Présent en abondance sur l’archipel, le bambou pourrait être un matériau utile à sa reconstruction mais le développement d’une filière se heurte à des obstacles réglementaires et culturels.
Depuis le passage du cyclone Chido, l’entreprise Lilo Bambou installée à Mayotte est très sollicitée. “Nous avons reçu des commandes pour fabriquer 1.800 brises-soleils pour l’office de tourisme d’Hamouro”, illustre Louis Dossal, le co-gérant de l’entreprise, celle-ci récolte, traite et sèche le bambousa vulgaris, le bambou commun, l’espèce la présente à Mayotte.
“Il est très présent sur le territoire, à peu près 1% est couvert par des bouquets de bambou, donc la ressource est là et il faut l’exploiter», assure-t-il. L’entreprise construit actuellement l’atelier où sera stocké, traité et séché, il est situé sur une parcelle agricole aux abords de Coconi et a été attribué par l’Etablissement public du foncier et d’aménagement de Mayotte (EPFAM).Surnommé « l’acier vert », le bambou est un matériau très résistant à condition qu’il soit mis en place correctement. « Les essais mécaniques faits par l’Ecole supérieure d’ingénieurs Réunion Océan Indien sur le bambou commun ont montré une résistance mécanique extraordinaire », souligne Louis Dossal.
Mais les résistances à son utilisation dans l’architecture sont nombreuses. « En France, elle n’est pas encadrée, il n’y a aucune règle professionnelle, il est donc difficile d’assurer les bâtiments», explique Julien Beller, architecte installé à Mayotte. La direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf), un organisme de l’Etat, le considère de son côté comme une espèce invasive. Pour l’heure, ce sont donc essentiellement des modules secondaires qui sont fabriqués telles que des clôtures, des farés, des pares vues. Julien Beller a conçu le bâtiment de l’ancien tribunal de Mamoudzou – dont le toit a été emporté par Chido – avec une charpente en bambou. Pour cela, il a dû avoir recours à une Atex (une appréciation technique d’appréciation), une démarche administrative longue et coûteuse.
Face au bambou, le béton l’emporte
Pourtant, tous les acteurs qui ont recours au matériau à Mayotte sont unanimes, le développement d’une filière locale pourrait participer à la création d’une économie locale. Aujourd’hui, les matériaux de construction sont majoritairement importés, cela implique des coûts et des délais de livraison importants alors que la ressource est directement disponible sur le territoire. Avoir recours au bambou présent sur place est la conviction de Thibaut Fung Kwok Chine, architecte réunionnais qui vient régulièrement dispenser des formations autour de la construction avec le matériau au lycée agricole de Coconi. « A La Réunion, comme sur les autres insularités, toutes les constructions sont fabriquées avec des matériaux importés, cela induit une grande empreinte carbone, d’où la volonté de créer des filières locales qui participent au bienfait de la planète et au développement d’une économie locale ». Pour lui, Chido doit être « une leçon de vie pour que le territoire améliore sa capacité de résilience et développe son autonomie ».
L’utilisation de la fibre rencontre aussi d’importants freins culturels. « A Mayotte, il est perçu comme un matériau du passé, la modernité ici, c’est le béton. Le bambou est considéré comme léger car il n’est pas bien mis en place », regrette Julien Beller. Même si dans les mentalités, le béton a encore de beaux jours devant lui, celui-ci est bien décidé à continuer d’avoir recours à la ressource. L’un de ses prochains chantiers concernent des logements temporaires en bambou à Doujani (Mamoudzou) mis en place dans le cadre des opérations de résorption de l’habitat insalubres (RHI).
Journaliste à Mayotte Hebdo et à Flash Infos Mayotte depuis juin 2024. Société, éducation et politique sont mes sujets de prédilection. Le reste du temps, j’explore la magnifique nature de Mayotte.