Commençons par le début. La croisière n’est pas une nouveauté à Mayotte. Depuis des années, à l’image du vénérable Royal Star, des bateaux viennent, le plus souvent en saison chaude. Le phénomène a cependant connu un réel engouement il y a deux ans, et ce, sous l’influence conjuguée de deux facteurs.

D’abord l’armateur Costa croisière, qui travaillait jusqu’alors avec l’agence réceptive historique de l’île, décida de relancer une consultation auprès des trois prestataires de la place : l’agence réceptive Bleu Ylang dirigée par Mathias Bertrand, l’agence Baobab Tour cogérée par Attoumani Harouna et Céline Boscher, tout deux en poste au Comité départemental du tourisme de Mayotte (CDTM), et Mayotte Vacances dirigé par Mathilde Hory, qui occupe également des fonctions au CDTM. Seules les deux premières agences ont répondu à l’appel d’offres officieux lancé par la compagnie. Bleu Ylang donna satisfaction au groupe, en proposant notamment de nouvelles excursions pour les passagers des navires.

Élodie Péchard a été durant six ans consultante en développement touristique et gestion d’escales pour un grand groupe de croisiériste. Recrutée par l’agence Bleu Ylang, elle a largement contribué à augmenter le capital confiance entre Costa croisière, filiale du leader mondial du secteur Carnival, et la destination Mayotte. Constatant la connaissance et la maîtrise du sujet de la part de son nouvel interlocuteur local, le groupe se décide à jouer pleinement la carte Mayotte et enverra pour la saison 2007/2008 des paquebots de 800 passagers, dont 60% ont déjà réservé leurs excursions pour la journée, contre 35% les saisons précédentes. Une augmentation singulière du flux touristique qui constitue le deuxième élément de l’éclosion du secteur à Mayotte.

1 à 2 millions d’euros dépensés par les touristes

Malgré quelques balbutiements, lot commun de toute première expérience, notamment à cause de la faiblesse des infrastructures locales (ponton étroit, places de parking limitées pour les bus qui amènent les touristes en balade…), l’essai a été transformé.

Les différents prestataires, et ils étaient nombreux – taxis, artisans, pilotes du port, écomusée du sel, associations de m’biwi, clubs de plongée, opérateurs whale watching, bars, restaurants… – étaient enchantés. L’écomusée du sel à Bandrélé, pour seul exemple, a réalisé en trois mois de saison touristique, le même chiffre d’affaires que celui cumulé des deux années précédentes. Au total, c’est un intrant net estimé entre 1 et 2 millions d’euros qui s’est transféré du portefeuille des touristes occidentaux vers l’économie mahoraise, en l’espace de trois mois.

Sans céder à l’euphorie, les artisans de cette réussite réfléchissent aux améliorations à apporter pour la saison prochaine. Madi Baco, président de l’association des taxis, réunit ses troupes pour leur proposer des initiations à l’anglais, à l’italien. Les artisans veulent des stands plus grands pour présenter leurs productions aux touristes dès leur descente de bateau. Bleu Ylang et le CDTM cherchent des solutions pour éviter les bousculades entre les pêcheurs, les touristes et les professionnels du ponton.

Les perspectives sont aussi nombreuses qu’enthousiasmantes, puisque le groupe Costa annonce qu’il reviendra huit fois faire escale à Mayotte en 2008/2009… avec 1.500 passagers. L’économie touristique obtient là ses premiers galons de reconnaissance internationale. Mais malheureusement cette réussite, comme souvent à Mayotte, n’ira pas sans attirer rancœurs et jalousies.

Un travail de sape habilement orchestré par le CDTM

En juin denier, le Comité du tourisme doit se renouveler. Certain se souviennent peut-être du burlesque des débats autour des désormais fameux « doubles statuts du comité ». L’incident réglé, M. Chanfi, conseiller général de M’tsangamouji, prenait officiellement ses fonctions de nouveau président. Dans le même temps, Attoumani Harouna, cogérant avec Mme Boscher de la société Baobab tour, s’assoie sur le siège de vice-président, et Mathilde Hory s’y investira aussi, s’occupant notamment de l’élection de Miss Mayotte. Georges Mecs conserve son poste de directeur, mais l’homme qui avait mis ses compétences en œuvre dans la bataille des croisières perd de son influence dans un comité qui, chaque jour un peu plus, se montre dans les faits, hostile au développement du secteur, à tel point qu’il est aujourd’hui sur le départ. Dans les discours par contre, c’est un tout autre son de cloche. M. Chanfi multiplie les interventions pour dire sa volonté, comme au lendemain de son investiture, de « doper la filière pour pouvoir accueillir des navires contenant jusqu’à 3.000 passagers dès la saison 2008/2009 ».

