La fin des grandes vacances approche et de nombreux "Je viens de…" s'apprêtent à retourner sur leur lieu de résidence habituel. L'anthropologue Mohamed M'trengouéni a bien voulu essayer de nous dresser le portrait-type du Mahorais vivant à l'extérieur et venant passer ses congés auprès des siens à Mayotte. Ces "expatriés" – installés durablement ou étudiant temporairement hors du territoire avec ou sans projet de revenir s'installer ici – ont parfois du mal à trouver leur place dans la vie villageoise et ont parfois une image décalée de leur île.
Mayotte Hebdo : Qui sont les "Je viens de…" ?
Mohamed M'trengouéni : Ce sont des Mahorais qui vivent à l'extérieur de Mayotte, principalement en France métropolitaine et à la Réunion. Deux raisons principales les poussent à partir là-bas. Tout d'abord, il y a ceux qui sont à la recherche d'une vie meilleure. Et puis il y a aussi ceux qui partent pour des raisons scolaires. En fonction de l'objet de leur départ, leur retour est perçu différemment.
Mayotte Hebdo : Quelles sont les raisons qui les amènent à revenir à Mayotte ?
Mohamed M'trengouéni : Je ferai une distinction entre les étudiants et les autres "Je viens de…". Pour la seconde catégorie, ils ne viennent pas simplement pour passer des vacances. Ils viennent pour se marier, ou assister à un mariage, construire leur maison. D'ailleurs, ils ne reviennent à Mayotte que s'ils ont les moyens financiers pour réaliser tout cela. Pour les étudiants en revanche, ils reviennent et essaient de s'écarter de toute la pression sociale qu'engendrent les mariages et les autres activités familiales et culturelles en allant à la plage et en faisant des voulés. Vous remarquerez qu'ils ne font pas des pique-niques mais des voulés, c'est leur façon à eux d'avoir une activité typiquement mahoraise qu'ils pourront raconter à leurs amis qui n'ont pas pu faire le déplacement.
Mayotte Hebdo : Quelle est la perception des "Je viens de…" par ceux qui sont restés à Mayotte ?
Mohamed M'trengouéni : Le "Je viens de…" doit revenir avec un plus social. On considère qu'il a acquis quelque chose en plus, même si là-bas il n'a pas amélioré sa situation professionnelle, il n'a pas suivi de formation. L'effet est symbolique, il a vu un autre monde, il peut le comparer au nôtre. S'il a ramené des diplômes ou amélioré sa situation sociale, cela rejaillit sur le prestige de la famille restée à Mayotte. Cela est d'autant plus vrai s'il réalise quelque chose de concret : une maison, un mariage. C'est une situation compliquée à gérer, car par la suite tout le monde s'attend à ce que ce capital social soit fructifié. De nombreux Mahorais restent deux mois ici puis repartent, car ils n'ont pas les moyens de valoriser leur capital. Pour ceux qui reviennent définitivement, si au bout d'un an ils n'ont rien fait, le jugement social que l'on a d'eux se déprécie. Il faut montrer que tu as fait quelque chose, sinon le prestige acquis se perd.
Mayotte Hebdo : Comment les Mahorais qui ont vécu à l'extérieur font face à ces attentes de leur famille et de leur village ?
Mohamed M'trengouéni : Certains le vivent très mal et se sentent étrangers. Il y a une difficulté à être reconnu pour ce qu'ils ont fait. Ils ont l'impression d'être en retard par rapport à la société mahoraise. Le paradoxe, c'est que certains se disent qu'ils vont repartir pour rattraper ce retard, mais ils ne le pourront pas car pour être complètement intégrés, il faut se conformer aux usages culturels locaux. Ce n'est pas évident quand on a des repères d'ailleurs. Ici les gens ont envie de te connaître, il faut se raconter sur la place publique. La communication est collective, les gens se réfèrent à la communauté pour délivrer une opinion. L'individu n'existe pas en dehors du groupe, contrairement aux sociétés occidentales. L'exclusion commence par l'auto-exclusion. En fait, il faut participer aux activités collectives pour obtenir toutes les clés nécessaires à la compréhension de la société et avoir sa place au sein de la communauté. Cela prend du temps, surtout pour les personnes qui n'ont pas vécu à Mayotte entre l'âge de 10 et 25 ans.
Mayotte Hebdo : Ces deux mondes sont-ils irréconciliables ?
Mohamed M'trengouéni : On ne peut pas les mélanger. Chacun a ses institutions et son organisation. Mais pour moi, c'est un faux débat. Le phénomène des "Je viens de…" est un fait social. On en a une meilleure compréhension si on a vécu à Mayotte et à l'extérieur. D'ailleurs, les "Je viens de…" n'essaient même pas d'expliquer le fonctionnement du monde extérieur à ceux qui sont restés à Mayotte. Cela reviendrait ici à accepter une façon de faire extérieure à la culture mahoraise. Mais le fait d'avoir vécu ailleurs peut enrichir certaines pratiques endogènes. Auparavant, à l'occasion des mariages, il n'y avait pas d'invitation lors des manzaraka. Tout le monde venait préparer et manger. Aujourd'hui, sous l'influence des invitations pour les dîners dansants, il y a aussi des invitations pour les manzaraka. De nombreuses choses peuvent changer en 20 ou 30 ans.
Alawa Maore
Littéralement, "Je viens de…" se traduirait "Tsi lawa" en shimaore. Une traduction qui nous fait immanquablement penser au tube de Lathéral "Alawa Maore" ("Il vient de Mayotte"). Dans cette chanson, le lauréat de 9 semaines et 1 jour raconte la vie à Mayotte des sans papiers anjouanais qui font croire à leur famille restée sur leur île natale que leur vie se déroule sans problème, alors qu'ils sont dans une galère totale, poursuivis par la Paf, accomplissant des travaux pénibles et s'entassant à 20 dans un banga.
