L’envie d’apprendre à Kaja Kaona au lieu « de se faire gazer »

L’insertion professionnelle est le mot d’ordre de l’association Kaja Kaona, implantée à Tsoundzou 1. Environ 350 jeunes de différents quartiers convergent ainsi vers l’emploi. Avec pour moteur, apprendre de nouveaux métiers et transmettre le savoir. Mais aussi pour principal frein, la santé mentale.

« D’habitude, ça fourmille ici », lance Aurore Neel, présidente de l’association Kaja Kaona, dans un local désormais trop petit pour suivre les quelque 350 jeunes accompagnés. Tous âgés entre 15 à 30 ans. Mais même en période de blocages et, donc, de pénurie de personnel, la structure d’aide à l’insertion professionnelle affiche portes ouvertes, ce mercredi 31 janvier, comme tous les jours de la semaine entre 8 heures et 17 heures. Dans les hauteurs de Tsoundzou 1, deux maisons se font face avec une cour au milieu. Chacune, consacrée à ses activités.

« Allô ? Tu en es où toi ? Est-ce que tu es parti à la mission locale ? », questionne par téléphone la conseillère d’insertion professionnelle bloquée chez elle par les barrages. « Non, j’irai demain ou vendredi », répond un premier bénéficiaire en contrat d’engagement jeune (Cieg, ex-garantie jeune). Un dispositif national qui permet un soutien financier en échange d’une démarche rigoureuse vers l’emploi ou une formation. Chacun de ces jeunes, soit une partie seulement de tous ceux qui sont suivis, tient d’ailleurs un carnet dans lequel ils inscrivent leurs activités du jour. Après ce point avec la conseillère, direction le cours de conduite sur scooter donné par un référent pour lever un des freins à l’emploi : la mobilité.

Une demande des jeunes

« On n’est pas là à traîner et se faire gazer pour rien. Ici, on fait des connaissances, des activités. J’ai envie d’apprendre de nouveaux métiers », détaille Faiydine, 23 ans. Mohamed Ali, « comme le boxeur », explique, lui, avoir cherché longtemps un travail : « On me dit qu’on va m’appeler et puis finalement rien. J’ai envoyé beaucoup de dossiers dans tous les domaines où on voudrait bien me prendre », avance, du haut de ses vingt ans, celui qui souhaite devenir chauffeur poids lourds ou maître-chien. Tous deux suspectent que le fait d’être identifiés comme un jeune de Tsoundzou 1 freine les employeurs.

Ce sont pourtant des jeunes de Tsoundzou 1, âgés entre 15 et 25 ans, qui sont à l’initiative de cette association. En 2016, ils s’étaient réunis proche de la maison d’Aurore Neel pour trouver une solution à l’inactivité. Deux ans plus tôt, l’usine de Kwalé, pourvoyeuse d’emplois, fermait. « On a constaté qu’ils avaient tous des compétences, mais pas de cadre pour les exploiter », détaille la présidente qui a créé, avec d’autres personnes pouvant apporter leur expérience professionnelle, la structure en 2017. Depuis l’acquisition de ce local en 2019, l’association est passée d’un salarié, soit un jeune présent depuis le départ qui a passé le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa), à trente salariés en 2024. Seize d’entre eux sont en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) d’un an renouvelable pour accéder ensuite à un emploi durable. Ils interviennent dans deux chantiers d’insertion : dans le domaine du maraîchage, pépinière sur un terrain, à Kwalé, depuis 2023, ou celui de la construction, menuiserie.

L’épanouissement dans la transmission

« Le métier d’agriculteur intéresse les jeunes », avance Yssouf Nair, encadrant technique, formé à la permaculture, pour huit salariés en insertion. Selon lui, l’argument économique fonctionne bien : en cultivant, « inutile d’aller acheter des produits avec des pesticides ». La pépinière de Kwalé sert de base de travail, elle complète le potager et l’arrière-cour de la maison principale, fournis en plantes médicinales, avocatiers, moringa…  Des ateliers dits « mobilisateurs » s’y déroulent aussi, à la façon des autres ateliers d’artisanat pour construire des tasses en noix de coco, des ustensiles de cuisine en bambou, des lampes… Pas besoin d’inscription, juste d’être présent à 9 heures. La nourriture collectée par les apprenants le matin est ensuite donnée aux jeunes qui cuisinent pour tous les participants. Plus de 4.500 repas ont ainsi été servis en 2023.

