direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), le vice-président de la Capam, l’association de financements l’Adie, ainsi que l’ensemble des pêcheurs du nord de l’île. « Cette réunion est très importante pour notre profession. Elle nous permettra d’aborder des questions existentielles pour certains d’entre nous, tel que les procès intentés aux pêcheurs verbalisés en haute mer dans la zone exclusive de Mayotte. Les jugements se tiennent à Saint-Denis de La Réunion et nos collègues n’arrivent pas à s’y rendre pour faire valoir leurs droits en raison des frais trop importants de déplacement, d’avocat et d’hôtellerie. Ce n’est pas tout, il arrive fréquemment que la sanction s’accompagne d’une destruction des embarcations alors qu’ils ont été achetés avec des emprunts auprès de l’Adie. Dès lors, il leur est quasi impossible de se refaire faute d’avoir des ressources suivantes pour à la fois rembourser leurs prêts et acquérir un nouvel outil de travail », explique le trésorier.

Autres sujets qui devraient être abordés à cette occasion, les aides pour l’achat de nouveaux bateaux de pêche et d’équipements nécessaire préalables à leur armement, de même que pour le carburant. Il est également fait mention d’un fonds de compensation permettant d’atténuer le prix de vente du kilo de poisson. Les pêcheurs jugent trop lent son versement en raison d’un nombre élevé d’exigences qui l’accompagnent. Ils estiment que les services des Affaires maritimes ne s’impliquent pas assez pour les aider à structurer leur filière (notamment au travers d’un Groupement d’intérêt public) et qu’elles renvoient tout au conseil départemental de Mayotte avec le risque certain de saturation dans le traitement des dossiers. Président de l’association des pêcheurs de Petite-Terre, Abdoulkarim Saïd plaide pour une accélération du retrait de la section pêche et aquaculture de la Capam dans le respect des dispositions du code rural qui s’appliquent à Mayotte. Essayer de retarder cette échéance ne fera qu’aggraver les difficultés actuelles des pêcheurs mahorais selon lui. « A partir du moment où ils se montrent unis pour prendre leur destin en main, les pouvoirs publics se doivent d’accompagner cette démarche. Nous saluons par exemple, les 900.000 euros d’aide octroyés par l’État pour faciliter l’acquisition de matériel et pour la sécurité. C’est un grand soulagement pour certains d’entre nous qui vont pouvoir se mettre en conformité en vue de l’obtention de leurs permis de navigation lors des visites réglementaires. Cela peut paraître n’être qu’un détail pour le non averti, alors que pour nous ça coûte très cher », note -il.

Autre cap fixé, la création prochaine d’un syndicat fort pour représenter la profession auprès de toutes les instances locales, régionales et nationales.