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L’affaire des procurations frauduleuses de Bandraboua a marqué le scrutin législatif de 2022, amenant même son annulation. Sept ans après, Ramlati Ali a dû s’expliquer devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou.

Dix-huit mois de prison avec sursis, 15.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité ont été requis contre l’ancienne députée Ramlati Ali, ce mardi, au tribunal correctionnel de Mamoudzou. En 2017, pendant les élections législatives, elle et plusieurs de ses soutiens auraient mis un système en place pour établir de fausses procurations grâce à un médecin et un gendarme un peu trop complaisants. Le délibéré sera connu le 22 octobre.

« Ce qui s’est passé à Bandraboua, je l’ai découvert à la télévision. Je n’étais pas au courant », se défend toujours Ramlati Ali, devant le tribunal correctionnel de Mamoudou, ce mardi. La députée de la première circonscription Mayotte de 2017 à 2022 traîne cette affaire comme un boulet depuis la toute première année de son mandat. Ainsi, avant et pendant l’élection, son camp aurait établi des procurations de personnes âgées sans qu’ils en aient eu connaissance ou même en leur absence. Le conseil constitutionnel avait même annulé le scrutin à cause d’une suspicion de fraude et en raison d’un écart minime de 54 voix avec son adversaire du second tour, Elad Chakrina (Les Républicains). La revanche n’avait pas souri au deuxième (la socialiste passée ensuite à La République en marche l’a emportée à la fin mars 2018 avec 55% des voix), mais l’enquête pénale s’est poursuivie en parallèle du nouveau mandat.

Sept ans après, la médecin de 63 ans a donc dû s’expliquer en compagnie de sept coprévenus. Celle-ci confirme qu’il y avait bien un rabattage mis en place pour recueillir des procurations afin d’obtenir des voix supplémentaires. Une méthode souvent éprouvée à Mayotte, mais qui s’est avérée dévoyée dans les communes du nord de Grande-Terre plus favorables au candidat LR. La gendarmerie a ainsi découvert que 38 procurations ont été signées au mépris des règles électorales, 21 ayant servi au scrutin contesté. Une partie des mandants n’a pas souvenir d’avoir signé ces documents ou alors indiquent ne pas savoir ce qu’ils signaient. Plus grave, au moins trois n’étaient même pas à Mayotte quand les procurations ont été faites. Alors que le juge Ludovic Duprey demande : « A qui profite le crime ? », l’ancienne parlementaire répond qu’elle ne sait pas, mais qu’elle « ne cautionne pas ».

Des vérifications non effectuées

Le gendarme en charge des procurations s’est rapidement retrouvé dans l’œil du cyclone, il avait d’ailleurs rapidement admis sa faute auprès de sa hiérarchie. Au tribunal, Ahamadi Boura, l’ex-commandant de la brigade de gendarmerie de M’tsamboro, arrive rapidement au bout de la patience des juges en raison de ses réponses souvent vagues. « Si c’est pour enfiler des perles, ce n’est pas la peine », s’énerve le président du tribunal correctionnel de Mamoudzou. Son rôle s’est avéré primordial dans l’établissement des procurations. En tant qu’officier de police judiciaire, c’est lui qui était chargé de vérifier les identités et si les demandes de procurations sont bien remplies. Il devait surtout constater par signature que le mandant ne pouvait pas se déplacer jusqu’au bureau de vote pour des raisons médicales, chose qu’il n’a jamais été faite avec les demandes incriminées. « J’ai commis une faute professionnelle », reconnaît celui qui s’est lui-même présenté aux élections législatives en 2022. Par deux fois, il a récupéré une enveloppe contenant 19 procurations chacune. Lors de la seconde, le vendredi avant le second tour, il est en repos quand il croise l’un des prévenus, soutien de la candidate, qui apporte formulaires et pièces d’identité. Malgré la présence d’autres officiers de police judiciaire qui auraient pu faire les vérifications, ce jour-là, c’est de sa propre initiative qu’il a validé les procurations et remis les documents sans aller faire les vérifications au domicile des concernés. Selon lui, le fait qu’il était le seul OPJ à parler shimaoré disqualifiait ses collègues de s’en occuper.

