Attachés à leur village, une cinquantaine d’habitants assure la vigilance dans les quartiers de Kahani pour lutter contre la délinquance juvénile. Le groupe réuni en association Malezi Ya Kahani coopère avec la gendarmerie et espère une prise de conscience des parents.
« Qu’il pleuve, qu’il vente, de jour et de nuit, on est là », pose Fatima Mouhoussini, coordinatrice au sein de l’association Malezi Ya Kahani. C’est-à-dire « bien garder ses enfants à Kahani », traduit une autre adhérente. Dans ce village de la commune d’Ouangani, une cinquantaine de mamans, papas, adultes sans enfants, avec papiers ou sans papiers et de tout âge, se relaie sur le terrain pour arpenter les rues et veiller sur les quartiers, « parfois jusqu’à 22 heures, minuit voire 4 heures du matin ». Une présence en guise de prévention que ces habitants espèrent dissuasive envers les jeunes.
C’est l’agression d’une ex-conseillère départementale du canton de Sada-Chirongui, Tahamida Ibrahim, en juillet de l’année dernière, qui a poussé ces habitants à s’organiser jusqu’à créer cette association, en novembre. « On n’est pas dans la discussion. Nous l’avons beaucoup été avec les parents au départ, en présence des enfants, pour donner des conseils, car on voit toujours les mêmes jeunes, on les connaît », explique Fatima Mouhoussini, également représentante de parents d’élèves. « Mais des parents se sont rebellés et sont dans le déni sur ce que leurs enfants font. » Cette délinquance juvénile, ces bénévoles la constatent régulièrement : « Tous les jours, les enfants, tabassent, cassent. J’ai déjà reçu du gaz lacrymogène des forces de l’ordre dans ma cour », évoque le président, Maturafi Attoumani, né en 1970 et qui a toujours vécu à Kahani.
Si leurs rondes et veilles sur des postes stratégiques sont surtout effectuées sur les temps scolaires, ces habitants poursuivent leur vigilance pendant les vacances. Comme ce lundi 26 février, en prévenant les fonctionnaires qui dorment au lycée polyvalent Gustave-Eiffel de Kahani d’un mauvais pressentiment. Les adhérents avaient remarqué des regroupements de jeunes pendant la journée. « Ils se sont préparés tôt, mais ils ont vu qu’on les avait vus et se sont introduits dans le lycée vers 2 heures », détaille la coordinatrice. Il s’agit de la troisième intrusion en un mois.
Partage d’informations à la gendarmerie
Dès le mardi matin, une équipe de bénévoles « a osé » aller sur les lieux de « squat » identifiés par l’association. Accrochés le long de la clôture qui entoure le lycée, des sacs de sport pendouillent. « C’est par là que les jeunes sautent pour entrer. C’est une vraie passoire », relève Fatima Mouhoussini. L’équipe, qui garde des traces à chaque fois de ce qu’elle voit, a documenté en photos et en écrivant une liste des objets trouvés le lendemain pour les envoyer à la brigade de gendarmerie de Sada qui mène l’enquête et avec qui elle coopère : un marteau-piqueur, des machettes, perceuses, visseuses, des courses (« ils ont vidé le congélateur »), des casques de travail…
Mais pratiquement pas de jeunes, soit une quinzaine, « car ils se savent recherchés », relève celle qui ne fait pas de rondes la nuit mais reste toujours joignable par téléphone, se lève tous les jours plus tôt, pour faire des rondes entre 5 heures et 6 h 30 du matin avant d’être remplacée pour partir au travail et de revenir le soir. Mais elle n’est pas la seule : « Lui, je l’ai fait sortir de son champ. Lui, de sa vente. On se donne du temps car c’est important pour nous. Nous avons mal pour notre village, mal pour notre île, de voir la désolation autour de nous ».
