Avec deux séries-fictions et un documentaire, des messages sociaux qu’elle véhicule au travers de l’audiovisuel et beaucoup d’autres projets, Jacqueline Guez a de grandes ambitions et espoirs pour Mayotte. Réalisatrice, scénariste, féministe, mère, comme toutes les femmes, elle n’est pas que gérante d’une société. Rencontre avec celle qui ne cesse jamais de se battre pour ses idées.
Humble et sociable au premier abord, Jacqueline Guez est pourtant une vraie « superwoman », ne mâchant pas ses mots et n’ayant pas peur d’agir. Arrivée à Mayotte à l’âge de deux ans, la scénariste grandit à M’Gombani et fait toute sa scolarité, jusqu’au baccalauréat, sur l’île aux parfums. Comme beaucoup de jeunes Mahorais, elle part en métropole pour ses études supérieures. Après trois ans de droit privé et un master en ressources humaines, elle revient à Mayotte et occupe des postes de juriste ou de DRH. Une opportunité totalement opposée à ses études s’offre à elle, comme une évidence, dans la communication audiovisuelle. « Je trouvais que certains messages institutionnels, adressés aux Mahorais, ne tenaient pas compte des codes de la culture mahoraise. Étant d’ici, j’ai vu des campagnes de communication qui m’ont beaucoup choquée », déclare Jacqueline Guez devant le logo de son entreprise. Une vocation née seule, mais qui s’explique par son éducation : « Mes parents ont voulu me faire prendre conscience que je pouvais avoir confiance en moi et qu’il n’y a pas grand-chose dans ce monde que je ne pouvais pas faire si je me donnais à fond ».
Heureuse gérante de Clap Productions depuis 2015, Jacqueline joue son rôle avec passion. La réalisatrice veut que ses œuvres aient du sens, qu’elles ne soient pas uniquement du divertissement. Elle ne veut pas produire pour produire, mais faire passer des messages. « Toutes nos productions ont une vocation sociale, elles ont toutes pour but d’ouvrir un débat, de mettre en lumière une thématique, soit de sensibiliser ou prévenir. Ce n’est jamais totalement désintéressé, affirme la réalisatrice. Nous ne sommes pas les seuls à parler de ses sujets. On le fait juste avec un autre canal de diffusion. On veut faire passer des messages pour l’intérêt général. » Ayant plein d’autres projets en tête, elle explique que sa plus grande difficulté est de recevoir un accompagnement financier. « Pour cela, il faut réussir à convaincre les acteurs publics de mettre la lumière sur certains sujets. »
« J’aimerais rassurer sur le fait que c’est un vrai métier »
Jacqueline place beaucoup d’espoir sur la jeunesse mahoraise, défendant que « la jeunesse de ce territoire est certainement sa plus grande force ». La scénariste est à l’origine de la création d’une bourse d’études pour les étudiants qui feraient le choix d’aller dans la filière de l’audiovisuel après le baccalauréat, avec un suivi sur toute la longueur de leurs études universitaires. La bourse est de 1500 euros par an et par élève. Chaque année, quatre jeunes ont ainsi la chance de recevoir cet argent pour se lancer. Jacqueline Guez espère pouvoir construire une vraie filière autour de l’audiovisuel à Mayotte. Son objectif, pouvoir créer un vrai pôle de formation et, à l’avenir, avoir des techniciens de l’audiovisuel mahorais. « Aujourd’hui, deux jeunes bénéficient de cette bourse. Les parents ont souvent inquiets quand leurs enfants sont intéressés par la filière audiovisuelle. Pour certains parents, ce n’est que du divertissement. J’aimerais rassurer sur le fait que c’est un vrai métier. Il suffit de venir avec nous sur une journée de tournage ! Comment c’est possible que pour une vidéo de 15 ou 20 secondes, on passe 8 heures sur le plateau si ce n’est pas un vrai métier ? »
Outre l’objectif d’avoir de l’audiovisuel mahorais, elle souhaite créer de la représentation pour tous les enfants de l’île aux parfums, que ces derniers puissent « voir à la télévision des astronautes mahorais, un constructeur ou un ingénieur mahorais. Que les enfants voient des personnes qui viennent du même milieu qu’eux », assure Jacqueline. Elle espère inspirer la jeune génération à voir plus grand. Son rêve est de tendre vers des spécialisations, des ouvertures dans les métiers de l’audiovisuel, mais aussi de recevoir plus de financements, le jeu en valant la chandelle : « La filière audiovisuelle mahoraise, c’est tout un écosystème. Ça fait vivre les acteurs, les habilleurs, les maquilleurs, les restaurants qui nourrissent les acteurs. Il y aussi la location des lieux pour le tournage et des voitures pour les déplacements. Une production, c’est tout un écosystème économique ».
