Crise de l’eau : La manifestation de ce lundi laisse les organisateurs sur leur soif

Les révoltés de la crise de l’eau à Mayotte ont manqué l’appel à manifester du collectif « Mayotte a soif » de ce lundi matin, place de France à Dzaoudzi. Les organisateurs promettent de ne rien lâcher tant que l’État n’aura pas entièrement assumé ses responsabilités.

De la crise de l’eau à Mayotte, il en a encore été question, ce lundi matin, à Dzaoudzi, avec le collectif « Mayotte a soif ». Son appel à manifester sur la nouvelle place de France (ancien parc du bicentenaire de la Révolution française) a plutôt fait plouf. Un échec qui s’explique par différentes raisons, en premier lieu le déploiement par le préfet délégué du gouvernement à Mayotte, d’un important dispositif de sécurité avec des forces de gendarmerie tout autour du lieu indiqué pour accueillir la manifestation. Des forces disproportionnées au regard de la dizaine de personnes ayant répondu à l’appel. Des gendarmes, il y en avait à la sortie du quai Issoufali, devant l’ancien hôpital (bloquant l’accès à la case Rocher et à la résidence du préfet), mais également devant le détachement de la marine nationale aux abords des locaux abritant le cabinet préfectoral. De quoi attiser la colère de certaines personnalités politiques, des usagers de la barge et des passagers des navettes qui relient Mayotte et Anjouan. Une sexagénaire interroge : « C’est à se poser sérieusement des questions sur la gestion de cette île. Il y a des barrages et des poubelles en feu au carrefour de Combani où il n’y a aucune force déployée pour sécuriser la population. Et ici, les autorités concentrent un nombre démesuré de gendarmes et de moyens pour cantonner quoi au juste ? Juste dix manifestants ? Et à Paris, le gouvernement va dire qu’il maîtrise la situation à Mayotte alors que la crise de l’eau s’aggrave jour après jour, que des enfants tombent malades pour avoir bu l’eau du robinet. Tout ça n’honore pas la France ! » Devant les représentants de la presse locale et nationale venus couvrir l’événement, c’est Racha Mousdikoudine, la porte-parole du collectif qui laisse libre court à son verbe. « Cette manifestation symbolise pour nous la liberté d’expression, sachant qu’en parallèle, notre collectif a engagé des actions en justice ouvertes à toute la population de l’île, en sachant qu’elles n’iront pas toutes devant le juge, nous en avons conscience. Exercer notre droit d’expression, c’est montrer notre colère aujourd’hui devant le manque chronique d’eau sur le territoire. » Elle promet que son association n’aura de relâche tant que l’État n’aura pas consenti à assumer ses responsabilités vis-à-vis des Mahorais sur cette question.

« C’est à ce moment-là qu’on attend les élus »

Le choix d’organiser une telle manifestation loin d’un centre urbain, un premier jour de la semaine, la conviction que l’État est dépassé par l’ampleur de la crise de l’eau au point qu’il est dans l’incapacité de l’endiguer sont autant d’autres explications avancées qui font que très peu de personnes ne se sont mobilisées pour cette marche à Dzaoudzi. Gonflée à bloc, Racha Mousdikoudine préfère elle égrener les conséquences du manque d’eau sur la santé des Mahorais et n’hésite pas à fustiger l’attitude des élus mahorais qui savent, selon elle, appeler la population à voter pour eux, mais jamais à faire corps devant des problèmes communs jusqu’à ce qu’il soit trop tard. « C’est à ce moment-là qu’on les attend plutôt que de chercher des bouc-émissaires pour se soustraire de leurs responsabilités. » Elle fait le parallèle avec l’insécurité qui n’a cessé de croître depuis 1996 sans que nul n’ait réagi, société civile comme autorités, jusqu’à ce que les violences s’invitent dans les chaumières. « Ce serait important que même ceux qui disposent d’eau chez eux viennent exprimer leur solidarité à leurs compatriotes qui n’en n’ont pas. On oublie trop souvent que 30 % des habitants de Mayotte sont des femmes (seules) isolées, avec trois ou quatre enfants et qu’elle doit laisser seuls pour aller chercher de l’eau », poursuit-elle. Pour elle, outre l’impact sur sa santé, sur sa vie professionnelle à laquelle elle doit renoncer, cette situation aura indéniablement des répercussions sur la santé et la scolarité de ses enfants.