Armés de leurs talkies-walkies et de chasubles fluorescents donnés par l’association des parents d’élèves, les adhérents ont dû utiliser leurs propres économies pour imprimer des numéros et un logo sur leur habit. Un logo qu’ils ont aussi reporté sur des casquettes. « Les jeunes s’adaptent et avaient commencé à porter des gilets fluos comme nous », explique celle qui dit chercher d’autres dons afin de se munir de lampe-torches et de chaussures de sport, « pour éviter de courir claquettes aux pieds ». Mais l’association aimerait obtenir des subventions de l’État. Elle devrait d’ailleurs avoir rendez-vous avec la municipalité de Ouangani une fois les barrages levés. Et pourquoi pas, d’essayer d’y faire embaucher quelques sans-emplois de leur équipe, « des gens qui connaissent le terrain et ont une vraie volonté de s’impliquer », en tant qu’animateurs de rue afin de « renforcer » l’association. Avec pour argument principal : leur participation à la sécurisation des élèves au lycée.
« Tout le monde doit s’en mêler »
Car si les effectifs mis sur le terrain varient selon « le ressenti du matin », « s’il y a une bagarre et que le climat change », Fatima Mouhoussini indique qu’un petit groupe de bénévoles veille dès 5 h 30 du matin pour aider à contrôler les premières arrivées de bus au hub, devant le lycée, en renfort des médiateurs de la compagnie de transport et des forces de l’ordre. « C’est un point d’échanges », renseigne-t-elle : des élèves y font escale, d’autres partent et d’autres viennent pour étudier au lycée professionnel. Problème, ce brassage mêle des jeunes issus de différents quartiers, « alliés » ou opposés.
D’autres membres restent ensuite pour la sécurité des passants et prévenir les vols. La mission s’étale ainsi toute la journée à des postes stratégiques ou en se déplaçant. Dès les sorties des classes, une vingtaine de membres environ surveillent les abords du lycée et du dispensaire, un autre arrêt de bus du village ainsi qu’en sortie de village, vers Coconi. Toujours en lien avec la brigade de gendarmerie de Sada pour transmettre des informations sur les exactions commises et en contact avec les victimes pour les sensibiliser à porter plainte.
« Tout le monde doit s’en mêler », martèle la coordinatrice qui appelle à la vigilance des uns et des autres. Et surtout des parents, « avec ou sans papiers, mais qui ont un enfant difficile, pour prévenir et en parler », au lieu de rester « les bras croisés ». Prenant l’exemple d’une maman, pourtant avertie, dont le fils ne rentre plus à la maison depuis une semaine. « Il est passé de l’autre côté », soupire celle qui ne comprend pas cette idée d’« enfant-roi », sans sanction parentale. « Un parent se rend bien compte que son enfant revient à la maison avec un vélo ou un téléphone qu’il n’a pas acheté », commente-t-elle, regrettant un temps à Mayotte, où les enfants étaient élevés par le quartier, sans crainte de représailles.
La dizaine de membres réunis ce mercredi ne pense d’ailleurs pas réussir à diminuer les actes de violences mais espère une « prise de conscience », ainsi qu’une présence plus accrue d’agents municipaux d’Ouangani. « On peut accompagner nos jeunes », reprend celle qui est un petit peu la porte-parole du collectif, mais il faut « démanteler, pas déplacer le problème », décrète-t-elle, dénonçant les décasages comme celui de Majicavo à venir qui, selon elle, va faire fuir des jeunes dans d’autres villages comme Kahani. Des jeunes dont ces citoyens actifs ne connaissent ni l’identité, ni les parents. « Il faut d’abord traiter la délinquance, c’est notre combat. Après, on s’occupera des plus petits. »
Une initiative encouragée par la gendarmerie
« Il ne s’agit pas de tomber dans un dispositif de milice ou de groupe d’auto-défense », avertit le commandant Bertrand Bidet, officier de prévention à la gendarmerie et chargé de la communication, « mais d’activité encadrée, officielle et déclarée pour faire de la prévention et partager de l’information ». Ce genre d’initiative citoyenne « essentiel » est en ce sens « encouragé » par la gendarmerie. « Les habitants et les élus sont les mieux placés pour nous transmettre des informations. À Kahani, les représentants de l’association sont très bien identifiés et vice-versa pour nos représentants de la brigade de Sada. Nous entretenons de très bonnes relations », informe-t-il, tout en ajoutant que ce village est un secteur où les forces de l’ordre maintiennent une présence « quasi permanente » en raison du lycée.
Il cite également l’article 73 du Code pénal en cas d’infraction : « Toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier judiciaire le plus proche ». Mais l’officier rappelle cependant qu’en cas d’urgence, il faut surtout composer le 17, pour alerter les forces de l’ordre.