Bio Express

Sarah Mouhoussoune

Née à Mayotte il y a 56 ans, Sarah Mouhoussoune fait partie de la famille Boudra, originaire de Hajangua. “J’ai vécu à Mayotte, puis aux Comores quand la capitale a été transférée à Moroni. Je suis revenue à la déclaration de l’indépendance”, résume cette diplômée de l’Institut d’administration des entreprises de la Réunion. Sarah Mouhoussoune est aujourd’hui greffière du tribunal de commerce. Mais auparavant, elle a fait office de greffière au tribunal de première instance (1989-2000) puis greffière en charge de l’état-civil auprès du procureur de la République (2000-2007). Syndicaliste, c’est à ce titre qu’elle a été élue présidente de la Caisse de prévoyance sociale (CPS) en 2003, qui deviendra par la suite Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM). Son mandat a pris fin il y a un mois. En mars 2008, elle a battu Maoulida Soula aux cantonales de Dembéni sous l’étiquette du Néma et est aujourd’hui la seule femme élue au sein de l’assemblée exécutive de la CDM. Elle fait partie de l’opposition au CG.

Serge Castel

Né à Tunis, Serge Castel est arrivé à Mayotte il y a 18 ans. En 1991, il fonde son entreprise, le Cefort, un organisme de formation. En 1999, il devient le président du Groupement patronal de Mayotte qui deviendra un an après le Medef Mayotte (Mouvement des entreprises de France). Il y restera 7 ans. Pendant cette période, il met en place la médecine du travail (Medetram) avec l’aide des entrepreneurs de la place et l’Agefome, devenue aujourd’hui Opcalia, chargée de la formation continue des salariés. Serge Castel présidera également la Caisse d’allocation chômage de Mayotte (CACM) de 2006 à 2008. Depuis deux ans, il préside la Chambre de commerce et de l’industrie de Mayotte (CCI).


Mayotte Hebdo : M. Castel, alors que les élus mahorais sont reçus à l’Elysée aujourd’hui par le Président de la République Nicolas Sarkozy, vous disiez en aparté qu’il fallait se méfier d’Yves Jégo. Que voulez-vous dire par là ?

Serge Castel : Vous avez été l’interprète dans la presse des difficultés que j’ai rencontrées avec le ministre. J’étais accompagné de Michel Taillefer, président du Medef, Elhad Soumaïla, président de la CACM et Aktar Djoma qui représentait le port. Quand il nous a reçus, il y a une phrase qui a interpellé tout le monde et que j’ai retenue. On parlait de la CACM et on lui a dit qu’on voulait être indépendant. La Caf dépend de la Réunion, l’ANPE aussi dépend de la Réunion, on ne veut pas que la CACM dépende de l’ANPE de la Réunion. A partir du 19 janvier, les Assedic fusionnent avec l’ANPE pour devenir le pôle emploi. On lui a demandé de rester tel qu’on est actuellement, en attendant de devenir département. Il a prononcé la phrase suivante qui m’a choqué : “Moi, je vois une grande région Mayotte-Réunion”. On n’est pas d’accord du tout ! Si demain on est département, on sera un département à part entière. On ne va pas être département au rabais. On n’a pas à dépendre de la Réunion et on doit avoir nos propres structures, comme l’ont chaque département. Si au 1er janvier 2010 on devient département, il faudra une Caf Mayotte, au même titre qu’une Sécu Mayotte et un Pôle emploi Mayotte. C’est pour cela que je disais qu’il fallait se méfier d’Yves Jégo.

 

Mayotte Hebdo : La création de la CSSM et de la CACM ont amené un progrès indéniable pour les Mahorais. Cependant, beaucoup se plaignent de ne pas bénéficier de toutes les prestations sociales qu’offrent dans le reste du territoire ces organismes. Que leur manque-t-il pour devenir de véritables caisses de sécurité sociale ou d’allocations chômage ?

Sarah Mouhoussoune : En ce qui concerne la CSSM, il n’y a pas de caisse générale de sécurité sociale comme c’est le cas à la Martinique, en Guadeloupe ou à la Réunion. Ce qu’il manque à Mayotte, c’est qu’on soit l’égal des autres caisses ultramarines. On s’est battu pour que la CSSM devienne une caisse régionale de sécurité sociale. Je me rappelle avoir participé à une délégation avec les parlementaires mahorais pour rencontrer à l’époque le ministre Xavier Bertrand. On lui a demandé que la caisse de Mayotte soit une caisse de sécurité sociale, et à chaque fois on nous répondait : “Pour l’instant, ça ne va pas être possible, vous rentrez doucement dans le cadre du régime général, mais pour devenir une caisse générale, il faut d’abord que le statut de Mayotte soit clarifié et que vous deveniez un département. Tant que Mayotte ne sera pas un département, il ne pourra pas y avoir une caisse générale de sécurité sociale.”

Mais cela n’a pas empêché d’avoir certains textes appliqués à Mayotte, notamment pour le Code de sécurité sociale. Une partie est applicable à Mayotte. Tous les syndicats, aussi bien patronaux que de salariés, se sont battus pour qu’il y ait les mêmes droits pour tous les Mahorais. Un Mahorais, qui se déplace à la Réunion ou en Métropole, doit avoir les mêmes prestations qu’un Réunionnais à la Réunion ou un Métropolitain en Métropole. Pour l’instant, avec une attestation de sécurité sociale délivrée à Mayotte, on peut se faire soigner en Métropole, mais on ne peut pas se faire rembourser par les caisses là-bas. Ce fameux décret de coordination, on n’a jamais pu le faire sortir. Le délai de carence pour le Mahorais qui se met en arrêt maladie est de 5 jours, alors qu’en Métropole il est de 3 jours. Ce sont des choses qui font quand même la différence.

 

19/12/2008 - Petit déjeuner de Mayotte Hebdo - Sarah Mouhoussoune et Serge Castel

« On n’a pas de fonds structurels européens. On n’est pas Rup, ni département, ni ACP. On n’est même pas dans l’espace Schengen. Le jour où on est département, on commencera à avoir droit à certaines choses. »

Serge Castel

 

Serge Castel : J’ajouterai juste une phrase. Les Mahorais attendent la Carte Vitale. Mais surtout, ce qui est plus important, c’est la retraite ! La retraite actuellement à laquelle cotisent les salariés de Mayotte, c’est une misère ! Il va falloir quand même qu’ils aient la même retraite que les autres. Pour la CACM, elle rémunère les chômeurs licenciés. Cela a commencé simplement par les licenciés économiques. Ensuite on a modifié en demandant à notre tutelle et on a étendu à toutes les personnes licenciées. Là, on vient de prendre une décision pour que cela bénéficie aussi aux fins de contrats en CDD. J’espère qu’on pourra les rémunérer en début d’année. Ce qui manque, ce sont des vraies Assedic. Vu la fusion entre l’ANPE et les Assedic, il faudra que ça se fasse ici le jour où on sera département. Avec l’ANPE de Mayotte et non pas avec celle de la Réunion. C’est ce que nous défendons pour rémunérer le maximum de gens. Lorsqu’on a créé cette caisse, on s’est mis autour d’une table, on a négocié pendant 18 mois pour définir les modalités de remboursement, etc. On s’est basé sur la Métropole, la Réunion et la Nouvelle-Calédonie. On a commencé sans un sou. Au bout de deux ans, j’ai laissé la caisse à mon successeur avec plus d’un million d’euros en banque. Il y a de l’argent, mais le CA préférerait qu’il revienne dans le circuit plutôt que de rester en banque à rapporter des intérêts. Ce n’est pas l’objectif. L’objectif est de rémunérer les gens et de les aider à trouver du travail. Il y a un système d’accompagnement pour aider les chômeurs à retrouver du travail. Le jour où on deviendra pôle emploi, toute notre collecte comme pour la CSSM repartira pour Paris et on nous renverra juste ce dont nous avons besoin. C’est pour ça que pendant ma présidence, la CACM a acheté un local. Le jour où on devient Assedic, on leur remet les clés en disant “vous êtes propriétaires”.

 

Mayotte Hebdo : Le discours consistant à dire “il faut attendre d’être département pour faire…”, vous le justifiez ou vous le ressentez comme une excuse ?

