Kani-Bé samedi, M’Tsahara mardi, les deux villages ont été ces derniers jours le théâtre d’en-traves aux secouristes venus porter assistance à des victimes probablement déposées par des kwassa en provenance des Comores. Du jamais vu pour le capitaine Indaroussi Saïd, chef du groupement territorial au Sdis de Mayotte, mais qui s’attend à ce que de tels événements se repro-duisent.
« C’est complètement nouveau d’être entravés de cette manière, nous avons l’habitude d’essuyer des jets de pierre comme partout, mais que des personnes se dressent pour nous empêcher de secourir des victimes, je n’avais jamais vu ça », lâche le capitaine Saïd du Service départemental d’incendie et de secours de Mayotte. Un événement inédit pour le pompier donc, mais qui s’est pourtant produit deux fois en l’espace de quelques jours.
D’abord à Kani-Bé, dans la commune de Kani-Kéli. « Nous avons été appelé samedi vers midi par les gendarmes pour porter secours à une personne sur la voie publique », se souvient le pompier. Devant « la situation très grave de la victime » qui présentait un fort trauma crânien ainsi que de multiples plaies, le Sdis dépêche une de ses ambulances sur place depuis la caserne de Chi-rongui. Les secouristes le savent, chaque minute compte pour espérer préserver la vie de la vic-time. Raison pour laquelle le Smur décide d’envoyer l’hélicoptère à sa disposition pour effectuer le transport du malade de la zone d’intervention jusqu’à l’hôpital de Mamoudzou.
« Nous avons fait les bilans sur place avec l’ambulance puis compte tenu de la gravité, nous avons vu avec le Smur pour que l’hélicoptère se pose au plus près pour gagner du temps », ra-conte le capitaine Saïd. Par voie terrestre comme aérienne, l’objectif est fixé : le plateau sportif de Kani-Kéli. Jusque là, tout est normal malgré l’urgence vitale.
Entravés alors que « chaque minute compte »
Puis les hommes embarquent à bord de l’ambulance qui transporte la victime. « Rapidement sur la route, nous avons été bloqués par des barricades de poubelles et de très nombreuses personnes, nous ne pouvions plus avancer ni accéder au plateau malgré la présence des gendarmes », té-moigne encore le capitaine Saïd. La raison de cette entrave ? Le blessé aurait probablement été déposé par un kwassa provenant des Comores voisines en vu d’être soigné sur le 101ème dépar-tement français. Des soins qui, selon les militants, viendraient se faire au détriment de ceux qui pourraient être prodigués à la population mahoraise. Des arguments que n’entend pas le pompier mais qui pour autant, ne peut forcer le passage pour déposer l’homme en danger de mort dans l’hélico du Smur. « Notre mission c’est de secourir, on n’est pas là pour se confronter à la popula-tion, ça ce n’est pas possible », appuie-t-il ainsi. C’est donc tout naturellement vers les gendarmes que se tournent les secouristes qui leur proposent ainsi de les escorter vers le stade de Chirongui en accord avec les équipes opérant par les airs. « Compte-tenu de la distance et de l’état de la route, cela nous a pris au moins dix minutes pour atteindre le stade », estime le capitaine Saïd. Un trajet pas comme les autres pour lequel les pompiers étaient certes escortés par les gendarmes, mais pas seulement. « Il y a plusieurs personnes qui nous ont suivi en voiture pour essayer de nous bloquer au stade », se remémore le gradé. La détermination dans l’entrave aux secours est solide mais ne suffira cependant pas, cette fois-ci, à empêcher l’évacuation sanitaire aérienne.
Mardi, il fallait se rendre à l’exact opposé de l’île, à M’tsahara, pour voir ce genre de scène à nou-veau. Les pompiers sont appelés pour venir au secours d’une personne blessée, sans doute dépo-sée sur la plage par un kwassa. L’état de la victime est moins grave, son pronostic vital n’est pas engagé. En revanche, la volonté des habitants de ne pas la voir secourue est toute aussi forte. « Nous avons dépêché une ambulance depuis la caserne d’Acoua puis en arrivant sur place, nous avons été bloqués en amont par la population », explique Indaroussi Saïd. Autre village, même ambiance. Des individus en masse blogue la route aux pompiers tant de leurs corps que de poubelles érigées en barrages. Le temps est moins compté, toutes les autorités, municipales en pre-mier lieu sont informées afin de trouver une solution. Les négociations aboutissent finalement et permettent au blessé d’être évacué vers le centre de Dzoumogné.
« Nous savions que ça allait se passer »
Des récits aussi inédits qu’incompréhensibles notamment pour l’ARS qui s’en est indignée. «La France ne tolère aucune discrimination dans l’accès aux soins », a-t-elle ainsi martelé dans un communiqué. Et pourtant… « Nous savions que ça allait se passer », lance le pompier. Pire, « On s’attend à ce que cela se reproduise dans les jours à venir, principalement dans les zones ur-baines », poursuit le capitaine Saïd. « Le contexte géopolitique, on le connaît et on voit bien com-ment communiquent ces derniers temps les associations qui montrent leur hostilité à l’immigration. Et pendant ce temps les kwassa n’arrêtent pas d’arriver alors ça renforce leur discours. Elles envi-sagent tous les moyens, on l’a bien vu, elles sont capables de nous suivre de Kani-Kéli à Chi-rongui et être encore là mardi à M’tsahara », analyse le pompier qui veut rester loin des considéra-tions politiques.
« Notre métier, c’est de secourir, point. La doctrine qui nous anime est de ne pas faire de distinc-tion en fonction de la nationalité ou quoi que ce soit d’autre, on porte secours quelque soit la per-sonne », soutient-il. Des valeurs solides donc, qui n’empêchent cependant pas une certaine in-quiétude. « Les dangers sont réels, on essaye de garder notre sang froid mais c’est dur car ces personnes sont très déterminées et on ne sait pas jusqu’où ça peut aller », déplore-t-il. Hors de question, dans ce contexte, de mettre ses hommes en péril et de « multiplier les victimes » en les envoyant au front. « Si ce n’est pas sécurisé, nous allons avoir du mal à intervenir et nous avons le droit de nous mettre en repli », explique encore le pompier avant de renvoyer tout le monde à ses responsabilités. « Il faut désormais la présence des forces de l’ordre, que nous établissions une stratégie avec elles dont c’est le métier d’assurer le maintien de l’ordre », considère-t-il, notant qu’aucune interpellation n’a eu lieu lors des deux événements. L’infraction est cependant passible de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. Quant à dialoguer avec les mili-tants, « ce n’est pas à nous de de le faire, ce n’est pas notre responsabilité mais les autorités doi-vent le faire ». Et éteindre le feu avant qu’il ne soit trop tard.
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