Il n’en démord pas depuis plusieurs jours. Mahamoud Aziary est vent debout contre l’attribution du marché du Caribus à la société sœur de Matis, Optimom, par la Cadema. Devant un parterre de transporteurs, d’activistes, de syndicalistes et représentants de la société civile, le conseiller du GIE Ouvoimoja, un groupe de transporteurs mahorais concourant au même marché, dénonce lors d’une conférence de presse, ce mercredi, « une totale omerta » de la part des élus de la collectivité. Il porte d’ailleurs l’affaire devant le tribunal administratif (audience prévue le 9 mai) et au pénal. Du côté de l’agglomération Dembéni-Mamoudzou, le président Rachadi Saindou se dit serein et rappelle que c’est un cabinet hexagonal qui s’est occupé de la notation et a désigné les meilleurs candidats (voir encadré).
Flash Infos : Que reprochez-vous à la Cadema ?
Mahamoud Aziary : À la Cadema, il semble se passer des choses pas très catholiques parce que le marché Caribus a fini par être attribué à une société dénommée Optimom (N.D.L.R. Opérateur de transports interurbains et de la mobilité à Mayotte), laquelle est une sœur de la société Matis avec les mêmes actionnaires. Il s’agit d’une société nouvellement créée pour encore une fois venir exploiter le marché du transport à Mayotte, sans expérience aucune, si ce n’est les navettes d’il y a quelques mois. Tout de suite après, voilà que le marché du Caribus leur est attribué. Lorsque nous avons reçu la notification de rejet, nous avons regardé les notes et pour la première fois de ma vie, je vois des choses de cette ampleur, à savoir une société qui a répondu 25 % plus cher, six millions de plus que tous les autres, soit 1/5e de la valeur globale d’un marché évalué à plus de trente millions d’euros. Et pour le faire, il a fallu pratiquement lui donner des notes techniques parfaites. Nous soupçonnons des changements d’éléments notables sur le rapport d’analyses primaires qui a été fait par la maîtrise d’œuvre. Peut-être que des choses ont pu être changées, mais beaucoup de questions restent ici sans réponses, nul ne sait à quel moment la commission d’appels d’offres s’est réunie. Nous apprenons en outre que plusieurs membres de cette commission d’attribution de marché n’ont pas été convoqués. Nous nous apercevons que des changements sont intervenus au sein de la commission des appels d’offres de la Cadema, exactement au moment où ce marché du Caribus a été lancé. Nous savons maintenant que de par la loi une CAO ne peut pas être changé en cours de mandat sauf décès ou démission d’un de ses membres. Donc, vous voyez, il y a plein de choses qui font que non seulement nous allons attaquer ce marché au tribunal administratif, en pré-contractuel et puis éventuellement en post-contractuel. Surtout, nous allons porter cette affaire au pénal où nous allons pointer du doigt des élus qui sont complices actifs ou passifs, mais surtout l’État qui a laissé passer la délibération qui a changé cette commission.
F.I. : Selon vous, comment le contrôle de légalité a pu laisser passer une manipulation ?
M.A. : Par deux fois, je l’ai dit directement au procureur de la République et une fois publiquement au cours d’une réunion au conseil départemental, que c’est bien ce que vous faites. Nous avons plein d’élus qui passent devant vous pour des délits, mais il se trouve que les vrais délits qui se chiffrent à plusieurs millions d’euros et qui passent habituellement par la préfecture de Mayotte ne sont jamais poursuivis. Ils sont protégés et Dieu sait que nous vous avons fait beaucoup de remontées. Personnellement, j’ai saisi le procureur en novembre 2019 sur ces histoires de marché de transport scolaire. J’ai adressé le même signalement au Parquet national financier lequel m’a répondu par une demande de documents supplémentaires. Je suppose que le PNF regarde aussi de très près cette affaire depuis Paris. Nous, nous ne perdons pas espoir et sommes décidés à ne rien lâcher pour faire en sorte que nos enfants puissent obtenir des marchés dans l’avenir. Autrement, n’importe quel prédateur viendra de l’extérieur pour s’accaparer des choses parce que nos élus ne sont pas nets.
F.I. : Sur quoi fondez-vous vos soupçons de manipulations de la notation technique par la Cadema ?
M.A. : Lorsque vous observez le marché des transports scolaires notifié à la fin de 2020, vous vous apercevrez que le groupement pour lequel je travaille a obtenu les meilleures notes techniques sur tous les lots. Nos concurrents parmi lesquels la société Matis et son groupement ne sont passés devant nous que par le prix pour avoir répondu beaucoup plus bas que nous, preuve au moins qu’ils savaient à l’avance que nous étions meilleurs techniquement. Nous sommes persuadés que pour exploiter ce type de marché sur le territoire, nous sommes aujourd’hui les meilleurs, meilleurs que tous les gens qui venir de l’extérieur. Mais cette fois-ci, ce qui est bizarre, c’est que celui qui a obtenu le marché a répondu beaucoup plus haut que nous, comme s’ils savaient qu’ils avaient répondu plus bas que nous sur le marché précédant des transports scolaires. Et, justement parce qu’on avait déjà une avance de points par les prix, nous avons l’impression que tout a été fait pour que nous ayons une note technique bien plus basse pour rattraper le coup. À titre personnel et non le groupement pour lequel je travaille, moi Mahmoud Aziary, je présume que ces notes techniques proches de la perfection, du 58/60, c’est du jamais vu sur les notes techniques. La Cadema a dû penser que ça ne suffisait pas et qu’il fallait retoucher nos propres notes techniques. Au final, nous demanderons à la justice au pénal de trouver un autre expert, indépendant, pour reprendre l’ensemble des dossiers et les noter à partir du début, parce que nous soupçonnons que les notations ont été changées en cours de route.