Pour Mohamed M'trengouéni, le terme de "Je viens de…" traduit une autre réalité. "Il est vrai qu'à une certaine période, les Mahorais de l'extérieur renvoyaient une image décalée de leur vie quotidienne en France et l'enjolivaient. Mais si on devait traduire en shimaore, "Wami de mtru.." (je suis celui qui…, c'est moi qui…) serait plus approprié. En effet, "Je viens de…" est un terme ironique inventé par ceux qui sont restés à Mayotte pour caractériser la vantardise de ceux qui étaient partis et qui se donnaient de l'importance en disant tout connaître. Or aujourd'hui ce n'est plus vrai, avec la télé les Mahorais voient ce qui se passe en France. Tout le monde a la voiture, la maison, en fait ils n'ont plus d'argument pour se valoriser, ils n'apportent plus la bonne parole."
M'kaya Ali, 2ème dauphine de Miss Mayotte 2008
Ceux qui agissent et ceux qui traînent
À défaut de venir à Mayotte pour y rester, M'kaya Ali qui vient de la Réunion s'en est retournée mercredi dernier dans cette île où elle demeure depuis l'âge de cinq ans. "Je me sens bien ici !", s'est exclamée l'habitante de la ville du Port avant de partir, à propos du phénomène des "Je viens de…".
Cette année, le séjour de la native de Dzaoudzi n'a pas été tout à fait comme les autres, elle qui débarque sur son île d'origine assez régulièrement. La Mahoraise, inscrite par sa sœur, a vécu cet été la fameuse aventure de Miss Mayotte de l'intérieur en se portant candidate. Cerise sur le gâteau, c'est avec l'écharpe de deuxième dauphine qu'elle regagne la Réunion.
"C'était pour moi une aventure inoubliable où j'ai appris énormément. Une grande solidarité et beaucoup de rigueur de la part de tous les coachs m'ont marqué l'esprit et ont fait que le spectacle final a été une réussite", nous explique-t-elle. Pour commencer cette nouvelle semaine, la jolie fille de Labattoir a accepté de donner son avis au journal sur le phénomène des "Je viens de…", sans pour autant être vraiment certaine d'en faire partie…
"En voyageant on découvre toujours une autre culture, une autre socialisation que celle de la vie locale, donc je pense que c'est toujours bien de partir et de voir autre chose", affirme-t-elle. "Ce n'est pas pour autant que le "Je viens de…" doit se croire meilleur qu'un autre Mahorais, en particulier envers celui qui n'a jamais voyagé. Certains sont conscients de cette opportunité qui leur est donnée que de découvrir ou de vivre en France. Ils en profitent pour réaliser des choses bien. D'autres n'ont pas conscience de leurs chances. Ceux-là passent leur temps à ne rien faire là-bas et ce sont en général eux, à leur retour ou pendant leur séjour, qui se sentent au-dessus des autres", continue la toute nouvelle étudiante en BTS Tourisme.
Celle-ci répond sans hésitation lorsqu'on lui demande à quoi on peut les reconnaître : "leur tenue vestimentaire". Cependant, le vêtement métropolitain n'a plus de secret pour les Mahorais selon elle. "Moi par exemple, je suis habillée comme ça car c'est dans cette culture que j'ai grandi. Mais aujourd'hui, on peut trouver des personnes habillées de cette manière, sans pour autant qu'elles aient voyagé", conclut celle qui rêve d'ouvrir un atelier de confection.
Déjà auteur de quelques créations personnelles, M'kaya veut devenir styliste de mode à l'avenir. Repartie mercredi "avec regret", elle affirme que beaucoup de choses vont lui manquer, "surtout l'aspect naturel et relationnel qui est unique ici. Quand il y a un mariage par exemple, c'est tout le village qui se mobilise, c'est vraiment exceptionnel. Les voulés vont aussi beaucoup me manquer, ce sont des choses qu'on ne retrouve pas là-bas."
Saturnin, 37 ans, fonctionnaire à Bourg en Bresse
Planifier un retour définitif à Mayotte
Ce jeune père de famille est originaire de Mayotte où vivent les membres de sa famille et ses proches. Afin de poursuivre ses études, il quitte son île en 1990 pour partir en Métropole et revient seulement en 2001 dans le but de travailler. En 2004, à l'occasion d'une formation il est renvoyé en France mais très vite la vie active lui manque et il intègre la fonction publique. Depuis, il travaille dans un lycée agricole à Bourg en Bresse.
S'il n'a pas l'intention de rentrer au pays pour l'instant à cause de ses ambitions professionnelles, il tient quand même à planifier son retour définitif en demandant une mutation à Mayotte. "Nous avons hâte de nous installer au bled pour y agrandir notre famille", ajoute sa femme, qui elle aussi veut réussir sur le plan professionnel avant de rentrer définitivement. S'ils vivent en France, leurs cœurs restent à Mayotte et ils suivent régulièrement l'actualité de l'île grâce à internet et aux chaînes du câble.
Ainsi, Saturnin note que Mayotte connaît des mutations, surtout sur le plan social comme par exemple avec l'évolution du Smic horaire qui se rapproche progressivement de celui de la Métropole ou encore les voyages, qui sont rentrés dans la culture mahoraise. "Aujourd'hui tout le monde voyage, que ce soient les jeunes ou les vieux". C'est en ce sens qu'il fait aussi remarquer que les mentalités des Mahorais changent "de manière positive mais aussi négative". Et pour cela il donne des exemples et nous dit que c'est à son grand regret qu'il constate que le système de "musada" (l'entraide) qui était le ciment de la société mahoraise, n'existe plus aujourd'hui.
Même si il se sent toujours chez lui à Mayotte, il a toujours une certaine "appréhension par rapport à l'évolution de l'île" et se dit déçu par l'impression qu'il a d'une "espèce de régression de certaines administrations de l'île". Toutefois, le Mahorais est très fier que Mayotte possède de plus en plus des infrastructures qui continuent à se développer sur l'île. D'ailleurs, il ajoute qu'en rentrant sur l'île dans un futur proche, il veut "contribuer au développement de l'île et lui rendre ainsi ce qu'elle m'a donné".