Serge Castel : Tout est lié à ça. Actuellement, à Mayotte, on a absolument rien du tout. Je prends le cas d’une entreprise. On n’a pas de fonds structurels européens, à part le Fed pour l’assainissement, mais ça ne représente pas grand-chose. On n’y a pas droit. On n’est pas Rup, ni département, ni ACP. On n’est même pas dans l’espace Schengen. Le jour où on est département, on commencera à avoir droit à certaines choses. Mais d’après la presse, il faudra attendre 2014, date à laquelle la fiscalité de droit commun s’appliquera pour avoir un maximum de choses. Pour le RSA, ce serait pour 2024 ou 2025. (NDLR : cela est proposé pour 2010 mais à un montant équivalent à 25% de l’Hexagone) Ce n’est pas normal !

Sarah Mouhoussoune : Avant 2003, la CPS était libre de gérer ses réserves. Tout ce qu’il y avait ici est parti à la COS, la grande banque de la Sécu. Les gens n’ont pas compris et m’ont dit “Comment avez-vous accepté de faire monter toutes ces réserves issues des cotisations de tous les Mahorais à Paris ?” Mais on entrait dans le giron de la caisse nationale de sécurité sociale et donc la solidarité nationale jouant pour Mayotte, il était tout à fait normal que les Mahorais participent à la caisse nationale. Cela a été une fierté de dire que les Mahorais participent à cette solidarité nationale. Nous, au niveau de notre CA, on s’est battu avec le Medef, en disant qu’une partie de ces réserves puisse rester à Mayotte pour servir l’économie mahoraise. Mais il a fallu batailler dur pour faire accepter cette idée et en fin de compte, cela a marché. Une bonne partie est restée ici, nous avons pu les placer dans les banques. Cela a permis de mettre en place l’assurance maladie, embaucher de jeunes mahorais, les envoyer en formation, acheter le matériel. Une partie de cette enveloppe reste encore à la caisse. Le nouveau CA se battra pour qu’une partie serve à la construction du siège de la CSSM aux Hauts Vallons avec une participation de la caisse nationale.

Il faut expliquer à nos frères ici que jusqu’à un moment donné, les soins étaient gratuits à l’hôpital. Mais avec l’assurance maladie, il nous faut des médecins privés. Et si on ne se bat pas vraiment pour avoir une vraie sécurité sociale, cela ne sert à rien. Les médecins privés ne viendront pas car cela ne peut pas marcher. Il faut que dans la perspective du département, tout le monde s’approprie cette culture de l’assurance maladie. Il ne faut pas que ce soit seulement les autres qui nous donnent, il faut aussi que l’on participe.

 

 

19/12/2008 - Petit déjeuner de Mayotte Hebdo - Sarah Mouhoussoune et Serge Castel

« On peut être contre sur certains dossiers à Mayotte, mais sur le statut de Mayotte, il ne faudrait pas que l’on soit divisé. »

Sarah Mouhoussoune

 

Mayotte Hebdo : Une délégation d’élus rencontre aujourd’hui le Président de la République Nicolas Sarkozy. Le président du conseil général Ahamed Attoumani Douchina a affirmé que c’était l’occasion pour les élus mahorais de parler d’une seule voix. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?

Sarah Mouhoussoune : Cela avait déjà été annoncé lorsqu’une délégation est allée remettre la résolution du 18 avril votée par tous les élus du CG à l’unanimité. Je pense que certaines personnes avaient un doute sur cette unanimité concernant la départementalisation. C’est ce que je dis toujours à mes collègues. On peut être contre sur certains dossiers à Mayotte, mais sur le statut de Mayotte, il ne faudrait pas que l’on soit divisé. Le 18 avril, quand nous avons voté cette résolution, c’était quelque chose de très très fort. Lorsque nous nous sommes déplacés à Paris les jours suivants, on nous a fait comprendre qu’il y avait une feuille de route qui était en cours et que déjà des groupes de travail étaient en place depuis un certains temps, notamment au niveau interne à Paris où il y en avait 15 ! Cette feuille de route serait confrontée aux travaux faits ici par les élus pour une restitution en été. Cela n’a pas été respecté et je dis même que le travail fait en interne à Paris n’a pas été confronté à ce qui a été fait à Mayotte. Je me pose des questions.

Il n’y a pas eu ces échanges et aujourd’hui une délégation se présente à Paris, composée de tous les élus, de certains anciens et de la société civile. On va leur expliquer les tenants et les aboutissants de cette feuille de route. Mais est-ce qu’on ne va pas nous imposer certaines choses de Paris par rapport à ce que la population qui a voté est endroit d’attendre. Des questions se posent sur le logement social, le foncier, la formation, l’éducation. Sur tous ces problèmes-là, est-ce que le travail a été fait ? Si on avait échangé comme c’était prévu dès le départ, il n’y aurait pas eu de souci. J’ai une petite appréhension, qu’on nous dise : “C’est à prendre ou à laisser”. Certes les Mahorais vont choisir pour le référendum. Mais dès le départ, on doit connaître le tracé. La question qu’on nous posera sera-t-elle claire et nette ? Comme par exemple “Voulez-vous un département ou non ?”. Beaucoup de Mahorais ont peur que ce soit un deuxième katiba. J’ai un doute, mais j’espère quand même que nos deux représentants du Néma, Moussa Abdou et Saïd Omar Oili qui par ailleurs n’a pas été invité en tant qu’ancien président du conseil général mais a reçu une invitation de l’Elysée, ce qui est un désaveu pour ce comité de réflexion sur la départementalisation, qu’ils puissent négocier et demander ce que les Mahorais attendent au cas où cela ne figurerait pas dans la feuille de route.

Serge Castel : J’ai un petit bémol à apporter à tout ça. Certes, le 18 avril il y a eu unanimité. Même si certains l’ont fait du bout des doigts. Pourquoi entre 2004 et 2008 – Sarah n’était pas encore là – cela n’a pas été fait ? Toutes les conditions étaient réunies pour que la départementalisation se fasse rapidement. Jacques Chirac était au pouvoir et il a toujours été un grand défenseur de Mayotte. Nous avions Mansour Kamardine qui était député et qui était très bien avec le Président de la République et tous ses ministres et qui pouvait défendre la chose. Pourquoi cette motion n’a pas été votée entre 2004 et 2008 ? Nous serions peut-être déjà département si cela avait été fait à ce moment là ! Pourquoi est-ce qu’il a fallu attendre une nouvelle législature, avec de nouveaux élus pour lancer cette motion ? Ca m’étonne ! C’est pour ça que j’ai dit que certains ont voté du bout des doigts.

Il est bien entendu que celui qui vote contre la départementalisation à Mayotte, il est mort politiquement ! On aurait pu le faire plus tôt car on avait tous les atouts pour le faire. Moi aussi j’ai des doutes, non pas sur ce que va dire le Président, car j’ai toute confiance envers le Président de la République, mais j’ai des doutes sur la question qui va être posée au mois de mars. Pour moi elle est facile, je suis très pragmatique : “Voulez-vous être département ou non ?”. C’est la seule question qui mérite d’être posée. Il semblerait qu’il y ait des comités de réflexion dans les ministères qui réfléchissent à ces questions. Je me demande s’il n’y a pas un piège, s’ils ne vont pas poser une question que la population ne comprendra pas, même si on lui expliquera. Il faut se méfier de ça. Je ne pense pas personnellement que le gouvernement ait une volonté de ne pas faire de Mayotte un département. Les élus et les ministres en sont convaincus. Mais ce sont les fonctionnaires dont je me méfie. Ils peuvent peut-être poser une question qui laisse à désirer.

Sinon, la départementalisation à 100% du jour au lendemain, on ne pourra pas l’avoir parce que nous avons des problèmes juridiques, notamment le droit de la fiscalité. Mais il n’y a pas que ça. Il y a un gros problème de foncier. Pour la fiscalité, il faut savoir qu’on paye beaucoup plus d’impôts qu’ailleurs. L’individu lambda est beaucoup plus imposable qu’à la Réunion. Il faut revenir à des bases plus raisonnables en ce qui concerne l’imposition. Je ne parle pas des entreprises. Elles paient 33% sur le bénéfice, c’est ce qui se passe dans tous les départements français. Je parle de l’impôt sur le revenu. Il y aussi le problème des taxes douanières. Il faudra le régler car l’inflation galope. Je gère le port, les coûts portuaires sont énormes et je ne sais pas comment faire pour les diminuer. Tout ça se retrouve sur le prix à la consommation. Il y a augmentation des prix, augmentation des salaires, donc on arrive à une période inflationniste chez nous qui n’est pas connue ailleurs parce qu’on a des prix qui sont beaucoup trop chers.

