Au premier jour de l’examen du projet de loi d’urgence en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ce lundi, le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, fait « une demande solennelle de réponses à la hauteur du rendez-vous historique».
« Mesdames et Messieurs les président(e)s,
C’est avec gravité et un sens de responsabilité élevé que je m’adresse à vous par cette présente, en qualité de maire de Mamoudzou, ville chef-lieu de Mayotte, et témoin privilégié d’une réalité humaine et sociale qui interpelle notre conscience collective.
Mayotte n’est pas seulement le plus GRAND BIDONVILLE de France et d’Europe; elle est aujourd’hui devenue, sous nos yeux impuissants, avec un nombre de décès cruellement sous-estimé, le plus GRAND CIMETIERE à ciel ouvert (N.D.L.R. la préfecture de Mayotte fait état d’une quarantaine de morts et des dizaines de disparus). Le 14 décembre 2024, le cyclone Chido a balayé notre territoire, arrachant des vies, pulvérisant des foyers et laissant derrière lui un paysage de désolation. Ce désastre climatique, par sa violence inouïe, a révélé dans toute leur cruauté les failles structurelles de notre territoire. Face à cette tragédie sans précédent et aux risques multiples de déstabilisation de la société, l’urgence est totale et pour ne plus jamais revivre cela, les Mahorais attendent des actes concrets, pas des promesses. Comme l’a dit Albert Einstein, « la folie, c’est de refaire toujours la même chose, et s’attendre à ce que les résultats soient différents ». Cette maxime résonne particulièrement ici. Nous ne pouvons plus nous contenter des mêmes solutions partielles et insuffisantes face à des défis d’une telle ampleur.
“Une opportunité unique”
Vous allez prochainement examiner le projet de loi d’urgence pour Mayotte. Ce texte doit être bien plus qu’une réponse législative à la crise sans précédent que nous traversons. lI est un rendez-vous avec l’Histoire, une opportunité unique de transformer durablement le territoire, une occasion de redonner espoir et dignité au peuple mahorais, à ses enfants et aux générations futures. lI doit réconforter Mayotte au cœur de La République, réparer l’errance du passé et prévenir les crises qui s’annoncent, notamment sanitaire. Or ce projet de texte né incomplet est certes un premier pas important, mais je le dis sans détours : il est loin d’être à la hauteur de nos besoins réels et urgents. Si nous voulons sauver des vies, (re)construire l’île, et offrir un avenir à la population, il faut inscrire dans ce projet de loi des mesures fortes. Vouloir « Mayotte debout », c’est rompre enfin avec des décennies de demi-mesures et oser des amendements ambitieux fondés sur des décisions politiques courageuses.
Aussi, au nom d’une île meurtrie mais pas vaincue, je vous communique les mesures essentielles que nous vous demandons d’intégrer au texte à l’occasion de son examen au Parlement :
1. Sécuriser les habitants et sauver des vies : une priorité absolue
Mayotte, déjà fragilisée, ne peut plus supporter l’insupportable. lI faut des mesures immédiates pour sécuriser les habitants : des abris solides, des infrastructures adaptées aux risques climatiques, et des moyens accrus pour les secours. L’urgence, c’est maintenant. Chaque retard coûte des vies.
2. Assurer un habitat digne pour une île debout
Comme le rappelle la motion adoptée par le conseil municipal de Mamoudzou le 23 décembre dernier, il est grand temps de sortir de l’illusion que les bidonvilles seraient des abris et d’ouvrir les yeux sur ce qu’ils sont en réalité : des pièges mortels. Laisser le cercle vicieux des reconstructions précaires se perpétuer serait CONDAMNER A MORT les milliers de familles qui s’y installeront. Ce projet de loi doit interdire strictement et surtout empêcher avec des moyens humains dédiés, leur reconstruction. L’État français a le devoir de ne pas rebâtir son 101eme département sur des fondations en tôles et d’engager un grand chantier pour des logements durables, adaptés au changement climatique.
3. Investir dans l’éducation, pierre angulaire de la reconstruction
À Mamoudzou, des milliers d’élèves n’ont plus de salle de classe. Si l’éducation est bel et bien l’avenir de Mayotte, alors cet avenir est aujourd’hui purement et simplement compromis. Nous demandons la mise en place d’un fonds d’urgence pour réhabiliter les écoles et en construire de nouvelles, ainsi qu’un soutien actif pour inventer des solutions temporaires, innovantes et efficaces. Un enfant sans école, c’est une République qui vacille.
4. Relancer une économie en ruines
Nos entreprises, déjà fragiles, ne peuvent se relever seules. Le texte doit inclure des dispositifs concrets pour alléger la dette et relancer l’activité économique. Sans cela, Mayotte risque de devenir un désert économique, au détriment de la résilience locale. Donnons à notre territoire les moyens de réussir et de s’affirmer dans notre zone sud de l’océan Indien où les enjeux géopolitiques hautement stratégiques sont nombreux et divers.
5. Favoriser une gouvernance locale ancrée dans le réel
L’établissement public chargé de la (re)construction doit inclure des élus locaux (les maires, les présidents des intercommunalités – en plus des conseillers départementaux) – et des représentants de la société civile mahoraise qui connaissent les besoins et les réalités du territoire. On ne reconstruit pas Mayotte depuis des bureaux parisiens. C’est sur le terrain, avec ceux qui vivent et travaillent ici que se bâtira une île debout.
6. Un cadre législatif clair et agile
L’efficacité et la simplification doivent primer sur la lourdeur administrative. Ce projet de loi doit inclure des dérogations pour accélérer les projets essentiels et permettre des réponses rapides et adaptées. L’heure n’est pas à la bureaucratie, mais à l’action.
7. Un soutien financier exceptionnel aux collectivités locales
Placées en première ligne au plus près des sinistrés, et devant elles-mêmes faire face aux nombreux dégâts causés par Chido, nos collectivités ont besoin d’être accompagnées par l’Étatsous la forme de dotations exceptionnelles afin de participer immédiatement à la (re)construction et à la (re)mise en l’état de nos territoires respectifs.
“Des moyens à la hauteur des attentes”
L’urgence est humaine, le courage est politique.Mesdames, Messieurs, vous avez entre vos mains un texte de loi qui peut changer le destin de Mayotte et contribuer à bâtir un nouvel avenir pour la République au-delà de l’Hexagone. Mais pour cela, il faut du courage, de l’audace, une ambition et des moyens à la hauteur des attentes.
Céder aux compromis tièdes, c’est laisser Mayotte sombrer et enfermer une partie de la République dans l’insoutenable. Oser des mesures d’envergure, c’est relever Mayotte et redonner de la dignité à sa population.
Mesdames et Messieurs les président(e)s, au moment d’engager le débat parlementaire, souvenez-vous que derrière chaque chiffre il y a des vies humaines et que derrière chaque décision, il y a des destins. Les regards de toute la population mahoraise, mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens, sont tournés vers vous. Nous
ne demandons pas l’impossible, encore moins un passe-droit. Nous exigeons l’essentiel : des toits pour s’abriter, des écoles pour apprendre, des lois pour protéger, une République pour vivre.
Soyez au rendez-vous de l’Histoire, transformez l’urgence en espoir, sauvez des vies, et devenez les bâtisseurs d’un avenir résilient et durable pour Mayotte et ses enfants. Car sauver Mayotte, c’est sauver la République.
Avec toute la solennité qu’exige cette heure, je vous adresse, Mesdames et Messieurs les président(e)s, l’expression de ma haute considération.”
Ambdilwahedou Soumaïla, maire de Mamoudzou
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.