Le département de Mayotte demande une nouvelle dérogation afin de poursuivre la régularisation des professionnels de la pêche à Mayotte d’ici 2030. Conséquence directe de l’après cyclone Chido, le dossier prend des allures politiques. Les aides de l’Etat ne sont pas à la portée d’une majorité de pêcheurs, lesquels devront se contenter de l’enveloppe maximale de 50.000 euros proposée par le département à la fois aux filières pêche et agriculture.
En termes d’aides post cyclone Chido, les pêcheurs sont logés à la même enseigne que leurs collègues agriculteurs. Pour le moment, ils ne peuvent prétendre qu’à une enveloppe maximale de 50.000 euros proposée par le Conseil départemental de Mayotte, sous réserve de remplir les formalités nécessaires à partir de la plateforme conçue à cet effet par les services du département. Pour être précis, une source habilitée à la DRTM explique que « le dispositif devrait être opérationnel dans quelques jours seulement, des réglages techniques se sont avérés indispensables ». S’agissant du soutien de l’Etat, le flou artistique déploré par le monde économique mahorais dans son ensemble prévaut dans le secteur de la pêche également.
Très fortement impactée par le cyclone Chido (voir la quantité d’épaves de bateaux de pêche qui jonchent les fronts de mer en Grande comme en Petite-Terre), la filière pêche peine à se ressaisir et à repartir d’un bon pied. « Déjà que nous étions les parents pauvres de l’économie locale, les malmenés des services de l’Etat en mer, dans l’indifférence quasi générale des responsables politiques locaux parfaitement au courant des affres que nous subissons, voilà que Chido nous a tout enlevé et encore plus désunis que nous ne l’étions auparavant », explique Damir Mohamed Ali*, pêcheur dans le nord de l’île. Renseignements pris auprès des services de la Chambre d’Agriculture de la Pêche et de l’Aquaculture de Mayotte (CAPAM), les réunions successives avec les services de la préfecture tout comme le ballet de visites ministérielles ou le tout récent déplacement du Président de la République, Emmanuel Macron, à Mayotte n’ont permis de bouger sérieusement aucune ligne en faveur des pêcheurs mahorais. Si un dispositif de la Commission européenne a bien été annoncé par la ministre de l’Écologie, Agnès Pannier-Runacher, lors de sa visite à Mayotte la semaine dernière, pour financer le remplacement des embarcations des pêcheurs détruites par le cyclone, cette aide ne doit concerner que ceux ayant une activité déclarée.
130 pêcheurs recensés
S’il convient de constater l’existence d’une ligne d’aide au secours des pêcheurs locaux, il est à retenir que seulement 20 des 130 pêcheurs (officiellement recensés à ce jour) sont susceptibles de pouvoir en bénéficier. « Autant dire une gouttelette de pluie dans un océan », observe Riziki Abdillahi, pêcheur à Moutsamoudou, dans la commune de Bandrélé. Et de rajouter, « c’est toujours la même chose avec les pouvoirs publics, qu’ils soient locaux ou nationaux, notre profession attend autre chose, du concret, du palpable et de l’immédiat, et eux, ils se plaisent à nous compliquer la vie avec des procédures interminables, au bien fondé douteux pour nous, à croire que tout cela ne soit juste calibré pour nous empêcher de sortir la tête de l’eau et nous compliquer la vie ». Une certitude partagée par les services de la CAPAM comme de la DRTM au Conseil départemental, rares sont les pêcheurs mahorais qui pourront répondre positivement aux exigences des procédures mises en place par l’Etat pour aider les pêcheurs sinistrés. « Entre autres choses, il leur est demandé de retracer les quantités de poissons qu’ils ont pêché au cours de l’année dernière, notamment, ce qui relève de l’impossible pour une très large majorité d’entre eux et qui clos toute envie de se faire aider par l’Etat », nous confient deux techniciens au fait de ces détails techniques.
Autre certitude, du temps sera nécessaire à la filière pêche de Mayotte de pouvoir se relever après le désastre du cyclone Chido, tant la profession et l’organisation toute entière de la filière est sujette à d’innombrables conflits de personnes, particulièrement des batailles d’égos. C’est dans ce capharnaüm que les pêcheurs continuent de réclamer leur séparation des agriculteurs au sein de la CAPAM, « un vœu hautement partagé de part et d’autre », souffle Salim Al-Hamid, un élu proche de ce dossier au sein de la chambre consulaire. « Nos frères pêcheurs ne se rendent pas compte ô combien leur division, leur désorganisation et tout leur vacarme est très préjudiciable au fonctionnement et au développement de leur filière. Mais à ce stade, ça ne regarde qu’eux et seulement eux » ! Il est vrai que la valse des chaises musicales au niveau des portes drapeaux dans le monde des pêcheurs mahorais est une réalité, tout élément de toute nature est suffisant pour jeter l’opprobre sur la tête d’affiche du moment et la pousser sur une voie de garage sans pour autant avoir la carrure suffisante pour la remplacer à l’instant.
Une filière désorganisée
L’organisation n’est absolument pas le point fort de la filière, le ministère de tutelle est en attente d’un rapport provisoire sur la « Commission pêche » qui attend toujours d’être validé par les élus compétents. Et si l’ordonnance qui acte la séparation des professions pêche et agriculture à Mayotte a bien été prise à Paris, elle attend toujours d’être complétée par le décret d’application qui se fait « attendre comme sœur Anne ». Un début de délégation de compétences est néanmoins envisagé par les services de la CAPAM à partir de l’année prochaine, tout en estimant que la séparation entre les entités pêche et agriculture doit s’opérer progressivement pour être effective, en réalité, seulement en 2027 si le fameux décret d’application finit par être pris à Paris. D’ici là, un transfert de personnel devrait s’opérer courant 2026, et des formations diligentées auprès des élus concernés, de même qu’un président devra être désignés parmi les adhérents de deux associations de pêcheurs qui se distinguent dans la profession, comptabilisant pour l’heure 130 adhérents bien que dix pêcheurs seulement soient à jour de leurs obligations. Les services de la CAPAM estiment qu’une année et demie sera nécessaire au comité pêche pour se structurer et devenir opérationnel, si tant est qu’il bénéficie d’un accompagnement adéquat. A ce jour, onze dossiers de remise en état de la flotte ont été instruits en 2023 (dont quatre nouvelles embarcations déjà livrées), 22 dossiers déposés au titre de 2024, en cours de conventionnement au CDM, une commission étant convoquée le 9 mai 2025 pour examiner les dernières demandes en raison d’un temps mort imposé par les conséquences du cyclone Chido. La pêche mahoraise et ses débouchées sont devenus un enjeu hautement politique sur le territoire, au point qu’une demande de dérogation vient d’être déposée auprès des instances nationales pour que la régularisation actuelle du secteur puisse se prolonger jusqu’en 2030.
Journaliste politique & économique