Vous revenez d’un séjour d’une semaine au programme chargé, où vous avez participé, entre autres, aux états généraux des présidents de Chambre de commerce. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Le premier temps fort de mon déplacement, le comité exécutif de l’Union des chambres de commerce de l’océan Indien, où nous avons fait le bilan du forum économique de Moroni, s’est bien passé. Nous avons évoqué le prochain, qui se tiendra à Mayotte au mois d’octobre. Nous avons également engagé un dialogue avec la COI (Commission de l’océan Indien) afin qu’elle reconnaisse Mayotte pour pouvoir organiser le forum dans les meilleures conditions. Ce n’est pas encore le cas, pourtant je suis vice-président de l’UCCIOI (Union des chambres de commerce de l’océan Indien), qui est le bras armé de la COI en matière économique. On essaye donc, petit à petit, et j’ai rencontré à ce sujet l’ambassadeur de la coopération régionale à Paris, afin d’obtenir la reconnaissance de Mayotte par la COI, ce qui nous permettrait également d’avoir accès à des budgets importants.

Au cours du comité permanent des présidents des Chambres d’Outremer, qui se réunit trois fois par an, deux fois à Paris et la dernière dans le territoire qui a la présidence, actuellement la Martinique – et normalement Mayotte l’an prochain si elle devient département – les sujets évoqués concernaient plus les Dom que les Tom et Com. Toutefois, les débats, notamment sur les modalités d’application des dispositifs de la Lopom, étaient très intéressants.

Et pour finir, la grand-messe des états généraux des CCI ! Nous étions plus de 4000. Tous les élus de toutes les Chambres de commerce étaient présents, comme beaucoup de chefs d’entreprises, mais aussi Christine Lagarde, François Fillon et Mme Parisot, avec beaucoup de débats sur l’économie en général.

De toutes ces rencontres, une chose me paraît très importante : le projet de réforme sur les Chambres de commerce. Actuellement, il existe environ 160 Chambres. Le gouvernement, dans le cadre de la RGPP (Réduction générale des politiques publiques), veut réduire leur nombre à 23, soit une par région, plus celle de Paris, avec, dans chaque région, des cellules territoriales qui dépendent de leur chambre régionale. La réforme a été adoptée à 63% par le vote nominatif des présidents de Chambre, et devrait être soumis au Parlement d’ici la fin de l’année.

Même si cette réforme ne concerne pas l’Outremer, elle va provoquer quelques bouleversements puisque nous allons demander à ce que chaque Chambre ultramarine soit désormais une chambre régionale à part entière. Dès lors il nous appartient d’être vigilants, car le plus important pour nous c’est surtout de garder notre indépendance par rapport à la Réunion, même si le risque d’être affilié est faible.

 

« Je reste persuadé que l’économie peut contribuer à l’apaisement du dialogue politique entre les îles »

 

Quelles sont les actions que vous avez menées à bien en 2008 ?

En ce qui concerne l’administration centrale, nous avons réalisé trois enquêtes qui nous ont pris beaucoup du temps. La première sur les doukas, les petits commerces, que nous avons scrupuleusement recensés sur toute l’île. L’enquête livre ses premiers résultats en ce moment et on se rend compte qu’il y a plus de 25% de ces commerçants qui opèrent en toute illégalité. Pas de patente, pas d’inscription au fichier consulaire. Plus du quart des activités recensées ne sont inscrites nulle part, et dans certaines communes la proportion est plus importante, comme à Mamoudzou. Cette étude va nous permettre d’une part de remettre à jour nos fichiers consulaires, et de l’autre d’inciter les gens qui ne sont pas inscrits à régulariser leur situation.

La deuxième, réalisée en collaboration avec le CDTM, concerne l’offre actuelle d’hébergement touristique à Mayotte. Les résultats et analyses seront communiqués lors d’une conférence de presse, probablement organisée d’ici la fin de l’année ou à la rentrée.

Et enfin, la dernière, aussi importante, mais dont tout le monde semble se désintéresser, sur les besoins et les attentes des entrepreneurs en matière de TIC (Technologies de l’information et de la communication). Début 2009, nous lancerons la dernière investigation concernant l’industrie et les services, de façon à avoir un fichier consulaire complet et structuré.

Il y a eu aussi, cette année, le forum économique de Moroni. Ça s’est relativement bien passé. J’ai été très sollicité par les chefs d’entreprises comoriens, tous prêts à travailler avec Mayotte, sans doute plus qu’avec les autres îles.