Soihadine, 24 ans, technicien informatique
"Je vois des constructions de maisons partout où je passe dans les villages"
Soihadine, natif de Mayotte a vécu à la Réunion pendant près de 14 ans. Parti dans l'île voisine à l'age de 9 ans pour des raisons familiales, il y grandit et fait ainsi toutes ses classes là bas, du primaire au supérieur. Titulaire d'un BTS, le jeune homme est rentré au mois de juin à Mayotte car il a obtenu un poste dans une entreprise locale et a vu ainsi son souhait de retour aux sources se réaliser.
Malgré tout il reste attaché à son ancienne île d'accueil car il avait l'impression de s'être bâti un foyer avec sa mère et ses frères et sœurs, parmi lesquels certains sont aussi rentrés pour travailler dans l'île natale. Soihadine ne connaît pas très bien son île d'origine car il n'est revenu que 2 fois en vacances (en 2002 et 2006) pour assister aux mariages de ses sœurs. Ce qui le marque beaucoup c'est de voir autant de bâtiments construits sur l'île et des infrastructures en tous genres.
"Je suis impressionné qu'en une dizaine d'années Mayotte ait connu un tel développement, par exemple pour les routes et il y a beaucoup plus de voitures ". De plus il remarque que l'immobilier est devenu la priorité des Mahorais : "je vois des constructions de maisons partout où je passe dans les villages". Toutefois il est surpris de la lenteur de l'administration dans l'île et remarque une communication inefficace auprès du public.
Il travaille depuis peu et se dit "dégoûté du comportement de certains patrons d'entreprises ou bien de responsables de services dans les administrations mahoraises", auprès desquels il doit souvent intervenir. "Ils vous traitent comme un moins que rien", nous dit-il avec un soupir. Il ajoute ironiquement à cela qu'il est choqué par la "courtoisie" des automobilistes à Mayotte.
Par ailleurs, il porte un regard critique sur les mentalités de la population mahoraise. "J'ai l'impression qu'il y a une perte d'identité, c'est-à-dire que surtout les jeunes essaient de s'approprier une culture qui n'est pas la leur et renient leurs traditions. Je trouve ça bien dommage." Ce qu'il regrette aussi c'est l'entraide entre les personnes qui existait sur l'île et dont il se souvient. "Les Mahorais sont devenus tellement individualistes."
Lattuf, 23 ans, étudiant en droit
Revenir sur l'île à long terme, avec des références et des expériences
Ce jeune homme originaire de Sada est venu à Mayotte pour passer ses vacances d'été auprès de sa famille. Après avoir obtenu son baccalauréat économique et social au lycée de Sada, il s'envole pour la ville de Bordeaux où il habite maintenant depuis bientôt 5 ans. Il connaît très bien l'île car il y a grandi et fait remarquer que Mayotte s'ouvre de plus en plus sur le monde et que c'est une excellente chose, "les Mahorais voyagent beaucoup".
Cet étudiant ambitieux envisage de devenir professeur de droit et revenir sur l'île à long terme, avec des références et des expériences. "Je ne veux pas être un novice mais un professionnel", déclare-t-il en rajoutant qu'il envisage de s'installer ici à long terme et d'y faire sa vie. Mais tout d'abord il a l'intention de poursuivre en 5ème année en droit des affaires et par la suite effectuer un séjour aux Etats-Unis dans le cadre de ses études "pour améliorer l'anglais".
Il constate que les Mahorais évoluent, notamment les jeunes. "J'ai l'impression que de plus en plus les jeunes ont conscience de leur île et veulent participer à son devenir". Mais il déplore que "le CG soit devenu la première entreprise de Mayotte".
Selon lui, les Mahorais devraient avoir beaucoup plus d'initiatives plutôt que de chercher à tout prix à travailler dans l'administration, d'autant qu'il souligne que "ça dort dans l'administration". Lattuf a la volonté de créer une sorte de parrainage pour les nouveaux étudiants qui débarquent en Métropole. L'idée serait que des volontaires les prennent sous leurs ailes pendant un certain temps pour les guider dans les démarches à effectuer à leur arrivée et les intégrer, car il déplore malheureusement que ces jeunes soient laissés pour compte et ne soient pas mieux accompagnés.
Opinions sur rue….
Que pensez vous des "Je viens de…"?
Allaoui Azhar Ben, 21 ans, animateur école privée, Pamandzi
"Je viens de…", c’est un terme qu’on emploie vu que quand les élèves partent faire des études en Métropole, ils reviennent en disant : "Je viens de Paris", "Je viens de Marseille"…, voilà. C’est un "truc" qu’on emploie mais ce sont des gens comme nous, ce sont des Mahorais et il n’y a rien qui change. Ils s’habillent comme des Métropolitains avec des marques de bas en haut et j’en passe. Leur hygiène de vie change, ils partent sales mais ils reviennent propres, ils changent de couleurs ou changent d’attitude, de caractère le plus souvent, ils sont autres, ils deviennent généreux pour la plupart. Mais certains ne changent même pas, ils reviennent avec le même caractère et comme on dit en shimaoré, les gens qui reviennent de la Métropole, ils deviennent "guédzé" ("ignorants", ndlr) !
Lavita, 17 ans, Première STC, Petite Terre
Les "Je viens de…", parfois ils sont un peu bizarre. Par exemple, si on se connaissait quand on était petit, en revenant ils se foutent un peu de notre gueule, ils font genre ils ne nous connaissent pas et là, ça nous fait trop la honte. Et leur façon de s’habiller, certaines s’habillent comme des p…, désolée de dire le mot mais c’est grave. Elles viennent ici pour voler les mecs des autres et ce n’est pas bien du tout. En revenant ici, ils font comme si ils étaient les stars de Mayotte.