« Entre une idée et la sortie du projet il y a en moyenne trois ans, déplore Jacqueline Guez. J’aimerais que cette durée soit plus courte grâce au financement, puisque c’est ce qui ralentit le plus la mise en place d’un projet, pour pouvoir faire de plus en plus de projets. » Jamais à court d’idées, encore de nombreuses thématiques attendent d’être explorées. L’entrepreneuse voudrait ainsi aborder les questions du vivre-ensemble, de la jeunesse, des droits des femmes ou encore des relations intergénérationnelles.
Féministe engagée, beaucoup de ses productions abordent la place des femmes dans la société. Elle veut mettre en lumière les problèmes auxquels celles-ci font face dans la société mahoraise, particulièrement les violences sexuelles. Elle dénonce le fait que « c’est un sujet qui passe au troisième plan, après les photos touristiques de tortues et les femmes qui dansent du M’Biwi ». « La question du droit des femmes est éminemment importante à Mayotte, continue-t-elle. Quand je dis femmes, c’est femme âgée, jeune femme, fille et enfant. Il s’agit de plein de sujets qui s’amalgament. Les violences sexuelles faites aux femmes, par exemple, sont vrai tabou à Mayotte alors que le taux de violences sexuelles à Mayotte est deux fois supérieur au niveau national, c’est ahurissant et inquiétant. » Jacqueline Guez veut donc mettre le curseur sur ce qui n’est pas montré à propos de Mayotte. La réalisatrice veut mettre l’accent sur le fait que les femmes ont leur place dans le foyer familial, mais très peu dans l’espace public. « On nous a vendu le mythe de la société mahoraise matriarcale, qui sociologiquement, est faux. C’est une société matrilinéaire. Ma conception du monde, c’est qu’une société où la femme a toute sa place, c’est gagnant pour tout le monde », soutient-elle, espérant un jour voir ses semblables faire des choses pour elles et pas pour les autres, à cause d’une pression sociale. « Si une femme fait le choix de rester à la maison et d’élever les enfants, c’est un choix qui se respecte. Cependant, si ce choix est la conséquence d’une pression sociétale, ça commence à me poser problème », confirme la scénariste.
