Pour le MEDEF Mayotte, principal syndicat patronal, il y avait urgence à renouer le dialogue avec les partenaires institutionnels de l’île face à l’absence de réponses aux problèmes nés du cyclone Chido. A bientôt cinq mois de cette catastrophe climatique, Fahardine Mohamed, son nouveau président, s’inquiète du cafouillage qui prévaut sur le territoire, du manque de transparence et d’orientations vers une relance économique tant attendue par les chefs d’entreprises. Suite à une première série de rencontre avec les autorités locales, suivie d’un communiqué à l’adresse des médias locaux, il livre ses impressions sur la « refondation » du territoire agitée par Paris.
Flash Infos : Le MEDEF Mayotte a publié un communiqué en fin de semaine dernière qui a surpris plus d’un, comment traduisez-vous son contenu ?
Fahardine Mohamed : Le MEDEF Mayotte a fait ce communiqué parce que le monde économique local s’est senti isolé, non écouté et non accompagné. Lorsque on regarde l’aide exceptionnelle avec un minimum de 1000 euros, de 20 % du chiffre d’affaires limité à 20.000 euros, face à un désastre d’une ampleur inconnue jusque-là en France, nous nous attendions à un signal fort de la part de l’Etat. Je rappelle ici que nous avions demandé une exonération des charges sociales et nous n’avions obtenu qu’une suspension jusqu’en juin, après on verra. C’est une autre incertitude ! Cette aide exceptionnelle qui n’intervient seulement qu’un mois et demie après un désastre économique ayant impacté tous les outils de travail et appareils de production, détruit les bâtiments, n’est absolument pas à la hauteur. En même temps, on a l’impression que la préfecture de Mayotte ou le gouvernement à Paris n’avait pas associé le monde économique. C’est pour cette raison qu’au MADEF Mayotte, nous avons souhaité rencontrer le préfet François-Xavier Bieuville, pour lui dire que sans une économie relancée sur ce territoire, c’est un territoire qui n’existerait pas, qui n’aurait pas d’issue ni d’orientation. Deuxièmement, malgré une telle aide qui ne répond pas aux attentes, nous sommes obligés de gérer le quotidien parce que nous avons des salariés en situation régulière qui se retrouvent, du jour au lendemain, dans l’irrégularité. C’est une autre précarité ! Il faut comprendre que nous, nous ne demandons pas une régularisation massive, mais nous constatons seulement que nous avons des salariés, des apprentis et des stagiaires dans les organismes de formation qui se retrouvent aujourd’hui en situation irrégulière.
F.I. : N’est-il pas étonnant que le MEDEF ait été si longtemps déconnecté des principaux décideurs locaux à un moment aussi crucial de la vie de Mayotte. Comment expliquez-vous aux Mahorais ?
F.M. : Le monde économique a toujours travaillé avec ses partenaires que sont les services de l’Etat, du département et les différentes collectivités pour construire un territoire. Nous avons besoin de se concerter, de dialoguer, de co-construire le territoire. Il faut admettre que 4 mois après le cyclone Chido, on ne voit pas une vraie relance économique, on ne voit pas les aides massives annoncées, on ne voit pas de concrétisation, on ne voit pas de reconduction d’aides exceptionnelles aussi minimes soient-elles. On a l’impression que le territoire n’est pas géré et qu’il y a pas mal de cafouillage. C’est pour cette raison que nous multiplions les rencontres avec les services de l’Etat, les élus, notamment les différents maires, leurs associations, pour leur dire qu’il est nécessaire de rester unis, de discuter pour pouvoir lever les freins, en sachant que nous avons tous besoin les uns des autres, besoin de transparence, besoin de clarté, d’orientations, de leviers pour instaurer une confiance afin que chaque acteur puisse agir. Le monde économique n’attend que cela.
F.I : La gestion de l’après Chido par les pouvoirs publics s’avère une véritable catastrophe, comment expliquez-vous une telle impréparation, une telle improvisation ?