Attoumani Tava, Pamandzi
Moi je pense que les "Je viens de…" sont des personnes qui se la pètent, pas tous mais la plupart d’entre eux ils se la pètent parce que quand ils partent de Mayotte ils oublient leurs racines. Ils se croient supérieurs à tout le monde, ils croient qu’ils sont les boss. Ils font comme s'ils te connaissent pas alors que ce sont des gars avec qui tu traînais avant… Leur façon de s’habiller, c’est amusant parce qu’on voit qu’à Mayotte il n’y a pas trop de trucs à acheter, alors qu’en Métropole il y a des trucs à acheter, moins chers.
Moussa Abchia, 20 ans, Pamandzi
Ce que je pense des "Je viens de…" ? C’est que dès qu’on arrive à Mayotte on sent que c’est différent de la Métropole. Les modes de vie changent, mais surtout la manière de s’habiller, il y a aussi une évolution dans leur hygiène. Mais c’est normal car Mayotte aussi s’est développée économiquement, les jeunes aussi ont évolué, voilà !
Ben Marouane, 18 ans, Pamandzi
Les "Je viens de…" pour moi, ça dépend. Ils ne sont pas tous pareils. Il y en a qui sont à l’aise parce que c’est leur pays natal, mais il y en a qui veulent se montrer comme quoi ils viennent d’arriver. Certains aussi oublient leurs racines. Au niveau de leur tenue vestimentaire, on sait bien qu’à Mayotte, en Métropole ou quelque soit le pays, on ne s’habille pas de la même manière. Ici aussi ça évolue mais ce n’est pas la même chose, quoi ! Donc quand ils viennent ici ils sont bien habillés, leur tenue s’améliore.
Mistoihi El-Dine, 17 ans, première S, Pamandzi
Le nom de "Je viens de…" pour nous c’est un truc nouveau, parce qu’on considère que si une personne a eu son bac ou est partie depuis longtemps de Mayotte… ce n’est pas une question qu’il se la pète, mais il y a une différence. C’est pour ça qu’on les appelle les "Je viens de…" parce qu’ils vont acheter des nouveaux trucs, des nouvelles fringues, c’est pourquoi on les remarque, en gros.
Saïd Naxies, 17 ans, BEP vente action marchande, Pamandzi
Les "Je viens de…", c’est simple. En fait, quand ils partent et qu’ils reviennent à Mayotte, on dirait qu’ils sont beaucoup plus vantards qu’avant, ils se la pètent de plus en plus et ils ne sont pas comme avant, c’est tout !
M'djassiri Ali Mohamadi dit Bamhé, Tsingoni, éducateur sportif
Il y a un peu plus de présence, plus d'animation dans le village quand ils sont là. Je trouve que les "Je viens de…" participent beaucoup aux activités culturelles et sportives. Ils sont aussi toujours présents dans les grands rendez-vous, comme les mariages. Ils sont engagés en fait, en dehors de quelques-uns qui font ce que les jeunes ne doivent pas copier. Je peux dire aussi qu'avant, les "Je viens de…" étaient bien accueillis quand ils arrivaient, mais ça a changé. Tout le monde peut se permettre de voyager aujourd'hui, c'est sûrement la raison de ce changement de comportement envers eux.
Abassi, 16 ans, Kavani, futur lycéen en 2nd sciences médico-sociales
Moi je m'en vais mardi en Métropole, dans la ville de Toulouse, et tout ce que j'espère c'est qu'on ne me dise jamais que je suis un "Je viens de…" quand je reviendrais. Ce nom à un sens très négatif pour moi. Je n'en serais pas un, c'est sûr. Ça me fait vraiment mal au cœur de voir comment ils se là pètent et se prennent pour ce qu'ils ne sont pas, c'est-à-dire meilleurs que tous. En achetant des habits chers en France, ils croient qu'ils valent mieux que les autres, alors qu'il n'y a aucune différence.
Saïd Fidèle, 16 ans, Kavani, entre en 1ère S au lycée de Mamoudzou
Les "Je viens de…" reviennent avec la grosse tête. Ils racontent leurs histoires, leurs aventures d'une manière… comme s'ils veulent provoquer ou nous blesser, comme s'ils veulent qu'on rêve d'être comme eux ou comme s'ils veulent qu'on les envie. Leur manière de se comporter avec les gens est mauvaise. Il y en a même, s'il fait chaud, qui mettent des pulls et des gros pantalons pour montrer qu'ils viennent de France, qu'ils ont acheté tout ça en France. En tout cas, si eux sont des "Je viens de…", moi je suis un "Je reste !", et bien sûr fier de l'être.
Abidi Moustadirane, 17 ans, Nyambadao, futur cuisinier
Je n'y pense pas vraiment à ces gens là, mais pour moi ils sont gentils. En tout cas ceux que je connais. Il n'y en a quelques-uns dans mon village et ils ont changé. C'était des bad boys avant de partir en France, maintenant ils sont tranquilles. Ils ont peut-être compris l'importance des études. C'est une bonne chose et ça me donne envie d'y aller. Il y a ma sœur à Paris, donc si j'ai l'occasion de faire ce voyage, surtout pour mes études, je n'hésiterais pas.
Assani Mohamed alias Daan, 20 ans, Chirongui, en terminal Bac pro à Sada
Comme la mentalité est différente et que les choses sont plus développées en France, quand les "Je viens de…" reviennent, ils se croient en avance, plus intelligents que ceux qui sont ici. S'il y a une organisation dans un village un peu ratée, ils se disent qu'on est à Mayotte donc c'est normal, c'est sauvage ici, on est encore loin… C'est le genre de propos qu'ils tiennent. Je pense que même si tu as été bien éduqué à Mayotte, tu apprends beaucoup de choses en allant en France, c'est une autre éducation. On reconnaît le "Je viens de…" parle son look et sa façon de s'exprimer. Souvent ça s'entend quand il parle.