Ce qui me gêne beaucoup, c’est ce qui se passe de l’autre côté, aux Comores, et l’implication pour essayer de dissuader les Mahorais de voter oui à cette départementalisation. Ils ont placé leurs pions depuis quelques années dans les administrations et vous avez des gens qui ne le disent pas publiquement, mais en dessous ça se sait. C’est une chose à laquelle les Mahorais doivent faire très attention.

 

« Si vraiment on veut défendre les Mahorais, il faut s’occuper de l’économie ! »

Serge Castel

 

Mayotte Hebdo : M. Castel, vous évoquiez les coûts portuaires et l’inflation galopante. Nous sommes dans une crise économique et financière mondiale. A Mayotte, la commande publique baisse, le BTP souffre. Comment la CCI prépare ses adhérents à cela ?

Serge Castel : Il faut comprendre une chose. La CCI n’est pas un syndicat. Le Medef joue le rôle de défense des entreprises, nous nous jouons le rôle d’assistance aux entreprises. On fait souvent la confusion. Comme j’ai été le président du Medef pendant longtemps, on vient souvent pour les défendre. Si je peux le faire, je le fais, mais ce n’est pas mon rôle. Notre rôle, c’est toutes les entreprises de Mayotte qui relèvent du secteur du commerce, de l’industrie et des services. Elles dépendent de la Chambre et nous leur devons assistance quand elles ont besoin de préparer un dossier, quand elles ont besoin de conseil juridique, etc. Nous avons tous les services dans la Chambre que j’ai mise en place depuis que j’ai été élu. On assiste le Medef quand celui-ci nous le demande. Cela a été le cas quand on est allé voir Yves Jégo et que l’on a demandé l’exonération de charges sociales, les zones franches que nous n’avons pas obtenues d’ailleurs.

Les belles années sont derrière nous. 2009 va être très mauvais et 2010 sera encore plus mauvais. Il va y avoir des licenciements dans le bâtiment, mais pas que dans ce domaine. Comme la commande publique n’est pas à jour, et la commande privée qui a fait vivre les promoteurs et les constructeurs se casse la figure puisqu’ils anticipent sur la fin de la loi pour l’Outremer, il y aura de moins en moins de construction, de moins en moins de grues et forcément moins de salariés, qui vont se retrouver à la CACM. Il faut prévoir cela. Les banques ont ordre du gouvernement de continuer à prêter car elles ont un taux de progression de 4,5% je crois. Elles vont jouer le jeu car elles sont obligées, mais elles veilleront au grain.

Ce qui nous arrive à l’échelon de la planète est dû aux Etats-Unis. Mon fils vit là-bas, il est Américain et travaille chez Microsoft. Là-bas, vous avez des maisons à vendre partout et personne n’achète. A Mayotte, on est moins touché car les banques sont solides, mais il y aura moins d’emprunts, moins de constructions à vendre, moins d’acheteurs et du personnel qui va être licencié. Par voie de conséquence, d’autres secteurs vont être touchés. Quand il y a moins de salaires qui tombent, la distribution vend moins, le service vend moins, etc. Concernant la commande publique, je suis désespéré. Je parle devant une conseillère générale, mais je suis désespéré parce qu’on ne s’occupe actuellement que de la départementalisation. Il n’y a rien d’autre !

On ne s’occupe pas des entreprises, pas des appels d’offres. Il y a des appels d’offres qui ont été rendus caducs sous l’ancienne législature et qui n’ont pas été renouvelés. Les dossiers économiques ne passent pas en commission ou très peu et ça, il faut que ça s’arrête ! Si vraiment on veut défendre les Mahorais, il faut s’occuper de l’économie ! Il n’y a que l’économie qui peut faire fonctionner Mayotte. Ce n’est pas le public ou la CDM qui va embaucher, c’est le privé ! On crée bon an mal an entre 1.500 et 2.000 emplois, même si on a à peu près 4.000 jeunes qui apparaissent sur le marché du travail. S’il n’y a pas ces 1.500 emplois qui sont créés, que vont faire les jeunes ? Et si on ne s’occupe pas de l’économie pour aider les entreprises actuellement qui vont être en difficulté, ça va être la catastrophe ! Je tire la sonnette d’alarme en disant aux conseillers généraux : “occupez-vous de l’économie !” Et pas de subventions aux associations. Occupez-vous plutôt de délivrer des appels d’offres et d’aider les entreprises qui veulent investir ! Actuellement, ce n’est pas ce que nous voyons.

 

« Depuis que je suis dans cet hémicycle, je pensais que j’allais participer à la construction de ce pays, mais nous ne parlons que du statut. (…) Si aujourd’hui on n’aide pas les entreprises à se développer à Mayotte, on va droit au mur. »

Sarah Mouhoussoune

 

Sarah Mouhoussoune : Je suis tout à fait d’accord avec M. Castel. Depuis que je suis dans cet hémicycle, je pensais que j’allais participer à la construction de ce pays, mais nous ne parlons que du statut. C’est vrai que nous voulons ce statut de département. Mais nous avons des personnes qui sont là pour défendre ce statut, notamment nos parlementaires. A nous maintenant entre élus locaux, notamment conseillers généraux, de faire en sorte que l’économie de ce pays puisse se développer, que l’on puisse créer de la richesse, créer de l’emploi. Depuis le mois de mars, je n’ai pas cette impression. A chaque session, à chaque commission permanente, nous n’arrêtons pas de tirer la sonnette d’alarme en disant : “on va droit au mur, on risque d’avoir plein de problèmes économiques qui vont créer de graves problèmes sociaux”. L’économie ne marche pas, les emplois seront perdus et les gens descendront dans la rue.

 

Mayotte Hebdo : Vous parliez de 4.000 jeunes arrivant sur le marché du travail. Il y a également ceux qui partent étudier en Métropole et qui échouent. Qu’est-ce que Mayotte peut offrir à ces jeunes ? Comment envisagez-vous leur avenir sachant que se développe un phénomène nouveau, la violence à l’école ?

Sarah Mouhoussoune : A chaque session, ce sont des questions qui nous intéressent. Je suis mère d’enfants, vous avez des enfants (à l’adresse de Serge Castel), vous serez parents (à l’adresse des journalistes). Il y a beaucoup d’échecs effectivement, mais il y a aussi beaucoup de réussites. Que deviendront ces jeunes ? Au CG, on ne peut plus embaucher. On ne peut pas aussi espérer ne travailler que dans l’administration. Que reste-t-il à faire ? C’est le privé, créer des entreprises. Si aujourd’hui on n’aide pas ces entreprises à se développer à Mayotte, on va droit au mur. Ce sera une grosse délinquance parce que ces jeunes resteront oisifs, n’auront pas de travail, se mettront à boire. Et après qu’est-ce qui se passera ? C’est ce qu’on voit à la Réunion tous les jours dans la rubrique des faits divers dans la presse.

Ce sera difficile et pour leur famille et pour toute la population de Mayotte. Je ne voudrais pas voir ça arriver dans quelques années. Au contraire, j’aimerais que Mayotte se construise avec ces jeunes qui ont vraiment envie de faire quelque chose pour ce pays et que l’on puisse les aider. Je le dis et j’assume, peut-être qu’après le référendum de mars 2009, beaucoup de gens seront déçus. Parce qu’on aura perdu une année, on n’aura pas aidé les entreprises, on aura perdu du temps pour rien. On n’a pas d’excuses aujourd’hui, on n’a pas le droit à l’erreur. Il y a toute cette jeunesse qui a envie de rentrer au pays, pour participer à sa construction, malgré le taux d’échec. Il y a eu un rapport que nous n’avons toujours pas reçu de la Dasu Paris sur le taux d’échec des étudiants mahorais. Personne n’ose publier ce rapport ! J’aimerais bien qu’on le publie pour qu’on puisse faire face à ces difficultés, voir pourquoi il y a eu ces échecs. Personne ne veut assumer ses responsabilités. On va cacher, cacher et encore cacher et il n’y aura pas de langage de vérité. Il faut un langage de vérité vis-à-vis de la population, aujourd’hui c’est ce qu’on demande de la part des élus et c’est ce qu’il manque. On n’est plus en campagne politique, quand on subventionne certaines associations, quelques petites structures, on est plus dans une campagne politique que dans une vision globale de développement de l’île de Mayotte.

