Président du groupe Droite républicaine à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez dit suivre régulièrement l’actualité mahoraise. Comme d’autres personnalités de la droite, celui qui est un candidat probable pour l’élection présidentielle de 2027 est favorable à la suppression du droit du sol à Mayotte et à une position plus ferme envers les Comores. Interview.
F.I. : Au cours de sa rentrée politique, le président Les Républicains du Département de Mayotte, Ben Issa Ousseni, estimait qu’un gouvernement formé de plusieurs figures Les Républicains était « une chance pour Mayotte ». Êtes-vous du même avis ?
Laurent Wauquiez : D’abord, la première chose, c’est qu’à chaque fois que Mayotte a progressé, c’est avec la droite républicaine. En 1974, Michel Debré a défendu le rattachement à la France. C’est Jacques Chirac qui a été le premier président de la République à venir à Mayotte (N.D.L.R. en 2001). C’est Nicolas Sarkozy qui a porté la départementalisation et la Rupéisation (N.D.L.R. Mayotte est devenue une région ultrapériphérique de l’Union européenne en 2014). Et si on est honnête, la situation n’a cessé de se dégrader avec François Hollande d’abord, puis avec Emmanuel Macron. Ce lien entre Mayotte et ma famille politique est pour moi fondamental. Je suis venu à Mayotte, je connais bien la situation là-bas, je suis en lien avec les élus. La responsabilité de la droite républicaine, c’est de défendre Mayotte. C’est donc aujourd’hui une chance d’avoir des postes de ministres de l’Intérieur (Bruno Retailleau), de l’Outremer (François-Noël Buffet) ou de Premier ministre (Michel Barnier) tenus par la droite républicaine qui a toujours défendu Mayotte.
F.I. : Deux préoccupations demeurent à Mayotte, l’insécurité et l’immigration clandestine. De quelle manière souhaitez-vous lutter contre ces problématiques ?
L.W. : D’abord, il faut le dire, parce que les habitants de métropole ne mesurent pas ce que vivent les Mahorais et les habitants de Mayotte. Ils ont juste le droit à la sécurité et à la protection contre l’immigration illégale. On a des caillassages de bus scolaires, des forces de l’ordre qui sont attaquées, des médecins qui sont attaqués. La réalité, c’est qu’on a un territoire complètement déstabilisé par l’immigration clandestine qui nourrit l’insécurité. En plus des problématiques d’insécurité, il y a celles des accès aux services publics les plus évidents. A Mayotte, on a des soirs où il n’y a pas d’eau. On a des problématiques pour les enfants de Mayotte d’accès juste à l’école. Tout cela est dû à la déstabilisation folle générée par l’immigration clandestine. Si on veut rester cette dernière, il n’y a qu’une seule solution, il faut stopper l’aimant. Aujourd’hui, le droit du sol fonctionne comme un aimant, qui attire tous les territoires qui sont autour. Il faut donc supprimer ce droit du sol. Tant qu’on n’aura pas fait ça, on ne pourra pas construire l’avenir de l’île. Et je rajoute une deuxième chose, si on veut cet aimant, il faut aussi arrêter d’accueillir et d’offrir un accès à toute une série de services pour les migrants clandestins sur le sol mahorais. L’accès à l’hôpital, à la sécurité sociale sans différenciation et à l’école, tout ça fonctionne comme un gigantesque vase aspirant. Et tous les territoires autour, en particulier les Comores partent vers Mayotte. On ne peut pas aboutir à cette situation qui, en plus, n’est pas bonne pour les Comores, parce que ça vide les Comores et chasse les Mahorais. Il faut reprendre la main, arrêter l’immigration illégale, et on le sait tous, cela passe par arrêter que le territoire devienne aussi attractif pour les autres territoires.
F.I. : La question de la suppression du droit du sol a été justement remise sur la table avec le double projet de lois Mayotte et la récente proposition de loi de la députée Estelle Youssouffa. En tant que président du groupe Droite républicaine, de quelle façon appuierez-vous le double projet de lois Mayotte ?
L.W. : C’est une bataille qui est menée depuis longtemps par Mansour Kamardine. C’est lui le premier qui a porté ce combat sur la suppression du droit du sol. Au niveau de mon groupe politique, je souhaite qu’on puisse reprendre cette bataille. J’ai rencontré personnellement le président du Département de Mayotte, le maire de Mamoudzou (Ambdilwahedou Soumaïla), le président de la fédération des Républicains de Mayotte (Abdoul Kamardine). L’objectif est de travailler sur une proposition de loi qui serait portée avec force par le groupe de la droite républicaine pour faire avancer les choses. On le sait très bien, pour y arriver, cela suppose un changement constitutionnel, mais il y a des améliorations qu’on peut obtenir dès maintenant.