Issouf Alidou, mécanicien, 18 ans, Majicavo
Très franchement, la plupart reviennent métamorphosés ! C'est fatal. Si vous en croisez un dans la rue, impossible de ne pas le reconnaître. Déjà ils portent tous des nouvelles fringues, et c'est un vrai plaisir de découvrir des nanas toujours plus sexy à chaque fois qu'elles reviennent. Puis les potes, pour ceux qui n'ont pas trop pris la grosse tête et qui n'ont pas oublié leurs copains d'enfance, il ont toujours un peu de monnaie pour allez boire un coup. Mais quand ils changent, c'est fatal. Surtout les filles ! La plupart se prennent pour des reines et ne vous adressent même plus la parole. Mais il y a quand même de bons cotés. Des fois la famille ramène des cadeaux, ou alors on peut passer commande aux collègues qui rentrent pour qu'ils nous ramènent des fringues ou des baladeurs…
Ahamadi Moussa, 17 ans, Cavani
C'est bizarre, mais dans ma famille, lorsqu'ils reviennent pour les vacances d'hiver, on remarque toujours un changement. Même moi qui ai vécu à la Réunion, j'ai du mal à m'expliquer ce phénomène, encore plus aux autres. Il est vrai que vivre loin de Mayotte, c'est s'éloigner de la tradition, de la famille, de la religion aussi parfois, mais cela n'explique pas tout. Beaucoup développent un complexe de supériorité et oublient leur passé. Je comprends que le fait de s'exiler fasse évoluer les mentalités, et je dirais même que c'est nécessaire car c'est toujours positif d'aller voir ailleurs ce qui se passe.
Salima 17 ans, élève de 2nde, Cavani
Ce que je pense des "Je viens de…" ? Simplement qu'ils se la "pètent" trop. Ils reviennent ici avec leurs nouveaux habits et leurs nouvelles idées, ne restent plus qu'entre eux et ils nous ignorent complètement. Comme si on n'avait jamais existé pour eux, alors qu'on à grandi ensemble. C'est un comportement marqué surtout chez les filles. Mon frère vit à la Réunion depuis 4 ans. Il est marié et a 26 ans. Heureusement lui n'a pas changé. Il est toujours aussi content de revenir à chaque fois qu'il le peut et il donne régulièrement des nouvelles. Si je dois partir un jour pour mes études, je ferais bien attention à suivre son exemple et surtout pas celui des trop nombreux anciens amis qui m'ont déçue.
"Déjà il y a un énorme changement de mentalités. Il y en a qui se croient les rois du pays et qu'il faut qu'on leur lèche les bottes. Moi aussi je vais bientôt partir et j'espère ne pas devenir comme ça."
"Moi, les Je viens de… m'impressionnent car je les vois plus autonomes que nous et certains nous disent qu'à l'extérieur de Mayotte c'est beaucoup mieux qu'ici."
"Je suis un Je viens de… et j'en suis fier. De toute façon je m'affirme en tant que tel. D'ailleurs j'ai plus de succès auprès des filles qui sont impressionnées dès qu'elles me voient !"
"Un Je viens de… se voit tout de suite. Pour les filles ce sont des vêtements souvent très colorés avec des bijoux en tous genres et les cheveux avec des mèches ou des tissages. En ce qui concerne les garçons ce sont les grosses lunettes, les piercings sur les oreilles, la casquette à l'envers et bien sûr la démarche…"
"Je suis surpris de voir que certains font semblant d'avoir oublié nos habitudes ici à Mayotte. C'est comme s'ils reniaient leurs origines."
"Moi, en les voyant bien sapés et tout, ça me donne envie de partir aussi."
"Il y en a certains qui n'aiment pas te parler parce qu'ils considèrent que tu n'es pas à la hauteur par rapport à eux."
L’avis d’une "Je viens de…" sur les "Je viens de…"
Salima Charafoudine, 24 ans, Master 2 droit public fondamental à Toulouse, de Chiconi
Je trouve ça vraiment ridicule d’appeler les jeunes Mahorais ou les gens qui se déplacent et quand ils reviennent ici des "Je viens de…". C’est l’évolution de la société, on n’y peut rien. Les jeunes d'ici, quand ils partent en Métropole ils découvrent un autre territoire, un autre mode de vie, ils sont obligés de s’adapter. Ils ne peuvent pas débarquer avec leurs salouvas, leurs boubous et leurs chapeaux comme des extraterrestres, ce n’est pas possible. Déjà que c’est difficile pour un noir de s’intégrer dans un pays comme ça, on est mal vu, on est mal accueilli, c’est une réalité en France, alors que eux, les blancs, je suis désolée mais quand ils viennent ici on les accueille les bras ouverts.
Nous on doit faire beaucoup d’efforts pour s’adapter, pour qu’ils nous acceptent, qu’ils ne nous rejettent pas et c’est comme ça, on y peut rien. Les vêtements d’aujourd’hui ne sont pas les vêtements d’il y a 100 ans, donc on n’a pas le choix en fait. La société évolue comme ça. Et ce n’est pas parce qu’on se met en pantalon qu’on est moins bien élevé qu’une fille qui porte un salouva ou je ne sais quoi. Je veux dire par là que moi je suis en pantalon et t-shirt, mais je fais des études, je fais le Ramadan, je lis le Coran… Après c’est vrai qu’il y a des frimeurs, mais ça aussi c’est la vie, on n’y peut rien.
Yazidou Maandhui, étudiant en DEA Littérature anglaise à Toulouse
Un "Je viens de…" sportif, littéraire et engagé
Yazidou Maandhui est étudiant en DEA Littérature anglaise à Toulouse à la rentrée, auteur et dramaturge ayant déjà publié un recueil de poésie "Le palimpseste du silence ou le silence des Dieux" en 2005 aux Editions du Baobab. Il écrit aussi des pièces de théâtre comme "L’Evangile de l’espace et du temps", produite la même année; une commande d’écriture du conseil général ou encore "Epître aux lucioles", présentée cette semaine dans le cadre du festival La Passe en S, jouée par une troupe professionnelle de Toulouse, le Théâtre Extensible, composée de professionnels et de semi-professionnels.
