Tribune libre : “Mais où est passé l’aide alimentaire à Mayotte ?”

Comme l’association des maires de Mayotte, la municipalité de M’tsangamouji s’offusque de l’article du Monde du samedi 15 février sur les témoignages évoquant des possibles détournements de l’aide alimentaire et de la distribution d’eau. Dans un communiqué, elle explique comment celle-ci s’est organisée dans sa commune et s’interroge sur les quantités de dons acheminées par l’État.

A la suite de l’article paru le 14 février dernier dans le journal Le Monde sur le détournement de l’aide alimentaire du cyclone Chido à Mayotte, la question demeure entière sur toutes les lèvres : Mais où est passé l’aide alimentaire ? Cette question légitime, la population, les élus, les techniciens, les associations locales se la pose depuis la première semaine, sans obtenir de réponse. Les agents communaux et les élus sont visés par l’article, non sans fondements, mais sans rentrer dans les détails et en mettant tout le monde dans le même sac. Des abus, il y a en a eu c’est une certitude, mais probablement des cas isolés. Ce qui est dangereux, c’est d’assimiler l’ensemble des communes à ces abus, tous les agents et élus, sur simple dénonciation d’habitants mécontents et sans preuves tangibles.

Cette problématique a surtout la vertu de mettre en lumière la demande justifiée de transparence, car au sommet de l’État, tout a été organisé pour que le système de l’aide alimentaire reste opaque. A M’tsangamouji, l’administration communale a rapidement compris que la faute serait rejetée sur les communes. Quatre jours après le passage du cyclone, l’État vient annoncer que l’aide alimentaire sera livrée la première semaine, en priorité pour les communes du Nord, les plus sinistrés. Mais où est passé cette aide alimentaire, alors que la première livraison d’eau est intervenue le 19 décembre 2024 avec à peine 200 packs d’eau pour 8.369 habitants et qu’aucune goutte d’eau ne coule dans les robinets depuis sept jours. Les vivres pour bébé sont arrivés quinze jours après le recensement pour les enfants de moins de 2 ans finalisé depuis la première semaine par les agents de la commune et du CCAS (N.D.L.R. centre communal d’action sociale). Et pour ce qui est des denrées alimentaires hors hébergement d’urgence, qui parviennent 17 jours après, bien que les routes aient été dégagées depuis le troisième jour ?

Les stocks d’urgence débloqués

La commune de M’tsangamouji n’a pas attendu l’aide alimentaire pour distribuer des packs d’eau en priorité aux personnes identifiées comme vulnérables recensées immédiatement après le cyclone : les foyers avec nourrisson ou enfant de moins de 2 ans, et les foyers avec personnes âgées ou en situation de handicap. « Grâce aux stocks d’urgence constitués pour répondre à la crise de l’eau, nous avons pu livrer des packs d’eau dans ces foyers, le nombre étant limité et insuffisant pour distribuer à l’ensemble. C’est pourquoi, nous avons élargi la distribution une fois l’arrivée de l’aide alimentaire », dixit Saïd Maanrifa Ibrahima, maire de la commune. Il faut prendre en compte que ces stocks d’urgence étaient également les seuls en possession des communes pour alimenter et ravitailler les bénévoles et agents mobilisé à la gestion de crises. C’est entre 70 à 100 personnes que nous avons dû alimenter pour assurer le déblaiement des voies, le nettoyage des rues, le recensement des besoins, la surveillance des hébergements d’urgences, etc. Il n’y a donc pas forcément eu de « détournement » de l’aide alimentaire comme expliqué mais des distributions organisées également pour les agents et équipes mobilisés. Tout comme l’État approvisionne les équipes de la sécurité civile et de l’armée, les mairies soutiennent les agents mobilisés. Les chiffres annoncés par l’État sont sans appel : au regard de la population recensée officiellement donc sans prendre un compte une partie encore inestimable de la population du territoire, 300 tonnes de denrées ont été débarquées, cela représente moins d’un kilogramme de vivres par personne au total, soit moins de 17g par personne et par jour ; 100.000 litres d’eau acheminés par jour, c’est moins de 40 cl par personne et par jour. Tout comme pour le nombre de morts, ces chiffres sont invérifiables pour l’aide alimentaire.

“Pas d’information fiable sur les dates et heures de livraison”

Du point de vue logistique, tout est opaque. Les livraisons sont aléatoires et diffèrent entre les annonces de la cellule logistique de l’État et les quantités réellement livrées, ce qui vaut des tensions entre administrations. « Il était impossible d’avoir des informations fiables sur les dates et heures de livraison et surtout sur leur contenu », précise le maire. A plusieurs reprises, les quantités livrées sont inférieures à celles annoncées sans explications possibles, et impossible d’avoir des bons de livraison dans les premières semaines, et ceux malgré des relances faites sur cette problématique auprès des services de la préfecture. Il est donc impossible de savoir si la quantité livrée est identique à celle sortie de la plateforme logistique. A M’tsangamouji, cela ne fait que quelques semaines que des bons de livraison arrivent avec les commandes car l’administration a refusé de réceptionner sans document, à la suite de rumeurs de détournement de matériel (bâches) dans une autre commune. Malgré les bons de livraison, le contrôle est impossible : le document indique le tonnage mais n’indique ni la qualité ni la quantité des articles livrés. « Nous n’avons pas de balance industrielle pour réaliser un contrôle à réception. »