F.M : C’est une question difficile dans la mesure où personne ne s’attendait à vivre un cyclone de la violence de Chido, nul ne pouvait l’imaginer et encore moins s’attendre à vivre une telle catastrophe. Alors, forcément, quand on a une telle force de la nature qui a dévasté tout le territoire sur sa route, réduit tout en cendres, touché le monde économique, la société civile dans son ensemble, les services des différentes collectivités et de l’Etat, directement ou indirectement, voir même psychologiquement, tous étions désemparés. On a senti un certain cafouillage sur le territoire, chacun essayant de s’en sortir seul. C’est pour cette raison, qu’à notre échelle il était important que nous rencontrions le préfet, lui dire qu’il est le garant de ce territoire, et que c’est à lui de créer les conditions pour relancer l’économie, c’est à lui d’être acteur en tous les cas pour agir sur les leviers qui permettront au monde économique de circuler librement, de s’approvisionner librement, d’aller exercer librement. Au regard de toutes les pénuries que l’île a connues, il était opportun de nous rencontrer, ce qui n’avait pas été fait depuis le passage du cyclone, contrairement à d’autres moments de crise.
F.I. : Est-il rationnel selon vous de prétendre reconstruire un territoire aussi dévasté en laissant de côté les principaux acteurs de son développement récent ? Quelle est la priorité du moment pour vous ?
F.M. : Nous entendons beaucoup de mots, la construction, la reconstruction, la refondation, etc …. A notre niveau, ce que nous voulons, c’est une vraie reprise de notre territoire, même si nous avons conscience qu’il est impossible de retrouver la vie normale que nous connaissions précédemment, quand bien même il y avait pas mal de problèmes avant le cyclone Chido. Il a juste révélé, mis en lumière toutes les difficultés que nous connaissions en tous les cas sur ce territoire. Que ce soient les problématiques de recrutement, d’attractivité pour travailler dans le secteur privé. Pour être clair, dans ce secteur privé, on recrute, on forme, mais les salariés ne restent pas longtemps. Ils sont débauchés par les services publics à cause de l’indexation qui les rendent plus attractifs. A défaut d’orientations fortes, d’une vraie relance économique, le secteur privé, on travaille un peu par-ci, par-là, cette année, l’année prochaine, on manque d’activité et de visibilité réelle, d’orientations réelles, et justement on se retrouve dans l’impossibilité de pouvoir assurer des conditions salariales de même niveau que dans le secteur public. Par conséquent, nous sommes en permanence dans une situation concurrentielle. Dans certains secteurs où la main d’œuvre étrangère est indispensable, ce n’est pas du jour au lendemain, à la seconde, que l’on peut retrouver des hommes et des femmes qualifiés pour continuer à travailler. C’est une véritable alerte que lance le monde économique par rapport à cette situation à laquelle il fait face tous les jours. J’entends qu’il y a beaucoup de problèmes, y compris de productivité, et nous n’attendons que cela pour pouvoir améliorer la situation face à la convergence sociale, face à beaucoup de paramètres qui nous attendent, d’où les mouvements sociaux enregistrés ici et là, qui affectent et impactent le monde économique mahorais.
F.I. : D’aucuns trouvent paradoxal que le MEDEF Mayotte réclame une régularisation des titres de séjours d’employés alors que les collectifs demandent au gouvernement un durcissement des conditions d’attribution de ces titres.
F.M. : Immigration, question délicate et sensible, question qui déstabilise tout le territoire. Je l’entends bien mais nous ne sommes pas là pour défendre ou demander la régularisation massive de sans-papiers. Je dis simplement, et c’est la réalité, actuellement dans le secteur du bâtiment, plus de 80 % des salariés, soit plus de 1600 personnes, sont issus de l’immigration. Donc, ne pas renouveler leurs titres de séjour mettrait en péril le développement du secteur du bâtiment. Une autre réalité à constater dans le secteur de la formation où 60 à 70 % des stagiaires en formation professionnelle financée par l’Etat et le département sont eux aussi issus de ce milieu. Mettre un coup d’arrêt du jour au lendemain c’est prononcer l’arrêt total de tous les centres de formation, de tous les CFA, qui embauche des apprentis parce qu’ils sont aussi concernés. Cela sonnera la cessation de toutes les activités à Mayotte. Rappelons qu’au niveau du chômage partiel déjà, nous comptabilisons déjà plus de 1.200 demandes d’entreprises, ce qui représente plus de 12.000 salariés en chômage partiel sur un effectif total de 25.000 salariés dans le secteur privé. C’est considérable ! Il y a donc forcément des entreprises en défaillance, en liquidation, des entreprises qui risquent tout simplement de disparaître. D’où l’alerte que lance le MEDEF Mayotte au sujet de la reconduction des aides exceptionnelles pour pouvoir arrêter cette hémorragie de défaillance, voire même de disparition d’entreprise dans un tissu économique local extrêmement fragilisé. Celui-ci embauche en moyenne 5 à 10 salariés. Ce sont eux qui sont les plus concernés. En attendons que ça pointe du doigt les grandes entreprises, les grands groupes, ce sont ces les TPE et les PME qui embauchent. Et aujourd’hui, elles sont toutes en difficultés, avec un grand risque de disparaître.