La présence à nos côtés de M. du Payrat, le secrétaire général de la préfecture chargé des affaires économiques et régionales a été une bonne chose, car ce forum prend de plus en plus d’importance au sein de l’océan Indien. Le prochain se déroulera à Mayotte. C’est un vrai challenge pour la CCI. A nous d’optimiser les huit mois de travail qui nous séparent d’octobre, afin d’offrir une prestation de rang pour les 300 personnes conviées.

 

Dans quelles mesures la CCI peut contribuer au développement des échanges économiques, initiés par le GTHN, entre les îles de l’archipel ?

On peut aller plus loin. Même si nous faisons déjà de gros efforts envers les Comores en matière d’économie, les entrepreneurs sont très demandeurs, mais il faut que la confiance s’installe, pour créer un climat propice à l’échange. Nous avons tout intérêt à cela, notamment en matière agricole. On vient d’en avoir un exemple récemment, avec la livraison de tomates, d’oignons et de pommes de terre en provenance d’Anjouan. Je reste persuadé que l’économie peut contribuer à l’apaisement du dialogue politique entre les îles, car les chefs d’entreprises comoriens se fichent que Mayotte soit française ou comorienne. Leur souci, c’est de voir les échanges se multiplier avec Mayotte et les pays de la zone.

 

« Il ne faut surtout pas que la Smart coule »

 

Peut-on connaître les orientations de la Chambre pour 2009 ?

Nous avons déjà entamé la première tranche des gros travaux de rénovation des bâtiments à Longoni cette année. 2009 verra la création d’une zone de vie, avec des restaurants, des parkings. Un aménagement nécessaire puisqu’aujourd’hui plus de 500 personnes travaillent au port. L’appel d’offres sera lancé la semaine prochaine. La pose d’une bascule, pour peser les conteneurs, évitera aussi la fraude. Récemment, un conteneur enregistré sous 15 tonnes a fait écrouler un stacker qui ne pouvait en soulever plus de 18 !

Et puis bien sûr, le nouveau quai. Pour le moment, c’est l’attente. Une étude vient d’être lancée par le conseil général pour savoir quelle serait la meilleure solution pour eux. Mais il ne faut pas perdre de vu que Longoni est un petit port, qui traite 500.000 tonnes par an. Il y a déjà un concessionnaire qui est la CCI. Je vois mal demain un petit port comme celui-ci où cohabiteraient deux concessionnaires, deux manutentionnaires, sans qu’un des deux ne coule ! Et il ne faut surtout pas que la Smart coule, car c’est un pilier de l’économie mahoraise. Ce serait vraiment une erreur de mettre un autre concessionnaire, d’autant que la concession de la CCI pour le premier quai cours jusqu’après 2020. De plus, pour exploiter le deuxième quai, il faut au minimum 10 millions d’euros d’investissements pour acquérir des grues mobiles, des terre plein, du matériel… Comme rien n’a été décidé, rien n’a été commandé, et cela restera comme ça au moins pendant un an et demi, le temps que la consultation se fasse et que le choix soit entériné. Nous allons donc perdre au moins un an d’exploitation du quai.

 

Le deuxième quai du port de Longoni est-il un argument suffisant pour attirer de nouveau les grandes compagnies ?

Les armateurs, depuis le 11 avril 2007, se sont entendus entre eux pour ne plus venir directement à Mayotte. Avant nous étions livrés sous 17 jours de mer, désormais c’est 30, 31 ou 35 jours de mer car les navires passent par Maurice. Cependant, très vite Port-Louis a été « surbooké », entraînant la multiplication des cargos qui patientent en rade avant de décharger. Certaines compagnies comme Delmas, une filiale de CMA-CGM, ont pris les devants en créant une nouvelle ligne, Mascareignes Express, avec un hub à Djibouti. Le premier navire arrivera le 19 décembre.

Cependant, pour Mayotte, cette nouvelle organisation ne change rien au niveau des délais. Les navires passent d’abord par Djibouti, puis de Djibouti ils vont aux Seychelles, ensuite à Maurice, la Réunion, Madagascar, Mayotte et enfin les Comores, mais les délais sont les même que depuis avril 2007.

Le problème qui se pose, c’est la difficulté pour les importateurs à gérer leurs stocks, compte tenu de la durée de mer. Désormais ils commandent plus, alors que très peu ont des capacités de stockage. Ils laissent leurs conteneurs au port et cela a un coût, qui se répercute à la consommation.

Alors oui, un deuxième quai est un argument important, dans le sens où deux navires peuvent être traités en même temps. Sans attente en rade, cela devient plus rentable pour les porte-conteneurs de passer directement par Longoni, même pour décharger 200 boites.

 

« L’Ecole de gestion et de commerce, ce serait un vecteur idéal pour donner envie aux Mahorais de créer leurs entreprises, ou au moins de rentrer dans le privé »

 

Pour rester dans le domaine maritime, où en est le projet de création d’une compagnie régionale ?