 

« Le Mahorais a dans l’esprit qu’il faut rentrer dans l’administration, de la CDM ou de l’Etat. Combien de fois m’a-t-on reproché que Kawéni était une zone de chefs d’entreprises de Mzungus ? Est-ce que c’est de ma faute ? »

Serge Castel

 

Serge Castel : Il y a une chose à comprendre aussi. Le jour où vous avez le département, on a 40.000 Mahorais qui rentrent au pays. Et là, c’est la catastrophe ! Je reçois entre 8 à 10 candidatures tous les jours à la CCI. Les Mahorais ne sont pas entrepreneurs. Il faut changer les mentalités. Le Mahorais a dans l’esprit qu’il faut rentrer dans l’administration, de la CDM ou de l’Etat. Combien de fois m’a-t-on reproché que Kawéni était une zone de chefs d’entreprises de Mzungus ? Est-ce que c’est de ma faute ? Dans les années 80-85, au début des années 90, j’étais là, il y avait des terrains à vendre à Kawéni, pour rien. Qui est-ce qui les a achetés pour monter des entreprises ? Ce sont les Métropolitains. Pourquoi les Mahorais n’ont pas acheté ? Parce qu’ils n’ont pas l’esprit d’entreprise. Ils n’ont pas cet esprit, il faut le leur inculquer. Il faut expliquer qu’être patron c’est commencer à 6 heures du matin et finir à 8 heures le soir. C’est aussi recevoir des appels du banquier qui nous rappelle à l’ordre au moindre découvert. Mais une fois que l’entreprise a connu son seuil normal, c’est quand même beaucoup plus intéressant d’être son propre patron, d’avoir des revenus qui soient suffisants. Le problème est là, il faut que les Mahorais créent des entreprises dans les domaines qui les concernent.

Je veux créer ici à Mayotte – j’en ai pas les moyens pour le moment – une EGC (Ecole de gestion et de commerce) comme il y en a dans toutes les CCI de France. C’est un bac+3 et la plupart de jeunes qui sortent d’une EGC trouvent du boulot tout de suite. C’est une formation bien spécifique, avec de l’alternance en entreprise qui fait que c’est une validation très intéressante pour les entreprises. Je l’ai mis dans mon programme, si ce n’est pas moi qui la met en place, ce sera peut-être mon successeur. Le problème de la création d’entreprise est un problème vital à Mayotte. Il faut que les Mahorais créent des entreprises. Est-ce que c’est de notre faute si Kawéni est comme ça ? Je n’y suis pour rien ! Il faut être conscient de ce problème-là. On n’utilise pas suffisamment l’ANT (Agence nationale pour l’insertion et la promotion des travailleurs). Elle a des budgets pour Mayotte qui ne sont pas utilisés ou très peu. On a cette possibilité d’exporter nos jeunes pour qu’ils aillent se former ailleurs, éventuellement. D’autres restent en Métropole et d’autres reviennent. Quand ils reviennent, ils font le tour. Ils font les administrations, le CG, la CCI. Rares sont ceux qui vont voir la Colas, la SMTPC, SFR, parce que c’est du privé. Dans leur esprit, le privé ce n’est pas bon.

Sarah Mouhoussoune : Moi je l’assume et je le dis. Mes gamins – à part un seul qui est rentré et qui travaille dans le privé – sont en Métropole. J’ai financé leurs études car ils n’avaient pas de bourse, alors je trouve légitime qu’ils travaillent là où ils trouvent du boulot. Pour moi, s’il ne peut pas monter sa propre entreprise et qu’il vient tourner en rond en étant frustré et dire après “c’est le muzungu qui a pris notre place”, je ne suis pas d’accord. Je mettrai un bémol par rapport à ce que dit M. Castel. Je sens que depuis un certain temps les jeunes ont envie de créer. A nous maintenant, les élus, de faire en sorte de pouvoir leur donner les moyens. Qu’ils puissent s’installer. Et voir comment on peut leur faciliter l’exonération au niveau des charges sociales, parce que c’est un poids pour les entreprises. Si dès le départ la CSSM ou l’Etat vous disent : vous devez tant, ce n’est pas évident.

 

Mayotte Hebdo : Que manque-t-il ici en terme de formation qui serait cohérent avec la situation économique de Mayotte ? Faut-il absolument se former en Métropole ?

Serge Castel : Non, non, non, je ne pense pas qu’il faille se former en Métropole. Une EGC serait une excellente chose. Le Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) fonctionne très bien. Les gens peuvent se former à leur rythme tout en étant salarié. Il y a des domaines où l’on trouve très peu de Mahorais. Les commerciaux, les comptables, on trouve très peu de Mahorais et pourtant il y a des demandes. Dans ces domaines, il y a de la place. Mais le tissu économique est restreint à Mayotte. Il y a une autre chose qui gêne les entreprises à Mayotte, c’est le secteur informel. On finit une enquête sur tout le petit commerce à Mayotte. On a inventorié tous les commerces de toutes les communes. On a plus de 25% des commerces qui ne sont pas connus de la CCI, ni des services fiscaux. Ces gens-là ne paient pas de patente, n’ont pas de salariés. Ils achètent, ils importent, ils revendent en toute illégalité et ils peuvent faire des prix beaucoup moins chers. Le gars qui paie sa patente, lui est handicapé. Il y a beaucoup trop d’informel. Si on veut devenir département, il va falloir rentrer dans le rang. Cette enquête n’a jamais été réalisée, maintenant on a la preuve. Cela a pris 18 mois.

 

« Depuis le mois de mars, c’est le statu quo. Il n’y a rien du tout qui se fait, mon inquiétude est là. Tant qu’on continuera à travailler comme cela, je ne pense pas que l’on pourra développer quelque chose. »

Sarah Mouhoussoune

 

Mayotte Hebdo : Quelles sont les relations entre les élus et le tissu économique ? Récemment, il y a eu des dossiers comme la défiscalisation que la CCI et le Medef sont allés défendre à Paris et où vous déploriez un manque d’implication des élus.

Serge Castel : On ne sait pas parler d’une seule voix. Regardez pour la départementalisation. Il y a le président du CG, un sénateur d’un côté, un autre de l’autre et il y a le député ailleurs. Quatre directions, ce n’est pas possible. En ce qui concerne l’économie, ce serait normal que la CCI aille voir un ministre quelconque avec le Medef et un élu du CG chargé de l’économie, en disant on vient ensemble. On aurait beaucoup plus de poids ensemble plutôt que chacun de notre côté. Ca ne se fait pas et je ne sais pas pourquoi. De toute façon, à chaque fois que j’écris, je n’ai pas de réponse. Il y a 12 dossiers qui sont en suspens. La pépinière d’entreprise, justement dans le cadre de la création d’entreprises pour héberger des jeunes créateurs des entreprises, les aider pendant 2 ans. J’ai visité à Tahiti, à la Réunion, en Métropole des pépinières d’entreprises. C’est bon pour la création d’entreprises, on héberge des jeunes qui veulent créer des entreprises de toutes sortes et après on les lance tout seul. C’est un projet important, mais aucune réponse. Il y a les pontons, que je vais fermer bientôt, le contrat de projet qui tarde à venir, le port…

Sarah Mouhoussoune : Cela fait sourire quand j’entends le président dire l’unité, l’unité. Mais en fin de compte, je ne pense pas qu’il y ait une unité. Quand je suis arrivé au CG, j’étais peut-être novice, je me faisais des idées, mais que quand les dossiers importants concernant l’avenir de Mayotte seraient traités, on s’assoirait autour d’une table, qu’on reprendrait le système de je ne sais plus quel préfet…

Serge Castel : (coupe) Bayle

Sarah Mouhoussoune : Le système des assises du préfet Bayle. C’était un système qui marchait

Serge Castel : Oui je m’en souviens

Sarah Mouhoussoune : On avait des thèmes particuliers. Par exemple sur l’immigration et tout le monde pouvait y participer. Je pensais que sur les gros dossiers, on ferait participer des chefs d’entreprises ou sur des grosses constructions que le directeur de la DE vienne. Ca ne s’est pas fait et depuis le mois de mars, c’est le statu quo. Il n’y a rien du tout qui se fait, mon inquiétude est là. Tant qu’on continuera à travailler comme cela, je ne pense pas que l’on pourra développer quelque chose. On ira plus vers de graves problèmes. Il y a déjà eu les instituteurs, là de nombreux salariés du privé vont cogner aux portes du CG et demander aux élus : “nous allons être licenciés, qu’avez-vous à nous proposer ?”