L’atelier menuiserie est animé par Fataoui Abdillah, 26 ans, un des membres fondateurs embauché par l’association. Avec des planches de la scierie de Coconi, les usagers construisent des tables, des chaises… Ils ont réalisé tout le mobilier du local. Là, deux bénéficiaires apprennent à découper des lattes en bambou, qui a trempé plusieurs semaines dans de l’eau salée. « Je suis épanoui », explique celui qui a le goût de la transmission. « Je forme presque tous les jours une quinzaine de bénéficiaires issus de Tsoundzou 1, 2, Vahibé, même Bandrélé », indique-t-il. Passamaïnty normalement mais depuis des tensions avec les jeunes de Tsoundzou, ceux-là hésitent à venir. « Je vais parfois les chercher. Mais en ce moment, ils ne veulent plus. » Même démarche pour Faiydine rencontré plus tôt qui invite les autres jeunes de Tsoundzou à venir.

« Un gros travail à faire sur la confiance en soi »

Aurore Neel estime qu’il y a environ 80 % de réussites, c’est-à-dire de bénéficiaires qui décrochent finalement un emploi. Mais c’est une mission qui peut difficilement se quantifier, précise la présidente. « Parfois, un jeune va décider ne plus venir et revenir six mois plus tard », pointe-t-elle.

Le principal frein à l’emploi, d’après elle, est la santé mentale, telle que des dépressions. « Il y a un gros travail à faire sur la confiance en soi. Arriver à leur faire prendre conscience qu’ils sont capables. Beaucoup d’entre eux par exemple ont un traumatisme dans l’apprentissage. Ils parlent très bien le français, mais ne savent pas écrire. Même des jeunes nés à Mayotte et scolarisés ici jusqu’au brevet voire le baccalauréat, parfois considérés dans les dossiers comme des primo-arrivants », dénonce-t-elle.

La tâche est d’autant plus complexe que la structure ne compte aucun psychologue malgré les recherches effectuées. Hors les murs, « il y a des résidences d’accueil mais pas d’appartement thérapeutique ». La différence est que les jeunes en « décompression » ne sont pas pris en charge pour la sûreté de tous les résidents. « À Mayotte, il n’y a pas de solution pour ceux qui ne sont pas stabilisés. » Et les employeurs, tenus à compter de vingt salariés d’employer des personnes en situation de handicap dans une proportion de 5 % à Mayotte, selon la loi, « préfèrent engager des jeunes atteints de handicap moteur plutôt que des jeunes atteints de maladies psychiques », renseigne-t-elle.

« Les besoins sont infinis », pose Aurore Neel. « C’est un travail fatiguant qui demande beaucoup de motivation. » L’heure est désormais à la stabilisation de l’activité pour ne pas « éreinter les équipes » ni imploser pour se concentrer sur les projets déjà entamés. Ou en attente… Comme la réfection de la friche industrielle de Kwalé qui pourrait, plusieurs années après la fermeture de l’usine, recréer de l’emploi. Priorité aux jeunes cette fois.

Un restaurant, des logements ou une crèche

Elle est dans le viseur de l’association depuis le début : la friche industrielle de 5.000 mètres carrés à Kwalé et son bâti. Plusieurs plans, ébauches de ce qu’ils pourraient devenir, sont placardés aux murs du bureau dans le local de Kaja Kaona. En mars 2020, deux étudiants architectes, bloqués trois mois pendant la crise du Covid-19, ont d’ailleurs travaillé, avec les jeunes, sur l’endroit pour leur projet de fin d’étude. Plus aucune activité n’y a ensuite été réalisée : le manque de concret démotive et frustre.

Mais si la question du foncier reste à régler, les idées ne manquent pas : y implanter une activité d’écovillage avec les mêmes ateliers qu’au local mais tout « en plus gros », y inclure un restaurant pour faire travailler les bénéficiaires, une bibliothèque qui serait plus grande que celle du local, où DVD et livres peuvent être prêtés… Mais aussi des logements d’insertion et une crèche pour les familles. Car, explique la présidente, « les jeunes femmes avec enfants n’ont pas de moyen de garde. C’est un frein à l’emploi et c’est aussi un moyen de lutter contre l’isolement car sinon, elles restent à maison ». À suivre.

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