Je tiens à redire que c’est l’UCCIOI qui est à l’origine de ce projet, lors des débats du forum économique, il y a deux ans, à Maurice, lorsque les trois armateurs historiques qui desservent la région nous ont dit : « les îles ne nous intéressent plus, ce n’est par rentable. Il n’y a que deux ports intéressants pour nous dans l’océan Indien, c’est Durban et Singapour ».

Dès lors, nous avons décidé de lancer l’idée d’une compagnie maritime régionale, sur la base d’une étude financée par la COI et l’AFD. Cette décision a provoqué des réactions de la part de nombreuses compagnies qui manifestent leurs intérêts, malheureusement uniquement dans le discours, de se positionner. Par exemple la compagnie UAFL, qui dessert déjà Mayotte en amenant des voitures de la Réunion, m’a encore récemment sollicité. Il faut se souvenir que c’est une idée qui est née il y a déjà plus de 20 ans, mais au regard des divergences politiques des pays de la zone, un projet international ne me paraît pas réalisable. Et même si des compagnies semblent aujourd’hui être intéressées pour créer un réseau privé, cela prendra du temps.

 

Avez-vous des projets qui vous tiennent à cœur ?

L’Ecole de gestion et de commerce. Cela existe dans toutes les Chambres de commerce et d’industrie. C’est une formation pragmatique, niveau bac +3, où les étudiants acquièrent une expérience du monde professionnel grâce à l’alternance, à l’international comme à l’intérieur du pays. Ce serait un vecteur idéal pour donner envie aux Mahorais de créer leurs entreprises, ou au moins de rentrer dans le privé. Malheureusement, financièrement je ne peux pas. Tant que le code de la fiscalité ne s’appliquera pas à Mayotte, la CCI n’aura pas accès à une ressource essentielle pour toutes les Chambres : la TAPP, soit une partie de la taxe professionnelle.

A Mayotte nous avons une dotation du CG d’environ 1,2 million d’euros, uniquement pour l’administration centrale. C’est insuffisant, trop insuffisant, surtout après avoir étoffé les qualifications, recruté des compétences, vitales pour que la Chambre fonctionne.

J’ai aussi une chose qui me tient à cœur, mais il n’est pas dit que l’on ne le fasse pas, c’est la pépinière d’entreprises. J’en ai visité à la Réunion, en Métropole, à Tahiti, et là aussi il me semble que c’est une structure idéale pour lancer des entrepreneurs, car je le répète : il faut que les Mahorais créent des entreprises. Le fonctionnement est simple. Pendant deux ans les créateurs, de tous secteurs confondus, sont hébergés. On met à leur disposition tous les services nécessaires pour leur mettre le pied à l’étrier, et puis au bout de deux ans, quand l’entreprise a fait ses preuves, elle laisse la place à une autre. J’ai déposé un dossier. J’attends…

 

« Actuellement, les entreprises bénéficient, à part la loi de défiscalisation, d’aucun dispositif, seulement de quelques petites mesurettes »

 

Quel est votre sentiment quant à la mise à l’écart de Mayotte des nombreux dispositifs nationaux ou ultramarins, comme la loi pour le développement économique et l’excellence de l’Outremer ?

Mon plus grand regret, c’est que Mayotte ne soit pas une Rup (Région ultrapériphérique). Actuellement les entreprises bénéficient, à part la loi de défiscalisation, d’aucun dispositif, seulement de quelques petites mesurettes. Nous sommes le territoire ultramarin français le plus lésé. C’est pour ça que l’économie ne se développe pas à Mayotte. La législation est loin d’être attractive pour les investisseurs.

 

La CCIM est-elle toujours candidate à la gestion du nouveau marché de Mamoudzou ?

Nous avons effectivement déposé notre candidature, mais c’est au conseil général de trancher, la décision lui appartient. S’il veut le garder, la seule chose que je demande, c’est de me rendre les 510.000 euros de pertes creusées depuis 15 ans par le marché actuel dans mes comptes. Donc j’attends. L’Etat est attentif aussi, car il a assumé 8 millions d’euros de l’édifice. Apparemment il y aurait un problème avec l’architecte, mais c’est leur problème. Pas le mien. Une réunion est programmée début janvier. En tout cas, si cela doit traîner encore longtemps, je retirerais la candidature de la CCI.