F.I. : À ce jour, quelle démarche avez-vous entrepris au niveau de la Cadema ?
M.A. : Nous avons envoyé un huissier de justice, mardi dernier, pour remettre une lettre en main propre en vue de demander le rapport d’analyse, sachant que le délai de suspension de la signature du contrat expirait le lundi 22 avril. Nous n’avons rien obtenu alors que ce rapport d’analyse nous aurait permis de comprendre comment les choses ont été jugées. Nous aimerions bien avoir d’autres informations mais elles seront demandées par notre avocat, notamment les procès-verbaux de la CAO, les convocations à la commission. Il semble que certains membres titulaires n’ont même pas été convoqués, d’où les nombreux éclaircissements que nous demandons. Après, effectivement, il va y avoir la démarche auprès du tribunal administratif en pré-contractuel et post-contractuel, ainsi qu’au pénal. L’omerta qui règne parmi les élus de la Cadema qui reste, je le souligne, une collectivité publique, est franchement très inquiétant. Elle est totale comme dans la Camorra (N.D.L.R. la mafia napolitaine).
F.I. : Que recherchez-vous exactement à travers cette conférence de presse de ce matin ?
M.A. : En tant qu’acteur économique sur ce territoire depuis 2005, j’ai toujours été offusqué par la façon de faire de certains pour installer une sorte de plafond de verre aux entreprises mahoraises qui sont restées petites, au mieux moyennes, et de voir s’installer chaque fois une prédation économique au détriment de celles-ci. C’est pour ça que vous pouvez voir partout en Outre-mer de très grosses entreprises appartenant à des ressortissants locaux, pourtant vous ne le verrez jamais ici à Mayotte. C’est un système installé sur ce territoire depuis très longtemps et je considère que l’État y est pour quelque chose. Souvent, les gros marchés transitent par lui d’une façon ou d’une autre, pour moi ce fut le cas pour celui des transports scolaires et celui-ci le Caribus que je viens de démontrer ici. Et, par ailleurs, vous avez aussi des élus qui sont complètement à la merci de l’État vis-à-vis duquel ils sont obligés d’entretenir pratiquement une relation de mendicité et d’obéissance en raison du fait que la plupart de leurs investissements sont financés par cette autorité. On leur conditionne ces financements à l’attribution des marchés à tels ou tels. Et après, vous avez quelques cadres mahorais qui eux travaillent sur tout ça par avidité et font parfois le jeu de ça. L’idée ici est d’abord que nous sommes arrivés à un point où j’ai de très bonnes illustrations avec la justice et l’État. La première que j’ai faite ici c’est sur le marché des transports scolaires de 2020/2021 pour juste une année mais dont la façon de faire nous a conduit à ce jour en cassation. En effet, nos adversaires ont été reconnus fautifs de faux en écriture, usage de faux et escroquerie, mais les entreprises pour lesquelles je travaille ne peuvent pas être indemnisées selon la justice parce qu’elles ont refusé de partager le fruit de marché obtenu justement à partir du délit de faux, usage de faux et escroquerie. Nous sommes dans un climat très grave qui nous amène à Caribus où le même processus qui était fait avant et celui qui a été utilisé par la Cadema, avec par-dessus, une omerta qui fait qu’aucun document n’est fourni lorsque vous en demandez.
La Cadema sûre de son fait
Interrogé en marge de l’inauguration du campus connecté d’Hajangoua, Rachadi Saindou dément les allégations du conseiller stratégique du groupe de transporteurs recalé. Il rappelle qu’un cabinet hexagonal a été désigné par l’ancienne mandature pour s’occuper de l’appel d’offres pour lequel cinq sociétés ont répondu. Il précise que c’est elle qui fixait les notations et a déterminé le meilleur candidat. Et qu’effectivement, le critère de technicité a été plus important que le prix. « Quand il y a un marché européen comme celui-là, tous les ressortissants européens peuvent concurrencer. Le fait d’être Mahorais n’est pas une condition, c’est la règle avec les marchés publics. Sinon, ce serait de la discrimination », s’offusque-t-il.
Concernant les changements dans la commission d’appels d’offres, le président de la Cadema est également sûr de son fait. « On a dû changer la composition parce qu’il y a des membres qui ne venaient pas, justement pour que nous n’ayons pas le quorum suffisant pour voter. On a suivi le règlement intérieur », fait-il valoir, bien décidé à défendre la collectivité au tribunal administratif.