F.I. : Le développement des réseaux de passeurs profite à la fois du conflit diplomatique entre les Comores et Mayotte, et des guerres en Afrique continentale. De quelle manière la France doit-elle aborder la géopolitique dans la région ?
L.W. : Je pense qu’on a été trop laxiste avec les Comores. On a quand même affecté avec l’accord franco-comorien de 2019 150 millions d’euros aux Comores, alors que de leur côté, elles n’ont absolument pas tenu leur parole. Il n’y a pas eu de démantèlement sérieux des réseaux clandestins. Il n’y a pas eu de contrôle maritime, de lutte efficace contre les passeurs. Les Comores refusent même de reprendre une partie de leurs ressortissants. Il y a un moment, il faut que ça s’arrête. Si vous avez tendu la main et que de l’autre côté, il n’y a pas eu de respect de la parole donnée, il faut être beaucoup plus ferme. Ça suffit de tolérer tout et n’importe quoi des Comores. La deuxième chose est que je suis pour un arrêt de toute aide au développement tant que les Comores n’auront pas changé leur attitude. Vous l’avez relevé, il y a également la question du contrôle maritime. Cela joue par rapport aux Comores, mais elle est plus globale par rapport aux guerres en Afrique continentale, des opérations menées sur les toutes les voies de passage maritimes. Je pense à l’opération Atalante au large de la Somalie pour lutter contre la piraterie. Mon souhait est d’avoir une opération à l’échelle de l’Union européenne avec une véritable mission militaire et diplomatique qui permette de reprendre le contrôle sur ses eaux, parce que Mayotte est la première victime de cette géopolitique. On est dans cette région fondamentale du canal du Mozambique, je pense donc que la lutte contre la déstabilisation politique et contre l’immigration clandestine doit être européenne. Cela permettra de protéger Mayotte plus efficacement.
F.I. : Sur le volet de l’immigration justement, Marine Le Pen (Rassemblement national) est très appréciée à Mayotte (elle y a rassemblé 43% des voix au premier tour de l’élection présidentielle 2022). Qu’est-ce qui vous distinguerait ?
L.W. : D’abord, je me suis toujours intéressé à Mayotte. J’y suis venu, je connais l’île et je ne m’en préoccupe pas qu’au moment des élections. Effectivement, Marine Le Pen est impliquée pour Mayotte au moment des élections. Je n’ai pas vu d’initiative portée à l’Assemblée nationale par le Rassemblement national, je n’ai pas vu de travail pour améliorer l’aménagement du territoire, je n’ai pas vu de logique portée par le RN dans les débats budgétaires pour Mayotte. Je me permets d’ajouter quelque chose. Tout le monde se doute bien que le parti et le discours de Marine Le Pen qui consiste avec ses soubassements à donner la priorité à la métropole et pas aux territoires d’Outremer, ce n’est pas ce dont les Mahorais ont besoin. Ils ont besoin d’un discours d’une France qui soit aussi une France de l’Outremer. Ça a été le discours de la droite républicaine. C’était celui de Jacques Chirac ou de Georges Pompidou. C’est ça notre différence. Ce que je veux, c’est que les Mahorais puissent réussir. Je vais prendre un exemple, pour moi, on a un problème d’équilibre. Il faut arrêter l’immigration, parce que l’essentiel des crédits qu’on met sur l’accueil des migrants, on ne les met pas sur des sujets de vie quotidienne des Mahorais et de Mayotte. ll faut qu’on aboutisse enfin à faire sauter cette question du second hôpital. Ce n’est pas normal que les Mahorais doivent aller à La Réunion pour se faire soigner. On a la question de la cité judiciaire, celle de l’aéroport dont il faut s’occuper tout de suite avec le danger de la montée des eaux. Mayotte ne peut pas être le seul territoire français avec un aéroport digne de ce nom. Aujourd’hui, tout l’argent investi à Mayotte est tourné vers l’immigration, alors que je veux le faire tourner vers les Français qui habitent Mayotte. Y compris avec des projets comme le front de mer de Mamoudzou, des équipements sportifs, des crèches, je pense à la liaison maritime qui permettra de relier Mamoudzou sans passer par les routes nationales. Ce territoire a une chance incroyable, c’est une pépite. Les Mahorais se sont battus pour rester Français, je connais leur histoire. Aujourd’hui, c’est une honte, qu’avec les quinquennats Hollande et Macron, la France les abandonne.