Aujourd’hui, mon grand souci, c’est le logement social. On en parle mais il n’y a jamais rien de concret. On en a déjà discuté M. Castel, effectivement, il y a d’autres possibilités pour pouvoir rattraper ce travail. Pourquoi les communes ne se retrouvent pas avec la CDM et l’Etat pour se dire comment faire pour que la CDM puisse céder les terrains qu’elle a pour pouvoir donner aux communes et faire le maximum de logements sociaux. La Sim n’ayant pas la capacité suffisante de faire tout ce qu’il y a à faire, pourquoi ne pas faire venir des investisseurs privés, comme ça se passe à la Réunion, et mettre le paquet pour rattraper ce retard ? Franchement, si on se mettait à travailler sur ce projet là, les personnes qui nous ont élus seraient satisfaites. Dans 6 ans, vu comment se déroulent les choses, on n’est pas sûr que nos concitoyens nous rééliront. Je pensais que nous pourrions travailler, même dans l’opposition. Nous ne sommes pas là pour dire non systématiquement, mais pour alerter quand ça ne va pas.

Serge Castel : Pour le logement social il y a des possibilités de défiscalisation. Mais il faudrait qu’il y ait une entreprise telle que la SIDR à la Réunionla Sim ne peut pas le faire. On n’a pas de logement social depuis des années, en tout cas très peu, la Sim ne construit pas assez. Il en faut sinon c’est la catastrophe. On a quand même de plus en plus de population et actuellement personne ne s’en occupe. Donc je pose la question car c’est vital, cela concerne les entreprises pour la défiscalisation : dans les autres départements elle pourra être transférée et pas chez nous. À la Réunion ils ont déjà commencé. qui vienne s’installer ici. J’en ai parlé au préfet, il faudrait cela car au bout de 5 ans, cette entreprise rachète les logements sociaux, et c’est dans ce cas là qu’ils peuvent être défiscalisables,

 

« Il faut dynamiser ce marché. Actuellement vous allez faire un tour au marché, vous voyez les mêmes produits qui sont achetés au même endroit et qui sont vendus au même prix. »

Serge Castel

 

Mayotte Hebdo : Parlons maintenant du marché de Mamoudzou. Mayotte Hebdo en a parlé plusieurs fois et fait apparaître que la CCI était intéressée par sa gestion. Où en est le dossier ?

Serge Castel : Il y a toujours un problème entre l’architecte et le conseil général sur la livraison, mais cela ne nous concerne pas. J’ai posé la candidature de la CCI pour la gestion. Nous sommes les seuls à même d’assurer la gestion. Actuellement on gère un bidonville, demain on pourrait gérer un vrai marché. J’ai appris que la semaine dernière les commerçants sont allés taper à la porte du CG et que leur représentant s’était exprimé à la télé contre la prise de la gestion par la CCI parce qu’on voulait mettre d’autres personnes dans le marché.

Il y a 380 commerçants pour 245 places. Je parle des boxes. Que puis-je faire ? En plus, ce sont des boxes tout petits de 9m². Supposons qu’on place 245 personnes, que faire des autres ? C’est un sujet qui a été évoqué à la préfecture, ensemble. Ce serait peut-être bien que le maire, à qui j’en ai parlé également, puisse installer ces commerçants provisoirement sur le terre-plein de M’tsapéré. Je pense que l’Etat serait d’accord pour leur céder ou faire une AOT sur ce terrain compte tenu de l’urgence de la situation. Cela dit, il y a des critères de sélection. Il faut d’abord être inscrit au registre du commerce, avoir payé sa patente, être en règle de ses loyers à la CCI et être de nationalité française ou avoir une carte de séjour de dix ans. Ce sont les quatre principaux critères. J’ai la liste de ceux qui les remplissent. J’ai fait travailler mes services là-dessus. J’ai récupéré un marché avec 510.000€ de dettes que j’ai actuellement dans ma comptabilité. Si demain je n’ai pas la gestion du marché, j’en fais quoi ? Quelqu’un doit me les rembourser.

Si nous l’avons, même si on épuise ces 510.000€ sur 10, 15 ans, 20 ans, ça m’est égal, mais qu’on puisse les épuiser. Autre problème, actuellement ils payent 38€ de loyer, demain ce sera entre 150 et 200€ par mois. Comment faire ? Vous avez des bouénis qui font 50€, voire seulement 30€ de recette par jour. Comment vont-elles faire pour payer un loyer si élevé ? Et le pire, c’est que ce sont des dames qui doivent faire vivre leur famille et qui n’ont que ça pour vivre. Enfin, le dernier point, c’est qu’il faut dynamiser ce marché. Actuellement vous allez faire un tour au marché, vous voyez les mêmes produits qui sont achetés au même endroit et qui sont vendus au même prix. Quel intérêt demain de se balader dans le marché et de voir les mêmes produits qui viennent de Dubaï et qui n’intéressent personne ? Il faut changer les mentalités. Moi ce que je voudrai c’est dynamiser ce marché. C’est-à-dire mettre des activités qui n’y sont pas, par exemple mettre des fleurs, un boulanger qui fait son pain sur place, un cordonnier, un serrurier, un bijoutier, un magasin de mode, je ne sais quoi d’autre, mais qui fasse que des gens auront envie d’aller faire un tour au marché.

Mon plus grand souci ça a été de trouver des vendeurs de légumes qui ne soient pas clandestins. J’ai eu des demandes de Mahorais, de Métropolitains, qui ont des exploitations et qui veulent vendre leurs légumes au marché. Le problème des légumes devrait être résolu, celui du poisson aussi, on a la Copemay et d’autres. Mon problème c’est le boucher, personne ne veut s’installer, ça n’existe pas. Il faut un marché vivant, qui bouge, sinon ils vont avoir des loyers 5 fois plus chers et ils vont faire un chiffre d’affaires moindre, donc ils vont tous se casser la figure.

 

« Le problème c’est qu’on a aucune réponse aux questions que l’on pose. J’ai l’impression qu’on n’a pas envie qu’il y ait des touristes à Mayotte. »

Serge Castel

 

Sarah Mouhoussoune : Est ce qu’il ne serait donc pas nécessaire de communiquer là-dessus, d’informer ? Beaucoup sont là en attente et on ne leur explique pas les problèmes.

Serge Castel : Je les ai reçues. Une fois elles sont venues à 300 bouénis bloquer la chambre. Mais récemment j’ai reçu une délégation. Ils m’ont dit que les 245 places doivent être attribuées à des commerçants actuels. Ils m’ont dit que de toute façon, au bout de 2 ou 3 mois, il y en aura qui ne pourront pas payer leurs loyers, vous les virerez et en mettrez d’autres à la place. Moi je veux bien, mais ça c’est de la politique pas de l’économie. De toute façon, beaucoup d’entre eux ne pourront pas y entrer car ils ne sont pas à jour de leur loyer ou de leur patente. A la prochaine réunion, je crois que c’est le 8 janvier, moi je vais mettre les choses au clair avec le conseil général : vous me dites qui est le gestionnaire tout de suite, ou je retire ma candidature. Parce que le marché ce ne sont que des soucis. De toute façon, je doute que le maire de Mamoudzou accepte et le conseil général pareil.