Pour lui, ces quelques semaines de vacances ont été rythmées non pas par les voulés, les mariages ou le tourisme. Ce fut surtout une période dont il a profité pour mettre en avant ses productions artistiques.
Après sa terminale littéraire à Limoges, Yazidou a décroché son bac L dans la Ville rose avant de valider son Deug d’Anglais. Assoiffé de culture, il partira une année avec Erasmus au Pays de Galles d’où il devrait revenir avec une licence en poche. De retour à Limoges, son parcours le mènera jusqu’à décrocher son master, avant de tenter le concours du Capes. Très attiré par les voyages et la découverte, la Métropole et le Pays de Galle ne sont pas ses premières terres d’évasion.
Peu avant de gagner l’Hexagone, ce jeune pamandzien de 25 ans a vécu à l’île voisine de la Réunion où il a passé sa première L. Parallèlement à ses études, Yaz, comme l’appellent ses proches, suivait un cursus sportif en sport études au Creps (Centre régional d’études physiques et sportives) de Saint-Denis en intégrant le pôle espoir judo de l’île Bourbon. Sportivement, cette expérience lui a permis d’atteindre le niveau de champion régional puis d’intégrer le pôle espoir de Limoges.
Aujourd’hui, le sport demeure pour lui un simple plaisir car c’est surtout dans le domaine littéraire et artistique qu’il s’exprime, puisque "très tôt, en 4ème, j’ai été attiré par l’écriture", nous confie-t-il. Sa "crise d’adolescence" passée, il redécouvrira l’envie et le plaisir de la littérature en première. "On m’a initié à la poésie de Francis Ponge et j’ai découvert le courant postmoderne, alors je me suis remis à l’écriture. J’ai travaillé le style, j’ai essayé de découvrir un peu l’écriture, ce qui s’est soldé en 2005 par l’apparition de mon premier recueil", reconnaît-il aisément.
Pour moi, "l’écriture est devenu un plaisir, c’est plus qu’ une passion, c’est une vocation", dans la mesure où il fait cela parallèlement à ses études. Une gestion pas toujours facile, ce qui fait que Yaz prend son temps pour écrire. "La gestion est plus ou moins aisée, nous dit-il puisque je ne subis pas une quelconque pression, à moins que cela ne soit une commande d’écriture". Plein d’ambitions, il a envie de se faire un nom à travers son écriture en affinant son style pour que "Mayotte soit bien représentée".
Très à l’aise en Anglais où il "excelle", selon ses propres mots, Yaz se prépare au professorat alors que sa passion première voulait le mener à effectuer une seconde théâtre. Mais "une fois à la Réunion, la combinaison des deux était trop difficile". Du coup l’anglais a fini par l’emporter, même si aujourd’hui ces deux aspects se retrouvent avec ses engagements universitaires rythmés par la littérature anglaise et son amour pour le théâtre.
Mais dans ses projets, l’intérêt n’est pas tant de revenir à Mayotte ou de rester en Métropole : "l’important est de trouver ma voie. (…) On ne doit pas se priver d’aller ailleurs, que ce soit aux Etats-Unis ou en Angleterre". Mais il reconnaît tout de même que la culture pourrait le faire revenir à Mayotte "non pas par nationalisme mais pour être plus au contact avec la réalité du terrain".
Après tant d’années à l’extérieur, il constate que Mayotte s’est développée même s’il tient à souligner que beaucoup d’efforts restent à faire, notamment au niveau du renouvellement des générations dans le monde actif. C’est en cela qu’il remarque une "concurrence rude entre nous, jeune génération, qui partons et qui ambitionnons d’avoir le plus de diplômes possible, et l’ancienne génération ou ceux qui n’ont pas eu la chance d’aller très loin dans les études, qui sont là depuis longtemps et qui comptent vraiment garder, qui s’agrippent à leurs places. Du coup, ceci crée un frottement, ce qui fait que les jeunes, on a du mal à s’intégrer".
Mais comme tout jeune Mahorais, Yaz remarque ces efforts à faire aussi au niveau de la prise en charge des jeunes qui partent effectuer leurs études hors du territoire. Pour lui, "cet échec est quelque part lié à une mauvaise gestion" administrative. Son expérience réunionnaise lui a montré qu’il est plus facile de réussir à l’île Bourbon qu’en métropole où l’intégration reste difficile et où se débrouiller est un crédo pour des étudiants qui se retrouvent "livrer à eux-mêmes". Il constate par ailleurs un fort manque de communication et d’information : "il faut qu’il y ait déjà une clarté par rapport à la Dasu elle-même", mais pour lui "c’est la bourse souvent versée en retard qui pèse le plus, ainsi que le manque ou plutôt une mauvaise orientation pour des jeunes dont la plupart ne disposent pas de réel projet professionnel".
Pour cet étudiant, la mise en place progressive de formations universitaires ne doit pas permettre de "confiner, empêcher les élèves de partir car on a besoin de partir en Métropole pour aller découvrir. Les empêcher d’aller chercher là-bas et ramener ici serait une sorte de régression (…). Il faut partager la responsabilité de cet échec. Est-ce que les acteurs qui s’occupent des élèves ne participent pas, inconsciemment, à cet échec ?" Pour lui, la base de tout cela serait une réorganisation du dispositif administratif entre les responsabilités de la Dasu et celles du vice-rectorat ; "il faut revoir l’organisation, médiocre, de ces administrations", propose-t-il.
