Plusieurs fois par an, Sea Shepherd France foule le sable mahorais pour effectuer des patrouilles de nuit visant à protéger les tortues. Contre les braconniers s’en prenant à cette espèce protégée, les bénévoles de l’association nationale n’hésitent pas à intervenir. Nous avons passé une nuit avec eux, lors de leur patrouille sur les plages de Moya, en Petite-Terre.
« Attention avec ta lumière ! » Cette nuit-là, il faut être discret sur les plages de Moya. Chuchotements et tenues sombres sont de rigueurs. Répartis entre les plages 1 et 2, quatre membres de Sea Shepherd guettent, tapis dans l’ombre, la présence de braconniers, qui viennent souvent ici pour chasser les tortues.
En 2017, Sea Shepherd France a lancé l’opération Nyamba. Régulièrement, des bénévoles de l’association viennent à Mayotte pour des missions de plusieurs semaines au cours desquelles ils patrouillent chaque nuit sur les plages pour protéger les tortues. Arrivés le mardi 12 décembre à Mayotte, Jérémy, Mickaël et Guyve, le responsable de l’opération, ont rejoint pour trois semaines El-Amine, vice-président de l’association de sécurité villageoise de M’tsamoudou (ASVM), dont l’organisation effectue des patrouilles à l’année dans le sud de Mayotte
Surprendre les braconniers
De la pluie accueille Guyve et El-Amine à Moya 2 pendant que les deux autres bénévoles sont restés à Moya 1. Les veilleurs s’assoient sous un arbre. La traque aux braconniers commence alors que le jour se termine. « On veut être en place avant la nuit, comme ça, on peut surprendre les braconniers, et pas l’inverse », explique le responsable de l’opération.
C’est grâce à cet effet de surprise que Sea Shepherd est parvenue à arrêter un braconnier dans la nuit du 15 au 16 décembre. Alors qu’un individu s’approchait d’une tortue muni d’un couteau sur une des plages de Charifou, les patrouilleurs l’ont pris au dépourvu en l’éclairant alors qu’il passait juste à côté d’eux. Pris de peur, il s’est laissé stopper et a été livré aux gendarmes. « Ils savent qu’ils sont en train de faire quelque chose d’illégal, donc ils ont peur », commente El-Amine. Néanmoins, n’ayant pas tué la tortue, l’individu a été relâché, tandis que Sea Shepherd s’est fait rappeler qu’elle n’avait pas la dérogation requise pour être sur ces plages interdites d’accès entre 18h et 6h, pour, justement, protéger cette espèce.
Une prise que Guyve espère malgré tout réitérer cette nuit. Muni d’une caméra thermique, il observe méticuleusement la surface de la plage et la mer, par laquelle les braconniers peuvent arriver. Le bruit d’un moteur rompt le rythme des vagues. Un kwassa non éclairé, invisible à l’œil nu, escorté par un premier bateau plus petit, transporte trois personnes, d’après les tâches claires qu’il observe dans le viseur de son appareil. Après discussion avec El-Amine, il écarte la piste des braconniers.
« Protéger les tortues est notre priorité »
Le talkie-walkie que le responsable de l’opération garde dans sa poche se met à vibrer : Jérémy et Mickaël ont repéré une tortue venue pondre sur Moya 1. Leur mission consiste alors à veiller sur elle. « Protéger les tortues est notre priorité lors de ces patrouilles », insiste Guyve, qui explique qu’ils n’arrêtent les braconniers que rarement, et seulement s’ils sont assez proches. En général, l’issue est davantage la fuite de ces derniers. Cette année, Sea Shepherd a fait fuir des braconniers une dizaine de fois.
Une équipe alternée d’une quinzaine de gardiens du conseil départemental de Mayotte est censée faire des rondes sur les plages de Moya pour surveiller que rien n’arrive aux tortues. Mais celui qui vient à Mayotte depuis le début de l’opération Nyamba affirme ne les avoir jamais vu effectuer leurs tours. En tous cas, pour l’instant, le constat est sans appel : pas de gardien sur la plage.
Le talkie-walkie vibre une deuxième fois. L’attitude calme de Guyve se transforme en état d’alerte. « Il y a des braconniers sur l’autre plage, on y va ! » Une course s’entame de Moya 2 à Moya 1, zigzagant dans l’obscurité entre les palétuviers et les vagues montantes. Arrivés à l’arbre sous lequel se cachent Jérémy et Mickaël pour surveiller la tortue, Guyve sort sa caméra thermique. La pression redescend. « Je pense que c’est l’association Oulanga Na Nyamba qui doit faire une sortie ponte », émet-il en regardant à travers le viseur. Ce dernier a vu juste.
Environ une heure plus tard, nous rencontrons les cinq individus membres de l’association qui anime le plan national d’action en faveur des tortues marines du sud-ouest de l’océan Indien. Ils étaient bien en sortie pour observer la ponte de l’animal et montrer aux nouveaux volontaires en service civique comment l’approcher. « Mais nous, on n’intervient pas directement si on voit un braconnier, on alerte les forces de l’ordre. On n’a pas le droit et on n’est pas formés pour intervenir », explique un des membres de l’association à Guyve. “Si vous venez à cinq sur les braconniers, ils vont partir, et ça sauve la tortue”, lui répond-il. Même cause, approches différentes (voir encadré).
Bientôt une antenne locale à Mayotte
Le membre de Sea Shepherd regrette qu’il n’y ait pas plus de patrouilles avec intervention sur l’île. C’est pour cela qu’en 2024, une antenne locale mahoraise de l’organisation non gouvernementale (ONG) va être créée avec des membres de l’ASVM. Une stratégie qui, il l’espère, devrait attirer du monde pour renforcer les rangs des actuels vingt-cinq patrouilleurs et permettre d’effectuer des rondes également dans le nord de Mayotte, moins surveillé.
De retour sur Moya 2, la nuit s’écoule pour El-Amine et Guyve, rythmée par quelques siestes alternées. Pas l’ombre d’une tortue ou d’un braconnier alors que le ciel commence à s’éclaircir. Le soleil se lève, tout comme ce qui semble être un des gardiens, qui fera demi-tour avant même d’avoir atteint le milieu de la plage.
Un froid entre Sea Shepherd et certaines associations locales
Les relations entre certaines associations environnementales locales et Sea Shepherd France ne sont pas au beau fixe. Des approches différentes sur la façon de protéger les tortues semblent être en cause. Aussi, un conflit par réseaux sociaux et médias interposés entre Sea Shepherd et Les Naturalistes en 2021 à propos d’un amas d’ossements de tortues à Saziley, où l’association locale organise des bivouacs chaque week-end. Un charnier preuve d’inaction pour l’une, une preuve de l’ampleur du braconnage vouée à sensibiliser le public pour l’autre.