 

Mayotte Hebdo : Le ponton, le marché,… tout cela nous amène à parler de tourisme et du fait que Mayotte a perdu le marché Costa croisières.

Sarah Mouhoussoune : C’est très grave.

Serge Castel : Oui c’est grave parce qu’à mon avis ils ne reviendront pas et personne ne s’en est soucié vraiment, à part le préfet. Il m’a demandé récemment si on ne pouvait pas accueillir les croisiéristes au port. On aurait pu trouver une solution, mais là, maintenant, Costa ne reviendra pas. Et le problème c’est qu’on y perd beaucoup et que personne ne s’en occupe. Moi j’ai la solution, on pourrait, à partir de l’année prochaine, faire de petites installations au port pour les accueillir là-bas. D’autant plus qu’on va créer en septembre une zone de vie avec des restos, des brochettis, etc… Une zone d’accueil, sympa, où les gens pourront se promener le soir, donc ça conviendrait à l’arrivée des croisiéristes. Mais le problème c’est qu’on a aucune réponse aux questions que l’on pose. Le ponton croisiériste est brinqueballant – ce n’est pas la CCI qui s’en occupe. J’ai l’impression qu’on n’a pas envie qu’il y ait des touristes à Mayotte.

Sarah Mouhoussoune : Oui, encore une fois on voit que cette nouvelle assemblée au CG est plus branchée sur une politique politicienne, mais jamais sur l’économie du pays. Moi je le dis encore : je suis très inquiète. Le tourisme c’est quand même important, ça amène des personnes qui dépensent leur argent ici et qui parlent de Mayotte à l’extérieur. Je ne sais pas si ces personnes à la tête du comité du tourisme ont réfléchi à cette grande perte.

Serge Castel : On est en train de brandir la bannière du département en ignorant tout le reste. Etre département, c’est accroitre les responsabilités des élus. C’est prendre conscience de ces responsabilités, surtout au niveau économique, mais là je n’ai pas l’impression qu’on prenne conscience. On veut un département pour quoi ?

 

« Dans un département il faut que l’économie marche, que le tourisme marche, que ce soit une vitrine aussi de l’océan indien. (…) Je dis qu’au lieu de développer l’île on va régresser. On va droit dans des moments difficiles pour tout le monde. »

Sarah Mouhoussoune

 

Sarah Mouhoussoune : S’il fallait faire un choix aujourd’hui, si on nous disait on oublie pour quelques années l’histoire du département et on vous demande : est-ce que vous voulez choisir de d’abord développer votre île ? Franchement je serai pour ce choix parce que si on ne développe pas l’île, on va droit à la catastrophe. Parce que développer, c’est encore créer de l’emploi et quand vous voyez aujourd’hui toute cette jeunesse qui attend, si aujourd’hui on ne peut pas les former, on ne peut rien leur offrir, franchement un département sans rien dedans, ça ne sert à rien. Dans un département il faut que l’économie marche, que le tourisme marche, que ce soit une vitrine aussi de l’océan indien, que ce ne soit pas seulement l’île Maurice. J’ai entendu parler dernièrement de la recherche d’un nouveau directeur du comité du tourisme, on est juste à côté de l’île Maurice, qui a très bien réussi son développement touristique, pourquoi ne pas aller chercher des gens la bas, qui pourraient nous apporter leur expérience ? Mais non, pour des raisons amicales, politiques, on placera un ami. Donc je dis qu’au lieu de développer l’île on va régresser. On va droit dans des moments difficiles pour tout le monde.

Serge Castel : On manque d’hôtels, quand il y a un projet on ne l’aide pas. Pour les compagnies aériennes, on a un monopole, avec certes quelques nouvelles compagnies mais quand même toujours un monopole d’une entreprise qui ne veut pas baisser ses prix, même sous l’impulsion du Président de la République. Cela dit, l’avion est toujours plein. Il y a quand même un problème. Air austral a acheté ses Boeings 777 sur l’argent gagné à Mayotte, et sur 615 salariés il y a deux Mahorais, cela je ne le supporte pas.

 

Mayotte Hebdo : Vous avez participé récemment au Forum économique des Chambres de commerce de l’océan Indien aux Comores. Pensez-vous que ces relations économiques peuvent participer à la coopération régionale ?

Serge Castel : Tout à fait. En tant que président de la CCIM, quand je sortais du forum pour faire un tour, je ne faisais pas 10 mètres sans être abordé par un Comorien, Anjouanais ou Mohélien. Ils veulent tous faire du commerce avec Mayotte, travailler avec Mayotte. J’étais sans cesse sollicité par des entrepreneurs. Et il y a une réflexion qui m’a été faite par un jeune comorien qui a des responsabilités économiques, qui m’a dit : « moi je suis né en 1975, je me fiche de ce qui s’est passé avant. Je suis chef d’entreprise, je suis la pour gagner de l’argent. Donc le statut de Mayotte je m’en fiche, je veux faire des affaires et développer mon entreprise ». Voilà pourquoi ça peut changer. Ces jeunes là ont cet esprit. C’est un écran de fumée, on parle de Mayotte sans arrêt pour cacher la misère, parce que Moroni maintenant c’est la misère, il n’y a rien. Donc réclamer Mayotte qui est considérablement développée par rapport à eux, franchement que vont-ils en faire ? Ils sont en train de faire du bourrage de crane auprès des Comoriens pour ne pas parler du reste. Mais nous faisons des efforts. En début d’année je vais organiser un forum ici entre chefs d’entreprises mahorais et comoriens. C’est un peu à la demande de la préfecture d’ailleurs, pour mettre à plat les problèmes économiques – mais pas les problèmes politiques. Mais parmi ces problèmes, il y a une chose importante qui est la circulation des personnes et des biens, et notamment le problème des visas. Il faut arriver à autoriser les chefs d’entreprise à circuler, sinon on ne pourra pas parler de coopération si on empêche les gens de venir chez nous. On fait des efforts vers les Comores.

 

« On a choisi d’être Français. Les Comoriens doivent le respecter. Mais que les élus mahorais prennent leurs responsabilités. »

Sarah Mouhoussoune

 

Mayotte Hebdo : Justement, la circulation des biens et des personnes était le thème du dernier round du GTHN et on a l’impression qu’il ne s’y est pas dit grand-chose de concret.

Sarah Mouhoussoune : Je n’en ai pratiquement pas entendu parler, aucun élu n’y a été. Je trouve cela regrettable, car quand nous sommes allés à Paris déposer la résolution pour le département, je me rappelle des propos de M. Douchina qui a dit qu’il se déplacerait aux Comores pour anticiper la coopération régionale. Et quand j’apprends aujourd’hui qu’aucun élu n’était présent cette fois, je me demande si on veut vraiment que les choses avancent. On a choisi d’être Français. Les Comoriens doivent le respecter. Mais que les élus mahorais prennent leurs responsabilités, on a accepté de travailler ensemble. Si ce groupe de travail avait vraiment fonctionné, on aurait pu ensemble trouver des solutions, car ce n’est pas en restant enfermés chez nous qu’on va changer les choses.

D’autant qu’il y a de l’hypocrisie car on ne veut pas parler avec eux, mais en même temps on reçoit ses amis ici, on part en vacances là bas, donc pourquoi ne pas clarifier les choses et faire tout cela dans la transparence ? Je reviens encore sur ces assises qui avaient été organisées par M. Bayle. J’avais eu à traiter le thème de l’immigration clandestine, je représentais FO à l’époque. J’ai eu droit à des propos durs du préfet qui disait que ce que je proposais était utopique, car je disais justement que pour endiguer ce fléau il n’y avait que la coopération régionale. Aider les Comoriens à rester chez eux, à travailler chez eux et vendre leurs produits à Mayotte. Je me suis fait traiter de tous les noms, pourtant je me souviens que par la suite, M. Bamana – paix à son âme – est venu me dire « Sarah tu avais raison et cette proposition que tu as faite, je la ferai mienne. » Et si depuis cette époque on avait concrétisé les faits, pas seulement sur du papier, je crois que beaucoup de choses auraient été réglées. Dès qu’on avance, on recule à petits pas, comme cette fois où les élus ne sont pas venus. On est adultes, il faut savoir se parler.

