Au chapitre de la vie qu’est l’injonction à se relever, qu’importe le nombre de chutes, Abdillah Sousou est le narrateur. Champion de karaté à ses plus grandes heures, le désormais quarantenaire a créé sa marque de vêtements, Soussou Sportswear, et ne songe qu’à entreprendre sans relâche, décrochant contrats et partenariats à la faveur de sa volonté. De retour aux sources depuis quelques mois, le chef d’entreprise compte bien poser sa griffe sur Mayotte. Quitte à connaître des échecs, mais sans jamais rester à terre.
D’emblée, il ne faut pas le chercher sur son nom de famille, qui est aussi celui de sa marque. « Je ne comprends pas cette question. Mon nom, je ne l’ai pas choisi, comme ma couleur de peau« , lance Abdillah Sousou en tenant le regard. L’œil vif, la silhouette élancée, le quarantenaire a gardé du tatami sa volonté d’en découdre, qui le fait désormais avancer dans le domaine de l’entrepreneuriat. Rien ne le destinait pourtant à réussir de la sorte. Issu d’une famille modeste, avec « ni père riche, ni mère riche, ni école de commerce« , l’enfance d’Abdillah s’écrit bien vite sur le sol métropolitain lorsque son père se remarie. « À 7 ans, on vient et on te prend, on te ramène en métropole, témoigne-t-il. Tu es marqué au fer, quoi. On pense que c’est bien, mais non. J’ai plein de copains dans le même cas, et ils sont tous blessés. »
« Je ne pouvais devenir qu’un homme mauvais, ou fort »
Passé de la luxuriante végétation mahoraise à la grisaille de la banlieue nord parisienne, le jeune garçon est plus proche de l’épopée d’un Gavroche que des scénarios de films hollywoodiens. Ce sont pourtant ces derniers qui le font rêver : « J’ai voulu faire un sport de combat très tôt, en voyant des films générationnels, plutôt avec Jean-Claude Van Damme que Bruce Lee, qui n’est pas de ma génération. Je me suis tourné vers le karaté parce qu’il y en avait en bas de chez moi. » Cependant, à seulement 10 ans, son père le somme d’aller travailler. À l’époque, Abdillah fait donc de l’emballage – déballage sur les stands du marché aux puces de Saint-Ouen, à côté de Porte de Clignancourt. « Je venais tôt pour déballer la marchandise sur les stands, et je revenais le soir pour remballer, raconte-t-il. Ça existe. Ça m’a permis d’avoir un peu de kopecks et de payer mes premiers cours.
Le jeune homme obtient donc sa première licence de karaté à 13 ans, et se classe au niveau régional jusqu’à ses 16 ans, avant d’intégrer le Sporting International de Karaté Paris (SIK), « le plus grand club du monde à l’époque, très médiatisé par Chantal Jouanno, ex-ministre, avec qui je m’entraînais et que j’ai habillée à l’occasion de son championnat de France, sous Nicolas Sarkozy« . Entre-temps, le désormais majeur rentre à Mayotte, pour un moment qui restera gravé dans sa mémoire. « J’ai revu ma mère à 18 ans, donc forcément je ne pouvais devenir qu’un homme mauvais, ou fort, assène-t-il. Ma mère était jumelle. Je m’en rappellerai toujours, à l’aéroport, elles étaient deux, mais je savais qui était ma mère. Il n’y a pas de mots. »
« Merde (sic), c’est un mec du SIK »
Marqué par la vie, Abdillah Sousou se dit dès le départ que réussir est un devoir. Alors que l’actuel père d’un fils de 7 ans et demi et d’une fille de 3 ans accumule les participations aux championnats de France et d’Europe, une révélation le frappe lors d’un combat. « Au SIK, on était les seuls à avoir une tenue commune, explique l’entrepreneur. Le survêtement n’existait pas dans les arts martiaux. Un jour, je vais combattre contre une personne très forte, pour moi, parce que son frère venait de faire les championnats du monde. Mais je ne savais pas qui c’était, elle n’avait pas de survêtement. En montant sur le tatami, avec la tenue du club, il se dit « Merde, c’est un mec du SIK« . Il perd beaucoup de force psychologique, c’est important, Muhammad Ali jouait sur ça par exemple. Je le bats. Je pense être entrepreneur dans l’âme, et cette information me fait fonder Soussou Sportswear. »
Immédiatement, il dépose la marque en 2008, avec deux « S » pour la sonorité. Il travaille avec le SIK, ainsi que les clubs de Marseille et Colombes, grandes écuries de l’époque : « Je les habille tous gratuitement« . Constitué autoentrepreneur en 2010, il est contacté par la région de la Sarthe pour s’installer au Mans en 2015, avant de passer en SAS en 2017, avec un capital de 60 000 euros. Le jeune chef d’entreprise à deux modèles économiques : « Adidas et Nike, ce sont les meilleurs. Je me considère comme un équipementier français, c’est important. Il n’y en a aucun. »
Un vol présidentiel avec François Hollande
Début 2014. Abdillah Sousou est dans sa voiture quand il reçoit un appel. C’est l’équipe du président de la République, François Hollande. « Pourquoi moi ?« , se demande-t-il encore. Le Mahorais est en fait invité pour accompagner le président lors d’un voyage. « Nous avons dû passer un entretien à l’Elysée avec mon épouse, face au conseiller spécial outre-mer et Nathalie Ianetta, conseillère spéciale sport. » Seulement, le jour du départ supposé, le 24 juillet 2014, est aussi celui du terrible crash aérien d’un vol algérien au Mali, faisant 110 victimes dont 54 Français. « On ne part plus, le voyage est reprogrammé« , raconte Abdillah. C’est finalement du 19 au 23 août 2014 qu’il effectue un voyage présidentiel avec François Hollande, qui reste une grande inspiration. « Il disait que c’est en étant le plus discret qu’on est le plus efficace« , aime-t-il à répéter.
