« Ces jeunes se sentent délaissés, pourtant, ils ont des rêves, des envies »

Pour la deuxième année consécutive, l’association Clowns sans frontières organise une résidence artistique avec des adolescents de Mayotte. Des jeunes déscolarisés qui vivent dans la précarité et se croient condamnés à une vie sans avenir. A partir de ce dimanche et par sept fois, ils vont présenter le spectacle qu’ils ont créé sur tout le territoire. Reportage lors de la première journée du séjour.

A l’ombre d’un bâtiment dans la chaleur moite de ce vendredi après-midi, les jeunes se sont installés, les filles assises sur l’escalier d’un côté, les garçons de l’autre. Pour la première fois, les seize adolescents sont réunis et s’apprêtent à passer trois semaines ensemble à la villa Ravoy à Kani-Kéli, une demeure bordée de manguiers. « Vous venez de tout Mayotte, de villages différents, de quartiers différents. Ici, vous êtes tous frères et sœurs, c’est important. Ici, on repart à zéro, on est là pour construire quelque chose », commence Manon Daniel, cheffe de service prévention spécialisée aux Apprentis d’Auteuil.

Depuis le vendredi 8 novembre, ces huit filles et huit garçons de 13 à 18 ans, habitants de Dzoumogné, Petite-Terre et du grand Mamoudzou participent à une résidence artistique pour créer un spectacle qui mêle danse, musique et théâtre de rue. Tous ont en commun le fait d’être déscolarisés. Les raisons sont multiples, certains sont arrivés récemment à Mayotte, d’autres n’ont pas été admis au lycée et d’autres encore n’ont jamais été sur les bancs de l’école. Les éducateurs d’Apprentis d’Auteuil ou les médiateurs de Petite-Terre leur ont proposé de rejoindre le projet lors de maraudes.

Donner de la joie

Le but de cette résidence est de donner de la joie. « J’espère que vous sortirez de cette expérience en ayant grandi quelque part, en ayant gagné confiance en vous », glisse au groupe Margot Mc Laughlin, comédienne et responsable artistique du projet Clowns sans frontières à Mayotte. Elle porte celui-ci en compagnie de la comédienne Emmanuelle Bon et de Sev Rovel qui s’occupe de la logistique. La première heure est dédiée aux explications pratiques. Par moment, des rires s’échappent, le rire gêné des personnes qui ne se connaissent pas encore. La responsable artistique leur propose d’apprendre les prénoms des uns et des autres par un jeu, lancer un ballon à un camarade en lui disant son prénom. « Peu à peu, la timidité va sortir de cette salle », leur assure-t-elle.

A travers cette résidence, les participants découvrent un autre monde. Dans leur quotidien, ils vivent en situation de grande précarité. « Les filles sont à la maison, elles s’occupent des tâches ménagères et des enfants. Les garçons traînent dehors », explique Faïza Daoud, éducatrice de la prévention spécialisée aux Apprentis d’Auteuil. C’est le cas de Fouad Abou, 18 ans. Arrivé à Mayotte d’Anjouan il y a deux ans, il vit dans la pauvreté à Kawéni chez un ami. « La journée, je n’ai rien à faire. Je suis sur la route, je dois trouver de l’argent pour vivre. Je n’ai pas de papiers, je n’ai rien. Quand j’ouvre les yeux, je ne vois pas où je vais exactement », confie-t-il. N’Kavavo, 13 ans, passe de son côté une partie de ses journées « à cuisiner, à faire la vaisselle ». Arrivée à Mayotte seule début mai depuis Anjouan en kwassa-kwassa, elle vit chez sa tante. Elhad Houmadi, 17 ans, n’avait, pour sa part, pas les résultats nécessaires pour rejoindre le lycée. « Aujourd’hui, je m’ennuie beaucoup, je vois mes amis aller à l’école et pas moi », évoque celui qui est accompagné par Apprentis d’Auteuil et qui aimerait apprendre l’électricité.

« Des moments inoubliables »

« Ces jeunes se sentent délaissés, ils ont l’impression de ne pas avoir d’avenir. Pourtant, ils ont des rêves, des envies et veulent réussir leur vie », insiste Faïza Daoud. Ce vendredi, au fil des activités, le groupe se détend et les langues se délient. Kris Farhadine, la chorégraphe qui anime les cours de danse pendant le séjour, leur propose quinze minutes de danse. L’effet est magique. Immédiatement, les corps se lâchent, les visages s’illuminent. La session les a transformés.

A l’issue de cette première journée, la plupart ont l’air conquis. « Je pense que je vais passer des moments inoubliables », estime Fouad Abou. « Quand j’entends que ça va durer que quelques semaines, j’ai envie de pleurer », regrette déjà quant à elle N’Kavavo. Pari réussi pour ce premier jour pour Margot Mc Laughlin, « l’objectif de cette résidence, ce n’est pas le spectacle. Ça, c’est la cerise sur le gâteau. Le plus important pour moi, c’est par exemple, qu’une personne timide se sente mieux à la fin des trois semaines ».

Une coopération entre plusieurs acteurs

Cette résidence se déroule pour la deuxième année à Mayotte. A l’origine, les comédiens de l’association Clowns sans frontières se rendent dans des pays en guerre ou ayant subi une catastrophe naturelle pour jouer et divertir. « Même si c’est en France, nous nous sommes dit, nous ne pouvons pas oublier Mayotte, c’est le département le plus pauvre de France », rembobine Margot Mc Laughlin, la responsable artistique de la résidence. « Mais on ne se voyait pas présenter un spectacle fait par des blancs venus de métropole. » De là, naît l’idée d’associer les jeunes dans la création du spectacle et de l’organiser avec plusieurs acteurs. Cette résidence est donc coorganisée par Clowns sans frontières, les Apprentis d’Auteuil et la communauté de communes de Petite-Terre. Des artistes locaux y participent également, c’est le cas de Kris Fahardine, danseur, et de Maya Gana, musicienne. Le soutien de la société de transports Matis permet aussi d’amener la troupe dans l’ensemble de Mayotte pour les représentations.

Sept représentations en plein air

Les créations seront présentées au public gratuitement lors de sept représentations en plein air, réparties dans différents lieux de l’île : le dimanche 17 novembre à 15h, à Kani-Kéli, place du Sénat ; le mardi 19 novembre à 16h30, à Bandabroua, place du Remblais ; le mercredi 20 novembre à 13h, à Kawéni, autour de la MJC ; le jeudi 21 novembre à 15h, à Tsoundzou, sur la place publique ; le vendredi 22 novembre à l’Université de Mayotte à Dembéni à 11h30 ; le samedi 23 novembre à 11h, à Pamandzi, place des Congrès, et à 15h, à Labattoir, dans le jardin de la mairie.

Journaliste à Mayotte Hebdo et à Flash Infos Mayotte depuis juin 2024. Société, éducation et politique sont mes sujets de prédilection. Le reste du temps, j’explore la magnifique nature de Mayotte.

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