Serge Castel : A la décharge du président du CG, j’avoue qu’à sa place j’aurai hésité. Parce que compte tenu de ce qui s’est passé ces derniers temps, les propos de Sambi contre la consultation, qui insulte Mayotte et les Mahorais… ça suffit ! Il faut faire une différence entre la politique et l’économie, l’économie c’est gagnant–gagnant, les chefs d’entreprises comoriens y gagneront autant que les Mahorais. La politique c’est autre chose. La France a récemment donné de l’argent pour payer leurs fonctionnaires, on n’arrête pas de faire des efforts alors qu’eux n’en font jamais. Alors je me mets à la place des élus qui n’y sont pas allés à juste raison, car il faut arrêter : les Comoriens n’ont qu’un seul sujet de conversation au GTHN, c’est les visas, le reste ils s’en fichent complètement. Il n’y a que les chefs d’entreprise qui s’intéressent à l’économie. C’est pour cela d’ailleurs que moi j’ai envoyé un élu de la chambre de commerce avec le préfet, en l’occurrence Michel Taillefer.

Et des choses ont avancé. Vous avez vu récemment les légumes qui sont arrivés d’Anjouan, ça ne se faisait jamais avant. On a d’autres choses à leur acheter, à Anjouan notamment. Pourquoi importer des pommes de terre d’Europe qui coutent trois fois plus cher que celles des Comores ?

 

« Le problème de l’immigration clandestine pourra se régler vraiment le jour où les Mahorais prendront conscience des choses. Actuellement qui héberge les clandestins, qui les fait vivre, les emploie, qui leur loue des terrains ? »

Serge Castel

 

Sarah Mouhoussoune : Moi je comprends aussi les Comoriens quand on parle de visas. Quand on voit tout ce qui se passe, cette dernière catastrophe en mer, tous ces morts. Est-ce qu’on va pouvoir accepter cela encore longtemps ? Le visa ne va pas régler tous les maux mais va clarifier les choses. Avant le visa Balladur, il y avait quand même un visa, on savait qui rentrait à Mayotte, qui hébergeait qui. Si on ne parle pas des visas aujourd’hui, on aura toujours ce problème. Si on clarifie ce problème, les discussions seront je pense plus ouvertes. Et cette réclamation que font les Comores vis-à-vis de Mayotte, au bout d’un moment je pense qu’ils vont s’en lasser.

Serge Castel : Ça fait 30 ans que ça dure tout de même… (Ils rient tous les deux)

Sarah Mouhoussoune : Oui… Mais il y aura toujours des gens qui seront contre, même ici à Mayotte, ce sont des choses qui existeront toujours. Mais qui aujourd’hui – quand on connait tous les problèmes des Comoriens, pas d’électricité, d’eau, la misère, la saleté… – qui aujourd’hui accepterait que Mayotte puisse vivre ces mêmes difficultés. Je dis franchement que je m’y vois mal. Mais des relations de bon voisinage peuvent exister et elles ne le pourront que lorsque ces histoires de visas seront clarifiées, qu’on contrôlera les entrées et sorties. Car pour l’instant ce ne sont pas les meilleurs qui arrivent en kwassas, ce sont les grands délinquants, on le voit bien au tribunal. Les Comoriens sont heureux aujourd’hui, ils dorment portes ouvertes chez eux, leurs délinquants sont ici ! Est-ce qu’on va continuer à vivre comme ça ? Je ne pense pas, il faudrait réfléchir. La politique et l’économie sont des choses différentes, certes, mais elles vont de pair aussi.

Serge Castel : Le problème de l’immigration clandestine pourra se régler vraiment le jour où les Mahorais prendront conscience des choses. Actuellement qui héberge les clandestins, qui les fait vivre, les emploie, qui leur loue des terrains ? Ce sont les Mahorais. Le jour où ils comprendront qu’il faut arrêter ce qui est pour moi un esclavage des temps modernes, qu’il faut arrêter de les aider, ils viendront moins souvent ou moins nombreux. Vous vous souvenez il y a quelques années ce qui s’est passé à Sada ? Quand le maire a renvoyé 500 ou 600 personnes ? Ce n’est pas ça qu’il faut faire.

Sarah Mouhoussoune : Mais il les a rappelés quelque temps après… (Rires des deux)

Serge Castel : Oui c’est vrai. Mais ce que je veux dire c’est que je suis d’accord avec le président de la Capam quand il dit qu’il ne trouve pas d’agriculteur et qu’il ne peut embaucher que des Anjouanais. On peut le faire, du moment que ces gens là sont déclarés à la sécu, qu’ils touchent le Smig et pas 150€ par mois, après tout on a besoin que l’agriculture tourne ici, s’ils trouvent des salariés là bas, qu’on les autorise à le faire, mais de façon régulière, faire des visas saisonniers.

Sarah Mouhoussoune : Oui c’est ce qu’il faut faire.

 

« Si demain l’Anjouanais peut rester chez lui, cultiver chez lui et vendre ici, il préférera le faire et rester dans sa famille plutôt que d’être exploité ici. »

Sarah Mouhoussoune

 

Serge Castel : Mais il n’y a pas que les Mahorais. Il y a plein de Métropolitains, d’une catégorie sociale que je ne citerai pas, qui embauchent des bouénis à la maison à 150€ par mois pour 40h par semaine, pour eux c’est du social. En fait ils exploitent les gens. Je trouve cela scandaleux. Le jour où on comprendra qu’il faut arrêter de les aider, ils viendront moins. On ne règlera pas le problème sans ça, c’est impossible. En plus, les Mahorais ne se rendent pas compte qu’un jour ils seront moins nombreux ici que les Comoriens. Et ça va changer les choses. Regardez ce qui s’est passé le 27 mars, je n’admets pas cela et je pense qu’aucun Métropolitain de l’île ne l’admet. C’est scandaleux car c’est du racisme. J’espère que ça ne se reproduira plus car il y a eu des séquelles. Et je ne crois pas avoir entendu des Mahorais, à part une personne, s’offusquer de ce qui s’est passé ce jour là.

Sarah Mouhoussoune : C’est pour ça que moi je me pose des questions, que je n’ai pas voulu prendre parti par rapport à ce qui s’est passé le 27 mars. Je me demande si ce n’était pas quelque chose de voulu. Car les Comoriens vivent depuis des années ici et il n’y a jamais eu ce genre de débordements. Donc que d’un jour à l’autre, en une matinée, tout explose, je me demande si ce n’était pas organisé ou voulu par certaines personnes ici.

Serge Castel : Voilà, c’était le volet immigration clandestine (sourires), un peu difficile à éviter. Mais vous savez il y a quelques années, une mission sénatoriale était venue ici. J’avais évoqué certaines choses et on m’avait demandé d’écrire un courrier qui avait été lu au Sénat, et dans lequel je disais justement que la France devait aider les Anjouanais, construire un hôpital, des écoles, mettre des coopérants français. Qu’est-ce qui attire les Anjouanais ici ? La santé, l’éducation et bien sur l’économie car ils peuvent avoir quelques revenus, si faibles soient ils. Si on arrive à régler le problème de la santé et de l’éducation, ils seront moins nombreux à venir, et la France, plutôt que de distribuer de l’argent aux fonctionnaires, ils auraient mieux fait de construire là bas ce qui manque. A l’époque, Mme Girardin m’avait dit « tant qu’Azali sera président, on ne donnera jamais un rond ». Mais là c’est pire qu’Azali ! Si on avait aidé Anjouan, on n’en serait pas là.

Sarah Mouhoussoune : Et je pense à cet exemple qu’on a vu récemment de l’arrivée de tomates d’Anjouan ici. Si demain l’Anjouanais peut rester chez lui, cultiver chez lui et vendre ici, il préférera le faire et rester dans sa famille plutôt que d’être exploité ici. J’espère que tous les élus réfléchiront à cette coopération.

 

« Les Mahorais veulent devenir département pour s’ancrer un peu plus fort dans la République, pas pour les lois sociales. (…) Ces avantages sociaux comme le RMI sont arrivés après 1975. »

Serge Castel

 

Mayotte Hebdo : Mais comment expliquez-vous, alors que cela fait visiblement des années qu’on estime qu’il faut développer la coopération régionale pour trouver des solutions, qu’on en soit encore aujourd’hui à choisir comme solution d’expulser en masse alors que ça ne fonctionne pas ?