Mais Yaz n’exclue en rien la responsabilité des jeunes Mahorais qui, "une fois en Métropole, se sentent libérés de quelque chose, toujours dans l’outrance, car beaucoup tombent dans l’alcool et dans l’excès", ce qui ne garantit pas forcément le retour sur investissement dans lequel la Collectivité s’est engagée. Il propose aussi de "mettre en avant ceux qui réussissent et publier chaque année des statistiques pour savoir qui réussit, où, quelle filière marche et qu’est-ce qui ne marche pas. Au moins en mettant en avant ceux qui réussissent, on pourrait montrer l’exemple aux primo arrivants qui auraient peut-être plus d’ambition, mais à ceux-là on leur met toujours dans l’esprit qu’ils sont partis pour échouer".
Ce qui le pousse à dire que "quand les conditions sont réunies, quand l’élève a été pris en charge vraiment intelligemment et surtout quand il se prend en main, la réussite est assurée. Mais le dispositif est là justement pour aider ceux qui n’arrivent pas à se prendre en main". Un engagement que Yaz défend et qu’il dégage à chaque fois que l’occasion se présente. Un bon tremplin pour démontrer que la poésie, la littérature ou le théâtre restent aussi un moyen d’engagement et participent à éveiller les consciences.
Céline Ahmed Ben Ali, ancienne étudiante en assurance
Diplômée, à la recherche d'un emploi et déçue de Mayotte
Alors que certains rentrent en vacances pour se reposer, voir les familles ou participer aux mariages, d'autres demeurent toujours en Métropole et ont du mal à quitter leur quotidien métropolitain pour, ne serait-ce que venir constater ce qu'est devenu Mayotte. Mais quelques uns s'accrochent vaille que vaille et se laissent séduire par l'envie de rentrer au pays et de servir du peu qu'ils peuvent. Voici l'exemple d'une jeune fille qui, depuis plusieurs mois déjà, s'est décidée de rentrer après un brillant parcours. Mais l'absence d'opportunités professionnelles pourrait la faire retourner à Paris, une issue à laquelle elle n'a pas envie de penser, mais qui demeure toutefois comme l'ultime solution.
Agée de 24 ans, Céline Ahmed Ben Ali a quitté son Chirongui natal après son bac décroché en 2003. A Paris, elle a obtenu un BTS en Assurance avant de valider une licence professionnelle, toujours dans le même domaine. Et c'est avec fierté qu'elle vient de rentrer dans l'objectif de servir son île, surtout après avoir acquis une expérience de deux ans au sein d'un cabinet parisien.
Mais depuis son arrivée, Céline cherche et ne trouve toujours pas. Elle cherche bien sur à travailler dans le domaine des assurances, mais pas seulement : "d'autres domaines aussi m'intéressent, nous dit-elle, sachant qu'à Mayotte il n'y a que trois entreprises évoluant dans le domaine des assurances. Je recherche aussi dans les postes administratifs, juridiques", mais c'est un bilan plutôt décevant qu'elle nous dresse puisque jusqu'alors, sur toutes les demandes adressées, aucune de positive ne lui est revenue. De quoi tirer la sonnette d'alarme;
"Je compte rester jusqu'à janvier sinon je rentre à Paris". Là-bas, elle compte faire un master mais elle sera obligée de passer par une autre licence avant d'effectuer sa formation. "Vue la situation dans laquelle je suis ici, je serais obligée de partir dans cette perspective", à moins que la chance lui sourit d'ici janvier.
Beaucoup de points négatifs sur Mayotte
Sa galère de trouver un emploi lui fait dire que les dispositifs d'aides à la recherche d'emploi sont plutôt décevants : "il n'y a pas d'informations, on ne connaît que l'ANPE, il n'y a aucune structure pour aider les jeunes à trouver leur emploi. Je suis vraiment déçue car on m'a souvent dit que Mayotte a changé, ça a évolué. La famille t'encourage et te dit "ne t'inquiète pas, tu vas trouver car Mayotte est en développement, on cherche des gens qualifiés", alors que ce n'est pas du tout le cas. J'en ai bien la preuve : pour trouver un emploi il faut connaître du monde, mais je pense qu'il faut quand même persister et j'espère que d'ici janvier je trouverais quelque chose. Je me dirais ouf ! Je me serais déjà sortie d'un gouffre.
Sur Mayotte, son état actuel et son évolution, Céline ne voit "que des points négatifs". Quant à la religion, pour elle "l'Islam est compatible avec la République, mais c'est un peu compliqué parce qu'on a l'impression que l'Islam est très présent, mais seulement quand ça nous arrange. L'Islam à Mayotte n'est pas le même que l'Islam en Tunisie ou au Maroc. A Mayotte, c'est un peu particulier et des fois je trouve que c'est un peu hypocrite, notre façon de voir et de vivre l'Islam".
Malgré son pessimisme avoué, Céline conseille à ses concitoyens de "réfléchir à leur façon de contribuer au développement de l'île". Elle tient aussi à dénoncer certains déboires dans l'administration comme "aller cinq fois par jour à la préfecture pour une carte grise" ou les queues interminables à la BFC de Mamoudzou. Une situation "inadmissible" vu l'élan de développement auquel Mayotte aspire. Une conscience qui devrait sans aucun doute lui permettre, elle aussi, de trouver sa place dans cette société qui s'occidentalise et qui oublie souvent ses enfants.
Daniel Djadi, bachelor en relations internationales
"Le métier de diplomate me fascine beaucoup"
On parle souvent de l'échec cuisant des étudiants mahorais dans l'Hexagone, mais on parle moins de ceux qui réussissent et qui sont dans ce que le sénateur Soibahadine nomme "les pôles de l'excellence". Voici un exemple, ils se comptent sur les doigts de la main, mais ils existent bel et bien. Agé de 25 ans, Daniel Djadi prépare actuellement un bachelor en relations internationales niveau licence dans une école spécialisée, l'Institut libre d'études des relations internationales à Paris avant d'intégrer le master 1 Affaires internationales, stratégie et négociation.