Orientation politique motivée, ou conflit d’intérêts attisé par des opérateurs qui ont perdu un marché et qui héritent d’un pouvoir décisionnel ? Pour l’heure, il reste difficile de percevoir la légitimité des choix du CDTM sur le dossier croisière depuis six mois. En annonçant, quelques semaines avant l’arrivée des premiers paquebots, que « Mayotte n’est pas prête, et qu’elle se doit de refuser les croisières pour éviter la pagaille lors du débarquement à Mamoudzou », le comité prit tout son monde à contre-pied.

Bien sûr, le retard pris dans la construction du nouveau quai, principal argument avancé par le CDTM pour justifier ses positions, est un élément contrariant, mais ne constitue en rien une fatalité. Et même si le ponton actuel reste modeste, « cette structure est aux normes », selon M. Galmiche, délégué de la préfecture aux affaires touristiques.

De plus, plusieurs alternatives étaient alors envisageables pour éviter un débarquement sur le ponton croisiériste de Mamoudzou. Le Comité n’en étudiera aucune, et n’en proposera pas. Un manque total d’abnégation sur des échéances pourtant cruciales pour l’économie mahoraise, qui fera dire au secrétaire d’État à l’Outremer, lors de sa dernière visite dans l’île, qu’il « faut de la méthode, car les rendez-vous avec l’histoire nous forcent à être meilleurs sur ces sujets-là ».

Mayotte ne pouvait pas s’offrir le luxe de refuser les croisières…

L’attitude adoptée par le comité commence à inquiéter le groupe Costa, qui envoie plusieurs missives dès le début du mois d’octobre pour s’enquérir de la réalité de la situation. Ses deux intermédiaires locaux, l’agent portuaire et l’agence réceptive ne peuvent guère faire plus que de lui transmettre la nouvelle position du Comité du tourisme. Les choses commencent à s’ébruiter et quelques responsables locaux, comme M. Coat, chargé du développement économique et touristique au CG, veulent éclaircir l’affaire. « Mayotte ne peut pas s’offrir le luxe de refuser les croisières », avait-il même déclaré.

Seul à détenir les pouvoirs et les compétences pour faire évoluer le dossier, le Comité va s’échiner, à grand renfort de réunions, à faire semblant d’apporter de fausses solutions à des problèmes qui n’existaient pas et qu’il a lui-même créés.

Des attitudes qui ont fini par décourager Mathias Bertrand, « las et épuisé de passer son temps à ôter les bâtons qu’on [lui] mettait dans les roues ». L’organisation de toute une saison tombant à l’eau, et les autres agences réceptives de l’île ne manifestant aucun intérêt pour rependre le flambeau à la dernière minute, comme l’a proposé Mme Péchard au cours d’une dernière tentative de sauvetage qu’elle a organisé à titre personnel, et non professionnel, le dénouement de « l’épisode » croisière se solde pathétiquement.

Et en proposant officiellement à l’armateur, le 31 octobre dernier, de diviser son flux de passagers entre Petite Terre pour les passagers libres et Mamoudzou pour ceux qui ont réservé des excursions, le Comité scella définitivement la décision du groupe Costa croisière de rayer Mayotte définitivement de sa liste de destinations. Certains professionnels polynésiens et réunionnais, joints par téléphone et courriers électroniques, se sont dit « sidérés d’une telle politique », et surtout « étonnés de la patience dont a fait preuve le croisiériste, que des centaines de destinations dans le monde quémandent ». Pour Élodie Péchard, « une chose est claire, on ne peut pas pécher à ce point uniquement pas incompétence ».

Le tourisme mahorais ne s’en relèvera peut-être jamais

En 1997, le voyagiste Nouvelles Frontières desservait la Martinique avec son navire Princesse Banaé. Après une troisième escale avortée à cause d’une grève à rallonge des taxis, Fort-de-France n’a plus vu un paquebot, de quelque compagnie que ce soit, durant sept longues années, s’approcher de ses quais.

L’industrie de la croisière mondiale est un microcosme. Tous les acteurs du marché se connaissent bien et les informations circulent très vite. Ils sont également des interlocuteurs privilégiés des voyagistes, qui les consultent sur les opportunités qu’offrent les destinations en devenir. Nul doute que le comportement réfractaire des autorités en charge du tourisme à l’égard du groupe Carnival ne contribuera pas à porter l’île au lagon en odeur de sainteté auprès de ces mêmes voyagistes.

Et si l’on fait le bilan, avec le retrait annoncé du Royal Star, un navire en fin de vie, et l’absence des paquebots Costa croisière cette saison, c’est 80% du marché local des croisières qui s’effondre. Là où les perspectives étaient encore radieuses il y a quelques mois, où le devenir d’un secteur ultra porteur du tourisme moderne ne demandait que quelques petits investissements financiers et humains pour être pérennisé, le Comité du tourisme n’offrira à Mayotte qu’un horizon touristique bien sinistré.

François Macone