Serge Castel : C’est très simple. Vous savez j’ai fait des missions, avec le Medef et avec la CCI, à Madagascar et aux Comores pour voir quelle coopération économique on pouvait mettre en place. Car la coopération ce n’est pas juste s’acheter des produits. Les missions que nous faisons visent aussi à voir dans quelle mesure on peut installer des entreprises là-bas, aider ainsi au développement et créer des emplois. Mais quand vous avez un code des investissements qui à l’article 4 vous dit qu’il y a une possibilité de nationalisation, vous pensez bien qu’il n’y a aucun chef d’entreprise assez fou pour s’installer dans un pays comme ça. Ça a été évoqué au forum il y a quelques semaines. On leur a dit « nous voulons des garanties mais vous n’êtes pas capables de nous les fournir ». Si un chef d’entreprise mahorais installe une entreprise là-bas, il ne veut pas qu’au bout de 2 ans, quand ça tourne bien, on la lui pique. Et c’est ce qui se passe. Regardez ce qui s’est passé avec Total, avec la Sogea… Il n’y a qu’une entreprise d’ici qui soit installée là-bas, c’est Coca qui a une usine à Anjouan.

 

Mayotte Hebdo : Un mot de la fin peut-être ?

Serge Castel : Mon mot de la fin c’est souhaiter que cette départementalisation soit réussie, soit progressive. Qu’appliquer le droit commun ne soit pas un préalable et que l’on s’occupe évidemment de l’économie dans ce pays, vraiment qu’on donne une chance à l’économie pour le bien des Mahorais.

Sarah Mouhoussoune : Concernant ce statut de département, je ne suis pas tout à fait d’accord avec M. Castel. On s’est battu pour avoir un statut de département, on ne connait qu’un seul département, nous voulons le même que celui de Martinique ou de la Réunion. On a des spécificités qu’il faut respecter, mais adapté à quoi, progressif par rapport à quoi…? C’est vrai que ça va être difficile pour certaines personnes, notamment pour la base, mais on n’a rien sans rien.

Serge Castel : Il faut lutter conter les idées reçues. Moi j’entends souvent à l’extérieur de Mayotte que « Mayotte veut être département pour bénéficier des avantages sociaux ». C’est faux. Il faut savoir que depuis 1975, les Mahorais se battent, nos ainés se sont battus, pour qu’on soit département et c’est cet esprit là qui est resté, ce n’est pas pour les lois sociales. C’est simplement que les Mahorais veulent s’ancrer un peu plus fort dans la République pour ne pas devenir comme les Comores. Ces avantages sociaux comme le RMI sont arrivés après 1975, ils sont là on ne va pas les refuser, mais la vraie volonté c’est l’ancrage dans la République. Il faut le souligner.

 

 

19/12/2008 - Petit déjeuner de Mayotte Hebdo - Sarah Mouhoussoune et Serge Castel

 


J’aime… J’aime pas…

Noël

Sarah Mouhoussoune : C’est une fête que j’aime comme tout le monde, c’est un moment où on se retrouve en famille, entre amis. Oui j’aime.

Serge Castel : Moi de même pour les mêmes raisons.

 

Barack Obama

Sarah Mouhoussoune : Ah… c’est la mode aujourd’hui ! Et j’espère que ce sera un exemple pour tous les autres pays.

Serge Castel : Moi j’adore. Je défends complètement cette idée, je trouve que les Etats-Unis ont leurs défauts et leurs qualités, mais là c’est une qualité. Il y a un peu plus d’un siècle environ on abolissait l’esclavage et aujourd’hui vous avez un métis à la tête du plus grand pays du monde, moi personnellement je trouve ça fantastique. En plus je suis très pro américain parce que mon fils y vit et j’y vais souvent. Je pense que cela va un peu gêner les islamistes qu’il y ait un président métis, mais moi je suis pour le métissage. Il faudrait que toute la planète soit métissée.

Sarah Mouhoussoune : Effectivement c’est extraordinaire, c’est un exemple que j’aimerai voir ici à Mayotte, qu’on ne fasse pas la différence entre un français d’origine malgache, comorienne, hindou ou quoi que ce soit.

 

La saison des pluies

Serge Castel : Oui c’est une bonne chose car ça renouvelle la nappe phréatique et on en a besoin !

Sarah Mouhoussoune : C’est une bonne chose surtout pour nos agriculteurs, mais ce que nous avons vécu hier (lundi)…, J’ai des soucis quand on voit que tout ce qui est assainissement, routes, n’est pas achevé, ça m’inquiète.

 

Hishima

Sarah Mouhoussoune : Je n’ai pas pu y aller, j’ai regretté, mais j’espère que ça se reproduira. Il faut que ça rentre dans la culture aujourd’hui, c’est quelque chose de bien.

Serge Castel : Oui moi aussi j’aime bien. La culture ça fait partie de l’ouverture d’esprit et récompenser les artistes pour moi c’est une bonne chose car ils apportent beaucoup à la société mahoraise.

 

Le romazave

Sarah Mouhoussoune : Ah, j’adore ! Une de mes spécialités.

Serge Castel : Moi j’adore et je le fais aussi. Ma femme est Malgache et Mahoraise, mais c’est moi qui fais le romazave à la maison.

 


Votre plus grand…

…Voyage

Sarah Mouhoussoune : Est-ce que j’en ai eu ?… Ah si, quand même, quand un de mes premiers fils a eu son baccalauréat et que je suis partie l’installer en Métropole, c’était un grand voyage.

Serge Castel : Moi j’ai voyagé dans le monde entier. Le plus grand en termes de distance, c’est Tahiti, la Nouvelle-Calédonie, c’est très long ! Le plus important, c’est les Etats-Unis et le Québec. Le Québec j’y suis allé cette année, c’est un pays formidable, dommage qu’il y fasse froid, mais le racisme n’y existe pas, vraiment, c’est incroyable.

 

…Fierté

Sarah Mouhoussoune : La réussite de mes enfants. D’ailleurs j’y contribue toujours. Et aussi de représenter les femmes aujourd’hui en tant qu’élue.

Serge Castel : D’abord d’avoir épousé ma femme. Mais à Mayotte, c’est d’avoir monté toutes ces structures qui servent aux Mahorais. Et d’avoir été le premier président de la Chambre de commerce, pour moi c’est une réussite, personnelle bien sur.

 

…Regret

Sarah Mouhoussoune : Je n’en ai pas. Non, j’assume tout ce que j’ai fait.

Serge Castel : Moi ce serait de ne pas réussir à faire tout ce que j’ai promis de réaliser dans ma mission de président de la Chambre de commerce, des choses qui sont importantes pour Mayotte.

 

Héros :

Serge Castel : J’ai des héros dans l’Histoire bien sûr, des grands hommes comme Napoléon ou César, mais au risque de me répéter, actuellement mon plus grand héros c’est Barack Obama car il a réussi quelque chose de fantastique. Car en plus il a réussi à ramener vers lui des gens qui étaient contre lui, comme Hillary Clinton.

 


A propos des quatre îles…

Serge Castel : Quand on entend les Comores dire sans arrêt « Mayotte est à nous », il faut se souvenir qu’à l’époque chacune des quatre îles était indépendante et avait à sa tête un sultan, qui essayait constamment d’envahir l’île voisine. C’étaient les fameux « sultans batailleurs ». Et à l’époque de l’arrivée des Français, le sultan de Mayotte, Andriantsouli, a demandé aux Français de le protéger contre le sultan d’Anjouan. La France assurait l’éducation de ses enfants et en contrepartie il lui vendait l’île.

Sarah Mouhoussoune (en riant) : 1€ symbolique, c’est grave ! Il aurait pu vendre plus cher !

Serge Castel : Donc il a vendu l’île et environ 20 ans après, la France a colonisé les trois autres îles, jusqu’en 1975. Cela veut dire que c’est la seule époque où les Comores ont été unifiées. Et maintenant on vient nous dire que Mayotte est comorienne, mais s’il n’y avait pas eu la colonisation, Mayotte n’aurait jamais été comorienne, elle aurait juste été mahoraise. Il faut garder cela à l’esprit.