Son parcours est "assez atypique", car avant les relations internationales Daniel a obtenu une maîtrise de philosophie et trois licences, notamment de philosophie et pluridisciplinaire en vue d'une préparation d'entrée aux écoles de journalisme et instituts d'études politiques. Sa fibre journalistique passée, ce Pamandzien aspire plutôt à évoluer dans les milieux de la diplomatie et des relations internationales. "Le métier de diplomate me fascine beaucoup". Parallèlement à sa dernière année de master 2 l'année prochaine, il préparera un concours organisé tous les ans par le ministère des Affaires étrangères de "secrétaire général cadre Orient", un concours administratif pour devenir diplomate, un milieu où la concurrence est très rude.
Actuellement, Daniel est en stage à la direction des Affaires européennes du conseil général "pour percevoir la réalité locale et pour connaître les besoins de l'économie et de la société mahoraise". Son premier constat est qu'il manque de spécialistes sur tout ce qui concerne les questions européennes. Pour lui, il est impératif de se spécialiser sur l'Europe "dans l'optique de contribuer à la gestion du Fed (Fonds européen de développement) dont Mayotte bénéficie". Il rentre "assez souvent, au moins une fois par an et à chaque fois que je rentre j'essaie toujours de travailler car c'est là qu'on se rend compte vraiment de ce que c'est que le monde du travail, car lorsqu'on est juste étudiant en vacances, on ne se rend pas vraiment compte de la réalité des choses".
Pour sa part, Daniel jette un regard assez morose sur le développement de l'île en constatant beaucoup d'inégalités notamment au niveau salarial : "90% des Mahorais ne gagnent pas bien leur vie, donc je pense qu'un jour ou l'autre ça va péter". Pour lui, ceux qu'on appelle les "Je viens de…" sont des "privilégiés" (…). "On leur accorde une certaine importance, mais quand ils viennent ici ils ont une position assez critique des choses car dans le domaine professionnel j'ai l'impression qu'on se méfie un peu d'eux. Ils sont vus comme une menace car peuvent concurrencer les anciens qui détiennent les postes à hautes responsabilités".
Face à un communautarisme de plus en plus fort des Mahorais vivant sur le territoire national, Daniel conseille aux compatriotes d'être plus ouverts notamment aux mzungus, car "à Mayotte on a peur du mzungu car on ne le connaît pas assez". Quant à l'échec scolaire, il considère que cela est avant tout une question de volonté personnelle, d'encadrement (…). Il n'y a que la persévérance et le combat de tous les jours qui peuvent donner aux gens les moyens de réussir".
Nasra, 20 ans, étudiante en communication, Chiconi
Nasra habite à Mayotte depuis 1994. Installée avec sa famille à Chiconi depuis, elle a obtenu son baccalauréat littéraire l'an dernier et a décidé de partir en France pour continuer ses études. Si elle est partie c'est parce que la filière Information communication est inexistante sur l'île. En effet, la jeune fille en stage à Télé Mayotte souhaiterait faire un master Journalisme pour ensuite revenir travailler à Mayotte.
Après un an à l'extérieur, l'étudiante remarque plusieurs petits changements dans l'île au lagon, comme par exemple la fin des travaux du marché de Mamoudzou et se demande quand il sera ouvert. "Par contre les vendeurs ambulants ont disparu", nous dit-elle avec un sourire. Mais pour Nasra il y a des choses dans l'île qui vont trop vite à son goût et craint que cela ait des répercussions négatives sur la société mahoraise : "aujourd'hui Mayotte est devenue une véritable société de consommation et on a tendance à délaisser certaines activités, notamment agricoles ou artisanales".
De plus elle déplore l'état de l'environnement de l'île aux parfums, même si elle note une nette amélioration à ce niveau : "on ne voit plus autant de détritus partout". D'ailleurs elle pense que le sujet de l'environnement devrait être la priorité des politiciens mahorais, car c'est l'écosystème que l'on est en train de détruire.
Elle conclue en nous disant qu'elle pense que Mayotte a encore beaucoup de "route à faire" avant d'atteindre certains de ses objectifs, comme par exemple le tourisme qui pourrait être un véritable secteur dynamique, développé, et qui générerait des emplois et des revenus importants pour la Collectivité.
Mina, 17 ans, nouvelle bachelière, M'ramadoudou
Cette jeune mahoraise est en vacances à Mayotte. Cela est devenu un rituel depuis qu'elle est partie en pension à l'âge de 14 ans à l'île de la Réunion. Cette bachelière a ainsi passé 3 ans dans un lycée réunionnais pour préparer un bac STL qu'elle vient d'obtenir avec mention bien.
Elle revient 2 fois par an en vacances pour rendre visite à sa famille : à Noël et en juillet. Elle se dit toujours un peu choquée lorsqu'elle rentre en vacances car elle constate les différences entre la Réunion et Mayotte par rapport aux infrastructures. "Mayotte évolue, mais trop lentement, on a un gros retard par rapport à la Réunion", déclare t-elle.
D'ailleurs elle regrette beaucoup que certains parcours scolaires n'existent pas sur l'île et que les élèves se retrouvent obligés de quitter leurs familles. Cependant, elle ajoute que "les voyages forment la jeunesse et partir m'a forgé dans la tête". Aujourd'hui elle se dit prête à repartir, mais cette fois ci à Lyon pour y préparer un DUT de génie biologique et biochimique.
L'adolescente rêve d'avoir un jour son propre laboratoire d'analyses à Mayotte, mais veut avant cela "voir le monde". Passionnée de chimie, elle veut faire de la recherche dans le domaine médical et pharmaceutique et pense que "Mayotte serait un excellent terrain de recherche car nous sommes dans une zone tropicale, donc avec certaines spécificités".
Sinon Mina est fière de constater que la réussite scolaire soit devenue une priorité pour beaucoup de jeunes mahorais. "Le taux de réussite au bac ne fait que progresser depuis quelques années" et remarque que "les étudiants sont nombreux à partir pour poursuivre leurs études à l'extérieur".
Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.