Colocs ! saison 2, en octobre
C’est ce que défend en partie la série « Colocs ! ». Un mélange de deux combats qui lui tiennent à cœur : jeunesse et féminisme. Programme scénarisé, écrit et réalisé par Jacqueline Guez, c’est la première série mahoraise à être diffusée en dehors de Mayotte, avec ses 14 épisodes, chacun traitant d’un sujet en rapport avec la place des femmes. Elle raconte l’histoire de quatre filles qui reviennent à Mayotte après leurs études, et qui se retrouvent confrontées aux mêmes problématiques que leurs mères avant elles : ne pas pouvoir quitter le domicile familial sans être mariées, ne pas pouvoir habiter seule et bien d’autres. « Elles veulent acquérir un statut d’autonomie, mais on les renvoie à leur statut de petite fille », explique la scénariste, ajoutant que malgré leur maturité acquise, les parents les voient toujours comme des enfants, ce qu’elle dénonce. « Ce retour à Mayotte il est hyper violent. Il y a comme une phase de cristallisation où les parents n’ont pas vu leurs enfants grandir. À 18 ans c’est encore des bébés qui ne savent pas trop qui ils sont. Mais quand elles reviennent à 27, ce ne sont plus les mêmes personnes, mais les parents gardent la même façon de les traiter », raconte la réalisatrice de la série. « J’ai choisi de raconter l’histoire de femmes à travers la jeune génération, continue-t-elle. Celle qui a pu partir de Mayotte, faire des études, a été longtemps à l’extérieur de Mayotte. » Elle veut sensibiliser avec cette série sur la situation que peuvent vivre certaines femmes qui ont recours au mariage pour pouvoir quitter le domicile familial. « Ce n’est plus un mariage, c’est un plan d’évasion ! On voit de plus en plus de femmes se marier, sans avoir réfléchi aux enjeux du mariage, sans forcément le vouloir uniquement pour avoir pouvoir partir de chez leurs parents », explique la productrice.
La série traite également d’autres thématiques, comme les relations parents-enfants, les violences sexuelles ou le harcèlement moral. « La prochaine saison abordera bien d’autres sujets sur la question du droit des femmes, le harcèlement au travail, l’infertilité, la place des relations dans le couple et plein d’autres sujets à vocation féministe », confie Jacqueline Guez, qui tourne d’ailleurs cette prochaine saison actuellement.
Ambition
« Montrer là où personne ne met jamais la lumière. » C’est ce que répond Jacqueline quand on lui parle de son documentaire « Chimik : la descente aux enfers. ». Ce documentaire plus sombre est né dans la tête de la réalisatrice quand elle a vu la drogue s’installer lentement à Mayotte, spectatrice d’enfants qui fouillaient dans les poubelles « complètement stones » devant son bureau. Comme toutes ses productions, il y a toujours une intention derrière : « J’ai voulu savoir ce qu’était cette drogue qui défonçait autant une certaine tranche de la population de ce territoire. Je voulais aussi savoir ce que les institutions mettaient en place pour remédier à tout ça ».
Le résultat de ce long-format : deux récompenses reçues à une année d’intervalle, pour lesquelles Jacqueline ressent beaucoup de gratitude. Humble, elle a au début cru à un mail spam lorsqu’elle a reçu la nomination pour le Top 100 des femmes les plus influentes d’Europe, dressé par Euclid Network. « J’ai cru que c’était faux et comme c’était en anglais, je me suis dit impossible ! Alors j’ai mis le mail dans la corbeille. Le soir même, j’en parle à mon mari qui le relit avec moi, il m’a fait me rendre compte que c’était vrai », se remémore-t-elle en riant. À l’échelle personnelle, c’est une très grande fierté pour elle : « J’ai accepté ces prix avec beaucoup d’humilité et de gratitude ». Cela ne fait que la motiver à continuer de « montrer ce que personne ne montre ». La réalisatrice ressent d’autre part une très grande satisfaction que son travail soit vu, reconnu et ait un impact.
Une carrière couronnée de succès et qui fait également la fierté de sa famille, en témoigne le sourire de Jacqueline lorsqu’elle parle de son mari. C’est lui, en effet, qui s’occupe de leur fils de six ans lorsqu’elle est en tournage ou dans l’avion, ce qui lui fait dire qu’elle ne pourrait pas faire autant de projets si elle n’était pas si bien accompagnée. « Mon premier moteur c’est mon mari, affirme-t-elle. Ça peut sonner très peu féministe d’ailleurs mais ça l’est. C’est mon premier soutien, mon premier fan et la première personne que je vais voir quand j’ai un problème. » À travers son soutien, elle trouve le moyen de vivre ses rêves et ses engagements, et de les partager avec tous les téléspectateurs y étant sensibles.