Peut-être est-ce à fréquenter un président de la République socialiste que le fondateur de Soussou Sportswear développe une fibre sociale. En 2019, il lance en effet une opération « vêtements solidaires« , consistant en un don de 200 vêtements à des sans-abris du Mans. Un an plus tard, il réitère l’opération, mais avec des « bonnets solidaires« . « C’est important quand on sait d’où je viens, affirme Abdillah Sousou. Les valeurs de la marque sont courage, respect, victoire, fierté. J’ai toujours donné et je donne toujours. L’argent ce n’est rien, c’est le projet qui est important. L’argent vient car le projet est important. »
Des amis ukrainiens, sportifs, partis à la guerre
Autre mesure progressiste appliquée par l’équipementier, l’utilisation de tissus recyclés à partir de bouteilles en plastique. « J’aimerais faire plus sur le volet écologique, mais le client cherche toujours son avantage financier, admet-il. Tout est possible, à Mayotte ce n’est pas le plastique qui manque ! Je l’ai fait avec le Maroc. C’est aux politiques publiques d’agir. » Avant son retour sur l’île au lagon, l’ancien karatéka a bien bourlingué, dans de nombreux pays du globe, dont… L’Ukraine. « Bien sûr que ça me fait quelque chose« , avoue-t-il au sujet de l’invasion russe. « Je suis sortie avec une Ukrainienne, je connais la place Maïdan [à Kiev, NDLR], j’ai des amis là-bas, sportifs ou pas, j’ai essayé d’y joindre des gens que je connais. Certains d’entre eux sont partis à la guerre. Et ce qu’ils ont fait, je ne vais pas te dire bêtement que j’aurais le courage de le faire. Je ne sais pas ce que je ferais. Mais moi, je savais qu’ils le feraient, parce qu’ils ont toujours connu ça. »
« À Mayotte ce n’est pas le plastique qui manque ! »
« Il n’a pas trouvé mieux que son lopin de terre« , chantait Francis Cabrel en 1977. « Après avoir fait le tour du monde, tout ce qu’on veut, c’est être à la maison« , rappait Orelsan en 2011. Ces leçons, Abdillah Sousou les assimile l’été dernier : « Je vais avoir 42 ans, et mes parents ont vraiment besoin de moi. Il n’y a pas que ça, il y a aussi la conjoncture. J’étais très bien au Mans, même si je voyageais beaucoup. J’ai aussi décidé de venir parce que je sais que je peux apporter des choses« . Alors, en août 2021, M. Sousou emmène femme et enfants sur l’île aux parfums. Si l’entrepreneur a un petit point de vente sur Dzoumogné, il cherche désespérément un local pour sa marque, les choses n’avançant pas assez rapidement pour cet homme qui veut tout, tout de suite. « Je suis un combattant, un fou, soutient-il. Il faut entreprendre, oser, être audacieux. Celui qui ne connaît pas d’échecs n’avance pas. »
L’équipe de France de karaté à Mayotte
Cette audace le pousse à aborder Thierry Suquet, le préfet de Mayotte, dans la rue, mais aussi à refuser de passer par son cabinet. « Ça lui a plu, il m’a donné ses coordonnées« , se réjouit-il. Le karatéka s’emploie alors à lui montrer des preuves de son implication à Mayotte, avec une vidéo de 2012 dans laquelle il entraîne quelque 170 enfants de Labattoir. « À l’époque, dit-il, nous avons fait l’interview d’un jeune garçon comorien lors de ce cours. Aujourd’hui, il est directeur, et je vais entreprendre avec lui. C’est une fierté. Je ne sais pas ce qu’ont fait les autres, mais lui je l’ai retrouvé« . Une histoire qui plait au délégué du gouvernement à Mayotte, et qui devrait valoir à Abdillah d’être l’un des chantres du développement de la pratique du karaté à Mayotte.
Mais l’essor de sa marque n’est jamais loin. Regorgeant de projets, dont certains sont encore indicibles, M. Sousou dessine actuellement les tenues du racing Club de Mamoudzou et du Comité d’athlétisme, ainsi que pour d’autres organismes. Du 20 au 22 mai, il organisera un événement avec Patricia Girard, multiple championne du monde et médaille de bronze aux JO de 1996 sur 100 mètres, et Nasrane Bacar, multiple championne de France sur 60 mètres. « J’ai toujours adoré les conférences« , avoue-t-il. Mais ce n’est pas tout : en juin, l’hyperactif équipementier fera venir à Mayotte Benoît Gomis, entraîneur NBA de l’élite du basket français telle que Rudy Gobert, Nicolas Batum, Frank Ntilikina ou Sekou Doumbouya. Enfin, en juillet, Abdillah organisera un stage de karaté avec l’équipe de France, ainsi que des rencontres avec les Comores et Madagascar. Une ambition qui n’a donc d’égale que son culot, sans limites.
Retrouvez ce portrait dans le numéro 998 de Mayotte Hebdo.