Il dément toutefois avoir voulu participer à un quelconque système de triche. Quant aux appels répétés (neuf fois) avec la candidate, les deux s’accordent à dire qu’elle souhaitait le soutien du seul commandant de gendarmerie mahorais. « On m’a dit qu’il fallait qu’il me soutienne. Il fallait absolument que je le convaincs », explique la Pamandzienne. Autre élément relevé au cours de l’instruction, les appels récurrents entre le frère du gendarme et la médecin. Les deux ont travaillé ensemble à l’hôpital de Mamoudzou, mais les échanges sont allés bien au-delà, dont l’un seulement une heure après la garde à vue du major en août 2017. Celle-ci s’est déroulée de manière très particulière parce qu’il a pu profiter d’assez de libertés pour téléphoner de nombreuses fois à ses proches dont son frère ou le maire de Bandraboua, Fahardine Ahamada. « C’est quoi le rapport avec l’affaire ? », s’offusque l’ex-gendarme. « Ça montre votre respect de la loi », répond le président du tribunal.

« Une collègue que je croyais honnête »

L’intervention du médecin dans le procédé utilisé est aussi au cœur de l’enquête. Car en 2017, il fallait établir un certificat pour pouvoir établir une procuration pour raison médicale. « J’ai fait une bêtise, je n’ai pas fait mon travail de médecin », admet-il. « Pendant le week-end, Ramlati Ali me dit qu’elle ne pouvait pas se déplacer pour les certificats médicaux », se souvient-il. En effet, elle estimait qu’intervenir elle-même pour faire les certificats médicaux ferait mauvais genre. Elle a alors sollicité son ancien collègue travaillant à Dzoumogné. Inquiet des répercussions, il a été rassuré par la candidate. « Ne t’inquiète pas, ils sont tous à Mayotte », lui a-t-elle assuré, alors que l’enquête a montré que trois étaient à La Réunion à ce moment-là. Pensant n’avoir affaire qu’à une dizaine ou une quinzaine de cas, le médecin du nord découvre une liste avec un trentaine de noms dans sa boîte de lettres. Et ce n’était pas le seul problème. « Comment je pouvais faire des certificats avec une adresse incomplète ? », s’est-il inquiété. Il a donc décidé d’aller au plus vite en faisant des certificats sans rencontrer les patients. Puis, il a remis l’enveloppe à sa voisine qui soutenait Ramlati Ali. « J’ai fait confiance à une collègue que je croyais honnête », a-t-il déclaré ensuite aux enquêteurs.

La même « naïveté » se retrouve chez les « rabatteurs » ayant recueilli les procurations et transmis les certificats. « – Vous connaissez le principe de la procuration ? – Non. – Pourquoi vous vous portez volontaire pour aller les chercher ? », demande alors Stéphanie Pradelle, procureure de la République adjointe, à l’une des coprévenues. Ceux que l’avocat d’Elad Chakrina, maître Jean-Jacques Morel, a qualifié de « lampistes » ont vu le Parquet demander six mois de prison avec sursis, 1.500 euros d’amende et un an d’inéligibilité à l’encontre de quatre d’entre eux. Huit mois de prison avec sursis, 2.000 euros d’amende et un an d’inéligibilité ont été requis contre celui qui récupérait les enveloppes. Leurs avocats, maîtres Abdel-Lattuf Ibrahim et Erick Hesler, ont demandé leur relaxe, plaidant une méconnaissance soit de la procédure soit qu’ils participaient à une fraude. « A quel moment ils avaient un pouvoir quelconque ? Ils n’avaient pas d’intention réelle de frauder », plaide le deuxième, qualifiant ce procès de « pas l’affaire du siècle ». S’il y a condamnation, il demande que ce ne soit pas inscrit au casier de ses trois clients qui sont fonctionnaires.

« Face apparente de l’iceberg »

Pour maître Jean-Jacques Morel, ces fausses procurations ne sont que « la face apparente de l’iceberg ». Dans cette même commune de Bandraboua, les enveloppes étaient plus nombreuses que les signatures sur les feuilles d’émargement. « On a volé l’entrée d’Elad Chakrina au Palais Bourbon », estime celui qui était élu LR à La Réunion, avant de passer au Rassemblement national. Selon lui, si Ramlati Ali informait son confrère que les mandants étaient tous à Mayotte, c’est qu’elle savait que le médecin n’irait pas plus loin pour établir les certificats médicaux. Il demande 6.000 euros de dommages et intérêts pour son client.

