Retrouvez l’intégralité du classement des 30 personnalités les plus influentes de Mayotte dans le Mayotte Hebdo n°1026, paru ce vendredi 13 janvier. Ce mardi, voici l’interview et le portrait du quatrième du classement, le patron d’IBS, Théophane « Guito » Narayanin.
Mayotte Hebdo : Comment jugez-vous votre année 2022 ?
Théophane Narayanin : C’était une année difficile, durant laquelle on a galéré, entre les prix qui ont flambé, les retards de bateaux, le déficit de personnel car les gens ne veulent plus venir à Mayotte… On est dans une souffrance sociale que je n’ai jamais vécue, que ce soit à Madagascar, Maurice, La Réunion ou Paris.
M.H. : Vous déclarez vouloir agir contre la vie chère. Quels sont objectifs pour cette nouvelle année ?
T.N. : Il faut savoir qu’au niveau de l’État, même si on est moins chers, ils préfèrent les majors. Que ce soit pour le Lycée des métiers de Longoni, qui va revenir en appel d’offres, mais dont le marché avait été cédé à Colas, ou pour la Technopole de la CCI, qu’ils ont donné à Colas, ou pour le Caribus, qu’ils ont donné à Vinci. Donc nous ne sommes là que pour ramasser des miettes. Mais ce n’est pas grave, on se bat contre ça. Les multinationales sont en train de planter toutes les entreprises locales, de les reléguer à de la sous-traitance. La justice est responsable de cette situation, et les politiques sont aveugles, ne le voient pas venir, alors que je le ressens tellement bien, puisque c’est ma deuxième vie. On a vécu ça à La Réunion et on est en plein dedans sur Mayotte.
M.H. : Et s’il n’y a pas d’entreprises locales assez compétentes pour s’acquitter de ces marchés ?
T.N. : C’est le cas, parce qu’il n’y a pas de formation, parce qu’on n’arrive pas à embaucher… Si les Français ne veulent pas venir à Mayotte, laissez-nous faire entrer des étrangers ! C’est aussi simple que ça ! Comment un pays comme Maurice a pu réussir, alors que c’est aussi une île qui n’a pas assez de formation ? Ils ont fait entrer des Sud-Africains, des Anglais, et aujourd’hui ils sont au top ! Le niveau des entreprises locales est faible, bien sûr, mais qu’a fait l’Éducation nationale ? Où sont les centres de FPA [Formation professionnelle des adultes, NDLR], où sont les formations qualifiantes dans le domaine du BTP ? Zéro ! Et on se plaint que les artisans soient nuls. Bien sûr, mais on ne fait rien pour eux, on n’apporte pas les solutions !
M.H. : Vous jouez du côté « grande gueule » qui plaît aux gens. Ce profil est-il compatible avec un poste politique ?
T.N. : Je sais qu’on est adorés de la population, à un point tel que je suis harcelé en ce moment pour venir aux sénatoriales. Je n’ai pas dit mon dernier mot, parce qu’avec la députée qui va aux Nations Unies, qui veut vendre des Comoriens aux Marocains… Moi je ne fais pas dans le virtuel, et les gens ont bien compris qu’ils ont loupé une première chance. Si aujourd’hui, les grands électeurs viennent me voir, c’est qu’il y a une raison. Je suis une grande gueule mais surtout un faiseur : aujourd’hui on dit qu’on monte une compagnie régionale de bateaux, donc nous lançons le dossier, et on transportera des agrégats, du ciment, des containers, et on va faire tourner des popotes dans tout l’océan Indien. On sait de quoi en parle.
M.H. : Les élections sénatoriales se tiennent cette année. Êtes-vous candidat ?
T.N. : On réfléchit.
Une année riche en élections
Redoutable homme d’affaires, Théophane Narayanin a fait son irruption sur la scène politique mahoraise l’année passée, en se présentant aux élections législatives dans la circonscription nord de Mayotte, et parvenant même à se hisser au second tour parmi une dizaine de candidats. Son cheval de bataille ? La lutte contre la vie chère sur l’île, que le natif de Sainte-Suzanne, à La Réunion, a rejoint dans les années 1980 par opportunisme entrepreneurial. Depuis, « Guito » est tombé amoureux de l’île au lagon, qu’il s’acharne à développer de sa manière, en répondant à tous les appels d’offres et en continuant de monter bâtiments et affaires.
Du BTP à la politique, il n’y avait alors qu’un pas. Fort de son expérience sur l’île Bourbon, où il compte une quinzaine d’entreprises, il souhaite la formation des artisans locaux via l’expertise d’étrangers pour éviter que les grands groupes ne raflent la mise à chaque fois (voir entretien). S’il n’est évidemment pas désintéressé d’un point de vue personnel, ce combat pousse Théophane Narayanin à toujours se dépasser, cet ancien militaire étant déjà d’un naturel jusqu’au-boutiste.
Employant quelque 300 personnes chez Ingénierie béton système (IBS), le Réunionnais a su développer ses relations dans tous les secteurs de la vie quotidienne mahoraise, et notamment dans le nord de l’île, où il se présentait l’année dernière. Mais le « patron IBS », qui n’hésite pas à se montrer sur les panneaux publicitaires, a encore la défaite amère et n’en a pas fini. Au point de viser les prochaines sénatoriales ?