Un déplacement aux Comores qui était supposé privé, mais aux allures de mission officielle, fait couler beaucoup d’encre à Mayotte, depuis samedi dernier, à l’issue d’une réunion de l’association des maires de Mayotte. Madi Madi Souf, maire de Pamandzi et président de l’association, aurait délibérément choisi de mélanger les genres lors de ce déplacement du 15 au 19 septembre, au cours duquel il a été accompagné du Grand cadi de Mayotte et des collaborateurs respectifs. La synthèse de ses discussions avec les officiels comoriens est loin d’être du goût de tout le monde, notamment des autres maires mis devant le fait accompli.
A quel jeu politique s’adonne le président de l’association des maires de Mayotte ? L’interrogation est soulevée à haute voix par un petit nombre de premiers magistrats mahorais dont ceux de Dembéni et M’tsamboro, à l’issue d’une réunion de leur association, samedi dernier. Au cours de cette dernière, le maire de Pamandzi, Madi Madi Souf, aurait communiqué à ses collègues des « éléments de synthèse des rencontres effectuées » à Moroni du 15 au 19 septembre. Lecture faite, certains maires parlent de mélange de genre et d’amateurisme politique de la part d’un élu de premier plan, sur un sujet aussi sensible dans ce département que la relation tumultueuse avec l’État frontalier des Comores.
L’introduction de ce compte-rendu de voyage mentionne que Madi Madi Souf, président de l’association des maires de Mayotte et maire de Pamandzi, se serait rendu en Grande-Comore accompagné « d’une délégation comprenant notamment son éminence le Grand Cadi, ministre du culte musulman de Mayotte, Mahamoudou Hamada Saanda », précisant qu’il s’agissait d’un voyage privé pour ce dernier. La délégation mahoraise a ainsi pris part « pour la première fois de l’indépendance des Comores en 1975, à la cérémonie du Maoulid nabawi célébrée à l’occasion du mois de naissance du prophète Mouhammad (Mahomet) organisée par l’Etat comorien », le 15 septembre. La synthèse de seize pages précise, noir sur blanc, que Madi Madi Souf répondait ainsi à une invitation officielle de la présidence de l’Union des Comores, à l’initiative de Moussa Adam qui préside l’association Wuzuri wa Dini (« Splendeur d’une religion ») avec la caution active de Youssouf Mohamed Ali, qui n’est autre que le directeur de cabinet du président comorien, Azali Assoumani, et son ministre de la Défense. « Mazette, là, il a fait fort », s’est exprimé un des maires de Mayotte à l’issue de la réunion de samedi dernier, une fois qu’il avait relu plusieurs fois le document reçu.
Les opposants à cette initiative du maire de Pamandzi s’étonnent que dans une démarche présentée comme un déplacement privé, Madi Madi Souf, ait été flanqué de son directeur de cabinet, Saïd Habib Mahamoud, et que son éminence, le Grand-cadi de Mayotte, soit accompagné de deux de ses collaborateurs, Saïd Ali Mondroha et Anouar Chanfi, respectivement chargé d’études et de recherches et chef de service étude et partenariat au Conseil cadial de Mayotte. Pour les pourfendeurs de cette sortie comorienne de ces deux personnages importants de la sphère publique mahoraise, c’est la composition même de cette délégation qui interpelle. « Pourquoi ont-ils eu besoin de leurs collaborateurs officiels dans une visite strictement présentée comme privée sur une invitation de l’État des Comores, plus qu’en délicatesse avec le Département de Mayotte depuis bientôt cinquante ans ? », s’interroge l’un d’eux, étonné que le conseil cadial ait reçu « un feu vert » du Département là-dessus. « Notre association n’a jamais donné mandat au président Madi Madi Souf pour prendre des engagements en notre nom et encore moins celui de nos électeurs », déclare un élu contacté par nos soins.
« Un allègement du visa Balladur »
Pour revenir au menu de ce déplacement, Madi Madi Souf aurait été reçu à diner au domicile du directeur de cabinet d’Azali Assoumani, le 17 septembre, il aurait été question dans leurs discussions de l’insécurité et de la situation des mineurs isolés à Mayotte. A la clé, un accord de principe pour la création à Anjouan « d’un internat d’accueil de ces mineurs isolés pour deux ou trois ans ». Mais ce qui provoque l’ire de certains de ses collègues maires, ce sont les sujets énoncés comme un « accord de principe de coopération économique entre les Comores et Mayotte » en vue d’exporter dans le département leur surplus de la production agricole et halieutique. Il a également été discuté du « principe d’allégement du visa Balladur sous certaines conditions », « de l’accueil des étudiants mahorais à l’université des Comores », « de l’accessibilité des entreprises mahoraises à des marchés publics aux Comores », « de la possibilité pour des entreprises comoriennes de bénéficier des aides de la commission de l’océan Indien et de l’Union européenne », « de la surveillance des kwassa-kwassa » ou des migrants clandestins africains qui transitent par les Comores, soit le schéma d’une coopération plus que renforcée (voire en faveur) avec les Comores.
Le document de synthèse présenté par Madi Madi Souf à ses collègues maires de Mayotte apporte un éclairage sur la philosophie qui anime son porteur, « engager et mettre en œuvre les sujets sur lesquels les Comores et Mayotte sont d’accord, et ce sur, au bénéfice de leurs habitants respectifs et laisser de côté les points sur lesquels ils sont en désaccord ». Sûr de son fait, le président de l’association des maires de Mayotte a pris le soin de transmettre la note au préfet de Mayotte et le président du Département de Mayotte et des parlementaires mahorais. Estelle Youssouffa, qui est au Maroc pour la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, ne s’est pas fait prier et a dit tout le mal qu’elle pensait de cette initiative. « Les serrélamains (N.D.L.R. favorables à l’indépendance et au rapprochement avec les Comores) à l’œuvre pour tuer Mayotte avec les manœuvres diplomatiques pro-comoriennes de Madi Souf et l’association des maires de Mayotte pour l’abrogation du visa Balladur et organiser la coopération régionale à l’insu des parlementaires. Un scandale », a-t-elle réagi.
Au-delà de sa portée politique, cette synthèse des pérégrinations du maire de Pamandzi, qui aurait également été reçu par l’ambassadeur de France aux Comores, Sylvain Riquier, et du Grand cadi de Mayotte soulève bien des questions et d’étonnement. D’après l’un des maires présents à la réunion de samedi, leur président avait bel et bien pris soin de leur faire part d’un voyage privé religieux qu’il allait effectuer à Moroni, mais jamais il n’avait averti de son intention de rencontrer des officiels comoriens de haut rang et d’aborder au nom de l’AMM toutes les sujets rapportés.
Journaliste politique & économique