F.I. : Pourquoi a-t-il fallu tant de temps au MEDEF pour entamer un dialogue avec les autorités locales ?
F.M. : Face à une instabilité d’un territoire, face à des règles, des lois qui ne sont pas forcément appliquées, nous nous retrouvons tous en difficulté. Nous en tant que MDEF et monde économique, nous sommes preneurs de discussions, de concertations, de dialogue, avec nos partenaires, les différentes parties prenantes pour trouver une solution pérenne. Nous avons même proposé une sorte de guichet unique pour pouvoir gérer ce fléau. Nous faisons face une problématique d’insécurité sur le territoire qui nous pèse énormément dans notre gestion, nos préoccupations quotidiennes, pour ne pas à avoir à supporter en plus des problèmes administratifs, parce qu’on peut à tout moment se faire contrôler et risquer ainsi de ne pas pouvoir arriver à l’heure sur son lieu de travail, c’est une situation extrêmement difficile. Au MEDEF, nous demandons que ce territoire soit attractif, donc cela passe forcément par la mobilité interne, qu’elle soit maritime ou terrestre, avec des vraies routes, des vraies voies de contournement car l’embouteillage nous plombe énormément et n’encourage pas le développement de ce territoire. Pour développer un territoire, on a besoin de stabilité, de logements, de sécurité, d’une meilleure éducation.
F.I. : Quel est l’urgence des urgences pour vous au MEDEF Mayotte ?
F.M. : Nous attendons une vraie relance économique tous azimuts, pas de retouche de toitures ou de bâtiments, mais plutôt de vrais projets de bâtiments neufs. Lorsqu’on parle d’aéroport, de routes de contournement, de grandes infrastructures, des retenues collinaires, de grands projets à long terme. En parallèle, avant d’arriver au long terme, voir le moyen terme, il faudra déjà gérer le quotidien, le court terme, l’urgence. Et aujourd’hui, l’urgence c’est la reconduction des aides exceptionnelles. Dieu merci, la prolongation du dispositif de chômage partiel nous a été accordée. Cependant, nous avons également besoin que les assurances indemnisent les entreprises s’agissant de la garantie décennale. L’on découvre que beaucoup de propriétaires particuliers n’ont pas assuré leurs bâtis alors que les entreprises disposent de baux commerciaux. Se retrouver avec un défaut d’indemnisation par les assureurs au motif que les entreprises n’ont pas anticiper ce genre de catastrophe naturel au moyen d’une assurance tous risques chantier ou cyclonique, beaucoup d’entreprises se retrouvent en ce moment sans trésorerie, et le territoire devient une vraie catastrophe comparable à une entreprise en difficulté financière. Donc, on ne peut pas reconstruire le territoire, le risque est très fort qu’il puisse se reconstruire sans les acteurs présents aujourd’hui, faute pour eux de disposer de la trésorerie nécessaire pour faire face aux enjeux du moment. Il faut comprendre que les entreprises mahoraises vivent une véritable agonie préalable à une mort certaine. C’est un appel solennel que je lance en direction de tous les partenaires, les services de l’Etat et des collectivités locales pour les inviter à relancer l’économie de Mayotte, déployer les grands projets contenus dans divers schémas de développement, quelle que soit leur nature, avec pour seul leitmotiv de redonner confiance à ce territoire meurtri.