Eliasse : « Je suis né artistiquement à Mayotte »

Le chanteur comorien Eliasse est à Mayotte pour trois représentations. Avec son groupe, il interprète son troisième album « Zangoma » au festival Milatsika ce samedi, au pôle culturel de Chirongui, le 22 octobre, et à la prison de Majicavo-Koropa. Rencontre.

Flash Infos : Pouvez-vous décrire votre relation avec Mayotte ?

Eliasse : Ma mère est d’Anjouan et mon père de Grande Comore, mais je suis né artistiquement à Mayotte. J’étais musicien à Moroni, j’ai accompagné des artistes comme Maalesh, mais c’est à Mayotte que je suis né en tant qu’Eliasse, artiste devant la scène en 2005. J’ai sorti mon premier album ici en 2008, ma fille est née ici. Je suis un grand fan de plein d’artistes mahorais y compris Baco, donc ma relation à Mayotte est très forte d’un point de vue artistique. Et puis Mayotte et les Comores, je les appelle le « shaya na mbere », c’est-à-dire le doigt et la bague en shimaoré. Comme le doigt et la bague, Mayotte et les Comores, c’est une relation et dans les histoires de couples, on s’aime, on se sépare, on se chamaille.

F.I. : Cela représente quoi de venir jouer son nouvel album à Mayotte ?

Eliasse : Cela représente beaucoup de choses. C’est mon troisième album qui s’appelle « Zangoma ». C’est le style de musique que j’essaie de défendre, il vient de Baco et donc de Mayotte. Dans mon premier album, il y avait déjà un titre qui s’appelle « Zangoman », et 18 ans plus tard, je reviens avec l’album consacré à ce style, c’est hyper important pour moi. « Zangoma » est lié aux percussions et plus largement au rythme. Comme on a beaucoup de rythme dans l’archipel, je puise là-dedans, et j’essaye de le mélanger avec du rock, du blues, tout en gardant la racine.

F.I. : Dans plusieurs de vos chansons, vous faites passer des messages notamment contre la stigmatisation. Pouvez-vous nous en parler ?

Eliasse : En tant que Comorien qui a vécu à Mayotte, je parle de ces questions. Dans la chanson « Laka road », je parle d’une personne qui fait le tour de l’archipel et qui s’arrête dans chaque île, elle demande : « Comment ça va la famille ? les chiens ? les poules ? les voisins qui viennent d’arriver ? ». Et sur ce dernier point, problème. Les réactions sont les mêmes dans les quatre îles, à chaque fois, le problème, c’est l’autre. A Mayotte, on dit que le bouc-émissaire, ce sont les Comoriens qui viennent sans papiers. Mais de l’autre côté, c’est pareil, on critique des Anjouanais qui viennent en Grande Comore. Pour moi, on ne peut pas apaiser cette question, si on ne se dit pas qu’on a peut-être aussi une petite part de responsabilité. Si on accepte cela, peut-être qu’on fera un pas. Pour faire passer mes idées, je choisis d’écrire de façon imagée, c’est la petite pierre que j’apporte à l’édifice, je n’ai pas la prétention de changer le monde.

F.I. : Dans votre dernier album, vous évoquez aussi l’écologie dans la chanson Salama avec un très beau clip tourné à Mayotte.

Eliasse : On a tourné à Mayotte mais cette chanson sur le dérèglement climatique n’est pas destinée qu’à l’archipel mahorais, elle s’adresse au monde entier. Mais je pense que pour évoquer cette question, j’ai voulu partir de chez moi et montrer qu’il y a une beauté. Dans le clip, nous avons montré le positif, ce qu’il y a à sauver ici plutôt que de faire ressortir ce qu’on a déjà détruit.

F.I. : Votre dernière date à Mayotte est prévue à la prison de Majicavo, un lieu atypique pour un concert, encore plus compte tenu de la mutinerie qui s’y est produite récemment.

Eliasse : On réagit quand ça explose, mais je ne pense pas que les difficultés étaient là avant la mutinerie. J’ai bossé trois ans à la prison, j’animais des ateliers de musique là-bas. Toutes les semaines, j’apprenais aux détenus à jouer la guitare, les percussions, à chanter et à écrire. On a même fait un spectacle là-bas. Ce n’est pas parce que les gens paient pour ce qu’ils ont fait qu’ils n’ont pas le droit à la culture. Peut-être qu’en sortant de là, l’un d’entre eux va faire de la musique ou de la peinture ou bien que l’art va l’apaiser. Avec ce concert, j’apporte aussi ma petite pierre. Imaginons que ces personnes sont dans une chambre sans fenêtre, moi, je suis la fenêtre pendant 45 minutes. Ça ne change pas leur vie, mais si je peux leur offrir une respiration pendant un petit moment, alors je le fais.

Journaliste à Mayotte Hebdo et à Flash Infos Mayotte depuis juin 2024. Société, éducation et politique sont mes sujets de prédilection. Le reste du temps, j’explore la magnifique nature de Mayotte.

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