La procureure adjointe partage le même avis. Du système mis en place pour faire des procurations frauduleuses, « elle en a été acteur », arguant qu’elle savait qu’elle ne pouvait pas faire les certificats. « Elle est en contact avec tous les acteurs du dossier », fait remarquer la magistrate. Elle requiert dix-huit mois de prison avec sursis, 15.000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité contre l’ancienne élue. Elle ne mâche pas non plus ses mots à l’encontre du gendarme. Alors qu’il a fait toute sa carrière à M’tsamboro, elle y voit un problème. « A un moment, il y a une porosité », considère-t-elle. Elle demande un an de prison avec sursis, 10.000 euros d’amende, deux ans d’inéligibilité et trois ans d’interdiction de la fonction publique contre celui qui est aujourd’hui retraité. Et pour le médecin, huit mois de prison avec sursis, 2.000 euros d’amende et un an d’inéligibilité.

« Il n’y a rien d’organiser »

Avocat du médecin justement, maître Yanis Souhaili considère que s’il y a bien eu une faute déontologique avec l’établissement de faux certificats médicaux, il n’y a pas nécessairement une infraction pénale. Il concède qu’à Mayotte l’enjeu est « capital avec ces procurations », qu’elles représentent une part non négligeable des votants. « On va voir les personnes âgées pour faire des procurations. On sait qu’il y a des gens un peu simplets, on leur demande une procuration. Ça fonctionne comme ça », donne-t-il comme exemple. Pour lui, son client doit être relaxé parce rien démontre « une intention de faire un faux. Il n’y a rien d’organiser. À part cet échange (N.D.L.R. avec Ramlati Ali), il ne connaît personne dans ce dossier. Il ne sait pas même pas qui a mis l’enveloppe dans sa boîte aux lettres ». Il rappelle également que la loi a changé et que ça ne peut être considéré comme une faute puisque l’avis médical en se présentant chez le mandant n’est plus requis, s’appuyant sur plusieurs jurisprudences sur le sujet. Sur les réquisitions, en cas de condamnation, il n’est pas inquiet parce que le médecin « n’a aucune ambition politique ». Il recommande de « réduire de moitié l’amende et de réduire la peine de prison ».

Maître Iqbal Akhoun, qui a commencé l’audience par une demande de nullité à cause d’une ordonnance de renvoi « qui n’est pas assez claire », trouve que l’ex-commandant de gendarmerie a déjà bien payé son erreur. « Quel jugement ! Un contrôle judiciaire de sept ans, une mutation forcée, une rétrogradation et une interdiction d’exercer son métier. » Rappelant que c’est le courrier envoyé à sa hiérarchie qui a déclenché, il considère que l’acte du gendarme en 2017 « n’est pas une manœuvre frauduleuse, c’est une omission ».

Maître Raphaël Gauvain, qui a connu Ramlati Ali sur les bancs de l’Assemblée nationale (il était député de Saône-et-Loire de 2017 à 2022) avant de la défendre au tribunal, évoque une femme « extrêmement travailleuse ». Il questionne : « Est-ce qu’elle a fait un acte positif ? ». Selon lui, il n’y a pas d’élément matériel qui permet de montrer qu’elle demande au médecin de faire des faux certificats. Pareil pour les appels téléphoniques au major, il réitère que c’était pour chercher un soutien. Il rappelle que la députée a été pénalisée lors de son mandat « parce qu’elle n’a pas pu se rendre dans le Nord de Mayotte », à cause de son contrôle judiciaire qui lui interdisait de rencontrer ses soutiens devenus coprévenus.

Pour « cette affaire lui pèse énormément », l’ex-députée devra attendre le délibéré qui sera donné le 22 octobre.

Jusqu’à quinze ans requis pour l’agression d’un candidat

C’est aussi une histoire d’élection qui a pris place à la cour d’assises jusqu’à ce mercredi. Onze jeunes hommes, dont trois étaient mineurs à l’époque, s’en sont pris à un candidat de la commune de Dembéni avant les élections municipales de 2020, Boinaidi Midiar Djadjou, le passant à tabac, le 2 février 2020, après un meeting. Un acte politique, selon lui, qui est pourtant compliqué à prouver. Pour le groupe venu de Tsararano et qui est jugé pour tentative de meurtre, il s’agissait plutôt d’une revanche contre le village voisin après l’agression de l’un des leurs. Armés de machettes, couteaux, pierres, ils ont organisé une expédition punitive à Dembéni quand ils sont tombés sur le candidat. Ce mardi, l’avocat général, Albert Cantinol, a requis quatre ou cinq ans pour le mineur dont l’implication est jugée moindre. Il s’agit de la peine minimum dans le groupe. Les quatre réquisitions les plus lourdes sont de 13, 14 et deux de 15 ans, ces deux dernières concernant des individus de 24 et 26 ans.