Au niveau organisationnel, la consigne donnée par l’État est de réaliser des distributions de masse de l’aide alimentaire, sans conditions et sans vérifications pour tous les habitants, donc sans se soucier de leur degré de précarité. Cependant, la cellule logistique refuse de livrer l’aide alimentaire dans un quartier différent chaque jour, au plus proche de la population. La commune ne possédant pas les moyens matériels et humains pour distribuer les denrées dans chaque foyer, la distribution s’effectue sur le site de livraison et les habitants doivent se déplacer. A M’tsangamouji, les quantités par livraison permettent de couvrir une distribution pour 300 à 400 habitants, pour une population communale de 8.369 habitants recensée en 2021. En raison du manque de fiabilité des informations de livraison, il est impossible pour l’administration communale de communiquer au préalable sur les jours et horaires de distribution. Il est arrivé à plusieurs reprise que la livraison prévue n’arrive finalement pas sans autre explication. La majorité du temps, des habitants sont renseignés avant l’administration des livraisons, ce qui provoque des scènes ubuesques avec les agents qui sont accusés de mensonges et de rétention d’information. Les queues sur les sites de distribution se font en plein soleil, plusieurs heures avant les livraisons et sans confirmation de ces dernières, engendrant une grogne progressive de la population, d’autant plus que ce sont souvent les mêmes habitants qui en bénéficient : les mieux informés et les plus proches des sites de livraisons. Lors des distributions, ce sont quatre policiers municipaux et trois gendarmes qui sont mobilisés lorsque ces derniers arrivent à temps, car les informations dont ils disposent sont différentes, ce qui ne permet pas de garantir la sécurité en imposant des règles face à ces centaines d’habitants dans le besoin. L’administration communale interdit formellement aux agents communaux ainsi que les membres de leur foyer de bénéficier des distributions pour la population afin d’éviter l’anarchie et les absences au poste de travail, ainsi que pour réduire les tensions avec la population. En revanche, une fois par semaine environ, elle distribue un pack d’eau pour chaque agent en service lorsqu’il en reste suffisamment, et quelques denrées. La distribution est donc réalisée en comptant sur le sens du civisme de la population, mais la tension monte progressivement au fur et à mesure des jours. A tel point que mi-janvier, après un blocage d’une distribution par des habitants, le maire se trouve contraint de stopper les distributions car la sécurité des agents est compromise et le signale à l’État. A partir de là, la cellule logistique de l’Etat accepte de livrer l’aide alimentaire dans différents sites au plus proche de la population et la tension retombe. La majorité est silencieuse, pourtant les quantités sont insuffisantes pour couvrir les besoins primaires de la population, et ce sont souvent ceux qui n’en bénéficie pas qui se plaignent le moins. Les personnes issues de l’immigration clandestine ne sont pas sous-représentées dans les distributions à M’tsangamouji. La commune a également continué lorsque les quantités le rendait possible de livrer auprès des personnes vulnérables (Personnes âgées, handicapés et ayant un enfant de moins de 2 ans). Les difficultés pour avoir un recensement fiable le démontre, il est possible de ne pas avoir toutes les personnes vulnérables mais l’information ayant été communiqué de manière transparente, il n’y a pas de volonté de clientélisme.

Une commission d’enquête attendue

Comment distribuer l’aide alimentaire de manière optimale pour la population et pour la logistique ? La question se pose encore. Dernièrement à M’tsangamouji, face à la baisse des quantités livrées et dans une optique d’égalité, l’administration communale a pris le parti de distribuer les denrées uniquement dans les écoles, à chaque enfant. Une manière de toucher une majorité de foyers et toutes les classes sociales sans distinctions. Nous sommes conscients qu’aucune solution ne permettra l’égalité et l’accès à tous mais l’article à charge ne met pas en valeurs les efforts que les collectivités mettent en place. D’autres questions se posent : qui a décidé de la constitution des denrées de l’aide alimentaire ? En effet, le premier mois de livraison, les denrées sont constituées quasi-uniquement de packs d’eau, de farine et de sucre. Incompréhensible pour les habitants, qui ne mâchent pas leurs mots. Avec une connaissance rapide du territoire, pourquoi l’aide n’est pas simplement constituée d’eau, de riz et de boîtes de sardines ? Où sont le riz, les pâtes et les conserves données par nos concitoyens ? A qui ont-ils bénéficié ? Pourquoi la situation n’est pas revenue à la normale concernant l’eau et les vivres, plus de deux mois après le passage du cyclone ? Toutes ces interrogations demeurent et demeureront probablement sans réponses.

La commission d’enquête parlementaire demandée par le sénateur Said Omar Oili est attendue par la population, les techniciens et les élus. Elle permettra de faire la lumière sur la gestion de cette crise et surtout d’en tirer des enseignements. Il est dommage d’avoir ce travail fait par des journalistes alors que l’État a les moyens de faire ce contrôle pour la population. Si le ministre et le préfet s’interrogent, que les députés et sénateurs auditionnent les acteurs. Cette commission d’enquête doit avoir lieu pour apprendre des erreurs. Ne restons pas dans des suspicions dans une période où tout le monde que ce soit l’État, les collectivités, les associations, et les habitants ont fait face à des situations d’une extrême gravité. Cette commission d’enquête est un devoir pour les concitoyens au-delà de Mayotte qui ont donné pour la reconstruction de Mayotte. Ce débat sur l’aide alimentaire pose plus largement la question sur voulons-nous véritablement tirer enseignement de cette crise ou juste faire une chasse aux sorcières ?

La commune de M’tsangamouji

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