F.I. : Si le phénomène fait davantage de bruit dans les autres territoires ultramarins, la vie chère touche également Mayotte. Avez-vous des leviers économiques pour y mettre fin ?
L.W. : Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on doit travailler. Il y a d’abord la hausse du prix des billets d’avion qui ne doit pas concerner les ultramarins. Deuxièmement, je suis favorable à des réductions d’impôts pour les investissements dans l’économie mahoraise. Parce que le meilleur moyen de garantir un pouvoir d’achat, c’est créer de l’emploi. On parle d’un territoire où le chômage des jeunes est de 40%. Il faut aussi qu’on ait des contrôles pour organiser une meilleure concurrence dans le secteur de la distribution. Cette absence de concurrence aboutit à l’explosion des prix et ce sont les habitants qui paient le coup de cette vie chère. Je veux également porter la promesse pour Mayotte d’une égalité salariale en 2027.
F.I. : Souhaitez-vous également une réforme de l’octroi de mer comme le promettait Bruno Lemaire, l’ex-ministre de l’Économie ? Comment modifier l’octroi sans mettre en péril les collectivités locales qui en sont dépendantes ?
L.W. : Je suis favorable à cette réforme, mais ma conviction est donner des ressources aux collectivités locales. Parce que si vous réformez l’octroi de mer et que toutes les mairies de Mayotte sont en faillite, qu’il n’y ait plus d’investissement dans les réseaux d’eau qui en ont tellement besoin, plus d’écoles, plus d’équipements culturels ou sportifs, on n’aura pas fait progresser les choses. Donc la réforme de l’octroi, oui, à condition qu’il y ait des ressources pour les communes de Mayotte.
F.I. : La convergence des droits est aussi une demande régulière du territoire. Elle était promise par Nicolas Sarkozy en 2009 (« Il est naturel que la départementalisation se traduise à terme par l’égalité »). Comment et surtout quand la mettriez-vous en place ?
L.W. : Ce que je dis et ce que je souhaite, c’est que ce soit notre programme et notre engagement pour 2027 pour Mayotte. Au fond, il y a trois priorités pour moi. La première est de faire sauter le droit du sol pour stopper l’immigration illégale. La deuxième, c’est tout l’argent économisé en arrêtant de le mettre dans l’immigration illégale, c’est de le remettre dans le développement de ce territoire qui en a tellement besoin. Et la troisième, c’est l’égalité salariale. C’est avec ce programme que je veux me battre pour les Mahorais. Et quand on regarde autour, il y a des exemples. On voit ce que devient Maurice. Mayotte a une chance inouïe. Ça suffit que ce territoire souffre. C’est un territoire merveilleux, une population qui a tellement d’atouts.
F.I. : Comme d’autres départements d’Outremer, Mayotte concentre des lacunes sur son réseau d’eau, ce qui oblige à un rythme actuel d’un jour sur trois sans eau. Que faire pour y remédier ?
L.W. : Il faut d’abord qu’on soit une caisse de résonnance. A Paris, les gens ne le savent pas. Il n’y a pas assez de porte-parole pour Mayotte et c’est pour ça que je voulais faire cette interview, que je parle de Mayotte à l’Assemblée nationale. Il faut qu’on dise qu’au XXIe siècle, en France, il y a un territoire français où tous les soirs, il n’y a pas d’eau. Vous l’avez dit, un ou deux jours sur trois, vous ouvrez le robinet et il n’y a pas d’eau. C’est un gigantesque scandale au XXIe siècle pour un territoire de la République française. Et j’ai souhaité relayer ce sujet auprès de François-Noël Buffet, le ministre de l’Outremer. Pour moi, ça doit être une des priorités. On sait qu’on a principalement trois sujets. La première est qu’il faut investir dans le réseau parce qu’il y a trop de fuites. Et on sait qu’elles aboutissent à des pertes colossales d’une eau si précieuse sur ce territoire. Deuxièmement, il faut des investissements dans des usines de dessalement. Parce que si l’investissement n’est pas fait, on sait qu’on continuera à manquer. Aujourd’hui, on dépend trop des retenues collinaires. Troisième sujet, je veux que la Cour des comptes vienne, regarde tout ça, analyse et explique pourquoi il y a eu des tels défaillances dans l’organisation de l’État. Il faut comprendre ce qui a été mal fait pour pouvoir corriger. Là, on a douze ans de sous-investissements, entre Hollande et Macron, où rien n’a été fait sur un sujet aussi vital.