Autre personne présente sur la place de France à réagir devant la presse, Daniel Zaïdani, conseiller départemental en exercice dans le canton de Pamandzi et ancien président du conseil départemental de Mayotte (2011-2015). Ancien militant actif de l’association « Oudaïliya haki za wamaoré » (défense des droits des Mahorais), il a fait part de sa conviction selon laquelle « cette mobilisation est juste, justifiée et nécessaire. Il y a une nécessité à mettre les autorités face à leurs responsabilités et leur rappeler du besoin absolu de fournir de l’eau au plus grand nombre. Il est de plus en plus incompréhensible d’accepter de se retrouver devant cette incompréhension pour une problématique connue depuis 2016. Dans ma jeunesse, chaque habitation mahoraise avait sa réserve d’eau, certains au sol, d’autres en hauteur, mais dans tous les cas, c’était la norme de la construction à Mayotte ». Au Le conseiller départemental du canton de Pamandzi explique qu’au retour de ses études en métropole, il a compris qu’il n’est plus que nécessaire sur l’île d’avoir de tels dispositifs chez soi parce que les autorités compétentes ont la capacité de fournir de l’eau tout le temps, à tout le monde. « On voit bien 25 ans plus tard que ce n’est plus le cas. Il y a donc nécessité de revoir cela. Il clair aujourd’hui que l’État a failli, cette crise a démarré dans le sud de l’île en 2016, et à présent, elle touche gravement la Petite-Terre aussi », indique-t-il, regrettant le temps pris pour la troisième retenue collinaire ou les travaux de l’usine de dessalement de Pamandzi. Pour Kira Ada Colo, ancien assistant parlementaire européen, « il est dommage et dommageable pour la société mahoraise quand on sait que depuis sept ans au moins les signes précurseurs de ce problème ont été dévoilés. Malheureusement, la décision publique ici à Mayotte, en général et plus particulièrement sur cette question de l’eau, a tendance à subir un laxisme à tous les niveaux, depuis le gouvernement à Paris jusqu’aux collectivités locales. Personne ne bouge pour régler les problèmes qui frappent les Mahorais ».

Malgré l’actualité de la crise, le collectif Mayotte à soif n’envisage pas de reconduire à nouveau cette manifestation avant l’année prochaine. Racha Mousdikoudine estime en effet que les vacances de fin d’année approchant, les préoccupations des usagers portent sur d’autres directions. En revanche, elle et ses collègues comptent privilégier les réunions et vidéo-conférences pour poursuivre le traitement des plaintes exprimées par la population, notamment les factures exorbitantes adressées à certains usagers alors qu’il n’y a pas d’eau au bout du robinet.

Des retenues collinaires à 7% et 6% de leurs capacités

Alors que la saison des pluies annoncée comme « classique » arrive bientôt, le niveau des retenues collinaires approche lui de la fin. Le dernier Cons’eau transmis par la préfecture de Mayotte confirme que celui de Combani est à 7% de ses capacités et à Dzoumogné à 6%. La production d’eau potable ne dépend pas que des retenues (il y a le captage des rivières, les forages et l’usine de dessalement de Petite-Terre). Des travaux en urgence, comme la recherche de fuites, sont menés en ce moment pour approvisionner suffisamment l’île, mais ce sera très compliqué à faire sans l’aide de la pluie. Ce lundi par exemple, la consommation atteignait 26.582 mètres cube, elle est de 42.000m3 en période hors coupures.

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