Mayotte devrait subir les conséquences de la guerre israélo-palestinienne et des attaques des navires marchands en mer Rouge par les rebelles yéménites Houthis. CMA CGM, le géant français du transport de conteneurs et le premier à fréquenter le port de Longoni, a décidé de ne plus faire transiter ses navires par le canal de Suez, ce samedi.
Le consommateur mahorais n’a vraiment pas de chance par les temps qui courent. Son insularité, doublé de son trop grand éloignement de la métropole et son défaut d’un aéroport capable d’accueillir des avions cargo vont encore avoir raison de son porte-monnaie. La nouvelle est tombée ce samedi, et s’est répandue comme une traînée de poudre sur les médias numériques et les réseaux sociaux. Par un communiqué repris par différentes agences de presse (dont l’AFP et Reuters), le premier transporteur français de conteneurs, troisième géant mondial du secteur, la compagnie marseillaise CMA CGM a annoncé l’arrêt immédiat du transit de ses navires par le canal de Suez. Une décision passée, pour le moment en tout cas, quasi inaperçue pour beaucoup d’opérateurs économiques mahorais. Et pourtant, elle est très lourde en termes de conséquences pour le pouvoir d’achat des habitants du 101ème département français.
Tous les prix à la consommation sont appelés à augmenter dans un très court à venir. En effet, les marchandises en provenance d’Europe ne pourront plus être acheminés par cette voie maritime qu’est le canal de Suez reliant la mer Méditerranée à la mer Rouge, donc à l’océan Indien. Un raccourci synonyme de gain de temps et de moindre coût pour le fret de marchandises transporté par bateau. Joint par nos soins, le directeur de CMA CGM Mayotte (actuellement hors territoire) indique ne pas être officiellement informé de cette nouvelle et se dit « non habilité à la commenter et à nous répondre », tandis que la maison mère à Marseille n’est pas plus bavarde.
Rallonge des délais d’acheminement
De leurs côtés, plusieurs transitaires locaux contactés par nos soins ont affirmé avoir appris la nouvelle à travers les médias, notamment les journaux télévisés du samedi soir et la journée de dimanche. « C’est une nouvelle crise qui s’annonce pour les Mahorais et qui ne manquera pas de constituer une aubaine pour les grands distributeurs. Mais, il en sera autant pour les petits commerçants, tous ceux qui opèrent dans l’alimentation générale », n’a pas caché l’un de ces transitaires. « Cette décision de CMA CGM aura un gros impact sur les prix de l’ensemble des produits importés de métropole et d’Europe. Qu’ils le veuillent ou non, tous les intervenants dans cette chaîne seront obligés de réviser à la hausse les tarifs de leurs prestations », rajoute un second transitaire opérant au port de Longoni. Selon ses explications, ce changement de routes maritimes imposé par les attaques incessantes des rebelles yéménites (alliés à l’Iran) en solidarité avec les combattants du Hamas dans la bande de Gaza, oblige désormais les porte–conteneurs à contourner le Cap de Bonne Espérance (Afrique du Sud) via l’océan Atlantique, en longeant les côtes ouest-africaines. « Cela va bien entendu augmenter les délais d’acheminement des marchandises, de quinze jours au mieux, sinon d’un mois. Un temps qui va s’additionner à celui déjà trop long du traitement du fret à destination de Mayotte, à Maurice ou à La Réunion. »
Un autre transitaire installé à Mamoudzou nous déclare : « c’est encore ceux de notre profession qui vont se retrouver face à nos clients et supporter leurs remontrances sans pouvoir se défendre ». À la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM), cette nouvelle crise qui s’annonce est prise très au sérieux. Elle indique que le principal territoire d’importateur de La Réunion n’est autre que Mayotte et qu’il s’agit quasiment de produits importés de l’Hexagone ou d’Europe qui sont réexpédiés dans notre département. L’incidence sur les prix paraît donc inévitable. « Combien de ménages vont pouvoir se payer le luxe de manger de la viande européenne dans pareilles conditions ? », interroge un opérateur économique du sud de l’île. Il est convaincu que le marché mahorais qui bénéficie de certaines protections européennes et nationales doit s’ouvrir à des importations limitées (à certains produits) de pays Est-Africains tels que l’Afrique du Sud et le Zimbabwe s’agissant de produits de première nécessité comme la viande.
« C’est une aberration économique et sociale que celle consistant à importer de si loin des denrées alimentaires disponibles à bas près dans la région », souligne-t-il, avant de faire remarquer au passage que ces mêmes produits sont exportés couramment au sein du marché européen dans le strict respect des normes sanitaires imposées par l’UE.
Un carrefour commercial majeur
La décision de CMA CGM de suspendre, avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre, le transit de ses navires par la mer Rouge est intervenue au lendemain de celle du danois Maersk et de l’allemand Hapag-Lloyd, le vendredi 15 décembre. Elle a été suivie par un autre poids lourd du secteur, l’italo-suisse Mediterranean Shopping Company (MSC), après que deux navires (Platinium III et Al-Jasrah) de la marine marchande – battant pavillon libérien – aient été la cible de drones d’attaque et de missiles lancés par les rebelles Houthis. Près de 20.000 navires empruntent chaque année cette voie maritime reliant l’océan Indien à la mer Méditerranée via le Canal de Suez d’une part et le détroit de Bab Al-Mandab (extrémité sud du Yémen au bord de la mer Rouge) d’autre part. C’est une route commerciale majeure (40 % du commerce international) qui profite au commerce est/ouest pour toute sorte de denrées y compris les hydrocarbures. Le transit par le Canal de Suez permet en effet à des milliers de navires de raccourcir leurs trajets en évitant de contourner le continent africain ce qui leur occasionne des coûts supplémentaires.