Ce que nous voulons, c’est dynamiser ce marché. Alors évidemment, les loyers ne seront pas les mêmes. Actuellement, il est de 38€ par mois, il va passer à 150€, voire à 200 € par mois. De plus, il y a 380 commerçants pour 245 places. Donc il faudra replacer des commerçants ailleurs. Évidemment, des gens vont perdre leurs places, car pour le dynamiser, cela veut dire mettre en place des activités qui n’y sont pas. Pour le moment, vous avez 245 personnes – entre le bazar et le textile – qui achètent les mêmes produits, aux mêmes prix, aux mêmes endroits. Le plus souvent à Dubaï. Donc, aucun intérêt pour le client. Pour diversifier l’offre, il faudra installer un ou des boulangers, un fleuriste, un bijoutier, un traiteur, un cordonnier… la liste serait trop longue, mais nous recevons énormément de demandes.

Le directeur de la CCI, Ibrahim Aboubacar, était la semaine dernière à Venise sur un salon touristique réservé au marché des croisières. Est-il parti comme « messager de la dernière chance » en Italie, patrie du croisiériste Costa, que certaines personnes ont réussi à faire fuir cette année ?

En aucun cas Ibrahim Aboubacar s’est substitué au CDTM. Concernant Venise, il y avait deux places pour le CDTM et une réservée pour la CCI. j’étais à Paris, j’ai demandé à plusieurs élus, dont le président de la commission du port, de nous représenter, mais ils étaient tous retenus par leurs obligations professionnelles. Comme

 

« C’est lamentable. Lorsque vous avez 1500 personnes par semaine qui dépensent, ne serait-ce que 20 euros chacun, regardez de quoi on se prive par la faute de gens irresponsables »

 

M. Aboubacar est donc parti là bas, mais il m’a confié n’avoir eu aucun contact avec le groupe Costa, dont les représentants étaient très en colère. Et je les comprends complètement.

Avoir laissé passer ça, c’est scandaleux. Personne ne s’est occupé de ce dossier, à part le préfet qui s’en est ému et qui m’en a parlé, ainsi qu’au président du conseil général, en nous demandant si l’on pouvait faire quelque chose pour accueillir les touristes au port. Pour le moment, nous n’avons pas les structures nécessaires au port. Avec le second quai, nous les aurons. Et puis le croisiériste et le réceptif n’étaient pas emballés par cette solution. Mais on aurait pu trouver une solution. Moi je dis que c’est lamentable. Lorsque vous avez 1500 personnes par semaine qui dépensent, ne serait-ce que 20 euros chacun, regardez de quoi on se prive par la faute de gens irresponsables.

 

Vous avez récemment posé un ultimatum à l’Etat concernant le ponton de plaisance de Mamoudzou. Pouvez nous éclairer sur ce point ?

J’ai déposé il y a déjà 6 mois de cela, dans le cadre du Contrat de projets, un dossier à la préfecture, demandant une avance de 1,5 million d’euros sur les 3 millions destinés au renouvellement des deux pontons. Le dossier traîne depuis.

Il y a un mois, sous les coups de vents et la mer agitée, un catway et un bateau amarrés au ponton ont coulé. C’est moi le responsable de cette structure et j’ai peur que demain un accident plus grave se produise. Donc j’ai posé effectivement un ultimatum, en disant : « ou vous me donnez l’argent, et vite, ou je ferme le ponton ». Mais comme c’est un financement Etat-conseil général, il faut encore que l’Etat arrive à convaincre la Collectivité de trouver les fonds.

Entre temps, j’ai commandé un audit à un cabinet d’études et d’expertise, que j’aurai ce vendredi entre les mains. A la lumière des recommandations, si vraiment il y a un danger avéré, je prendrai instantanément la décision de fermer le ponton. Ce qui me gêne beaucoup dans cette histoire, c’est d’en arriver au point de bloquer l’activité de professionnels, comme les clubs de plongée et les opérateurs de ballades en mer. Je ne les ai pas encore prévenus, mais je le ferai à temps si je suis amené à prendre une telle décision. De toute façon, ces pontons seront obligés d’être fermés un jour ou l’autre pour effectuer les travaux.

Et puis il y aussi le problème du plan d’eau. C’est l’anarchie la plus complète. N’importe qui vient, pose son corps-mort et ne paye rien à personne en occupant le territoire public. Sur ce point, j’ai demandé une AOT (Autorisation d’occupation temporaire du domaine public) du plan d’eau. Ca fait deux ans que j’attends, sans réponse. Pourtant les plans ont été réalisés par la direction de l’Equipement pour réorganiser, optimiser ce plan d’eau. Encore une fois, l’avancement de nos projets est soumis à un aval administratif qui traîne. C’est usant.

 

Propos recueillis par François Macone


Budget 2008 de la CCI

  • CAF consolidé : 1.318.034 €
  • Résultat : 603.429 €
  • Charges : 5.941.297 €
  • Produits : 6.544.726 €