À plusieurs endroits de l’île, ce mardi 23 janvier, de nombreux Mahorais ont décidé de bloquer les routes afin de protester contre l’insécurité et demander des mesures concrètes.
« Garez-vous là ! On doit pouvoir laisser un passage pour les urgences », intime une manifestante au premier barrage de Chirongui, parmi une soixantaine de Mahorais mobilisés contre l’insécurité, ce mardi 23 janvier, malgré la pluie. En amont de la station essence, en arrivant du Nord, une file de voitures est garée le long de la route. Pneus, carcasses de voitures, débris, poubelles renversées et troncs d’arbre jonchent le sol. À part les pompiers, les ambulances et les gendarmes, garés devant pour encadrer la zone, personne ne passe les barrages.
« Pas de photo, pas de vidéo », répètent les grévistes, plus ou moins véhéments, surtout inquiets que leurs employeurs les reconnaissent, comme les plus jeunes du groupe au visage masqué. Ou encore ce père de famille anonyme, posté à un second barrage, dont le ras-le-bol déborde : « Il n’y a pas de réponse concrète à l’insécurité, alors on fait ces barrages. Ça ne nous fait pas plaisir, mais on est obligé de passer par là, de sacrifier une journée de travail, pour se faire entendre ». Il poursuit : « On vit dans l’insécurité, le matin, le jour, la nuit, peu importe. La route est impraticable, les gens se font caillasser à l’aller comme au retour. Wuambushu n’a rien donné. Là, ça suffit. »
« Rendez-nous notre stade »
Excédés, les manifestants de Chirongui demandent aussi le démantèlement du campement du stade Cavani et que des mesures soient prises pour stopper les mouvements migratoires vers Mayotte. Tout comme une dizaine de personnes installées à l’entrée de l’avenue de la Préfecture, à Mamoudzou. « Rendez-nous notre stade », « Oui au département, non au débarquement », « Stade c pour le sport » … Autant de slogans affichés noir sur blanc à proximité de la tonnelle qui sert d’abris à ces autres manifestants. « Nous sommes là depuis dimanche, on n’a pas bougé », lance l’un d’eux, qui affirme que c’est la vidéo d’un migrant du camp du stade Cavani brandissant un drapeau français lors de la manifestation de dimanche qui les a résolus à venir siéger près de la préfecture. « C’est de la trahison », commente une des femmes présente à l’intersection.
Il ne s’agit pas du « vrai barrage ». Ce dernier, tenu par « deux mamans et un jeune homme », se trouve au bout de la rue, à l’entrée de la préfecture. Mais une dizaine de CRS bloque l’accès et nous indique que seuls les services de l’État peuvent passer. « Hier, je pouvais leur apporter de l’eau et de la nourriture. Aujourd’hui, on ne me laisse plus passer non plus », nous indique Safina Soula, présidente du collectif des citoyens de Mayotte 2018, qui pourtant souhaite se présenter comme simple citoyenne.
Pour elle, l’occupation du stade représente une réelle violence symbolique. « Ce sont nos infrastructures. On empêche notre jeunesse d’en profiter. On veut juste que nos enfants puissent jouer au foot », déplore celle qui a du mal à contenir sa peine et sa colère. « Nous ne sommes pas xénophobes, mais on n’en peut plus. On dirait que tout est fait contre les Mahorais. On ne va pas se taire », poursuit-elle, persuadée que sans ces barrages, la population ne sera pas entendue.
« Un sentiment anti-républicain parmi la population »
La présence des migrants originaires de différents pays d’Afrique continentale dans le stade semble finalement être comme une goutte d’eau dans un vase déjà trop plein. « Chaque fois qu’on part au travail, on demande si ça va être notre tour. Quand je vais faire des courses, voir ma famille avec les enfants, je me dis : « pourvu qu’on ne se fasse pas attaquer ». Est-ce que ça c’est une vie ? », interroge Naima*, une mère mahoraise au barrage de Chirongui, revenue de métropole il y a un an, pointant les agressions récurrentes sur les routes tout en étant convaincue que l’insécurité est alimentée par une jeunesse issue de l’immigration et la situation du stade. Et les affrontements répétitifs qui ont eu lieu la semaine dernière entre délinquants et migrants dans l’enceinte du stade n’ont rien arrangé.
Si ces problématiques ne sont pas nécessairement liées, le rapprochement est fait pour l’ensemble des manifestants, qui n’en peuvent plus des crises successives. « Il commence à il y avoir un sentiment anti-républicain parmi la population à force de ne pas se sentir écouté. Et cela me fait très peur », confie Safina Soula, avec une détresse dans la voix. Cette dernière devait, ainsi que d’autres membres du collectif, être reçue par le préfet à 10 h, ce mardi (voir par ailleurs). « On restera tant qu’on n’aura pas de réponse allant dans notre sens », affirmait plus tôt dans la matinée une des manifestantes, avenue de la Préfecture.
« C’est regrettable de devoir bloquer les routes pour espérer parler avec les élus et trouver une solution », déplore Naima depuis le barrage de Chirongui.
Dehors, la pluie continue de s’abattre sur le Sud et le vent de coucher les arbres sur la route. « Mais on va rester le temps qu’il faut ! Si c’est un mois, c’est un mois ! », assène une autre mère de famille qui se sent trahie par l’État « qui n’écoute même pas nos élus ».
*Prénom d’emprunt.