[DOSSIER – HUMOUR] Souriez, vous êtes clichés

[Cliché : Lieu commun, banalité que l’on redit souvent et dans les mêmes termes ; poncif]

[Stéréotype : caractérisation symbolique et schématique d’un groupe qui s’appuie sur des attentes et des jugements de routine] 

[Sociotype : type de personnalité du point de vue sociologique]

Vous allez reconnaître et adorer ceux des autres, mais détester et renier le vôtre. Rien de plus normal : c’est le principe des clichés et des stéréotypes. Caractéristiques collées, légitimement ou pas,  à un type de personne ou à un groupe – on parle alors de sociotype -, ils sont partout. Où que l’on aille, quoi que l’on fasse, impossible d’y échapper, qu’on le veuille ou non. Chacun à sa manière a un pied – voire les deux – dans une case, et même parfois dans plusieurs.

Mayotte n’échappe évidemment pas à la règle. Cette petite île, réputée ouverte et tolérante, use elle aussi – et parfois même abuse –  de poncifs envers les uns et les autres. Est-ce un mal ? « Pas nécessairement », répondra le sociologue, à condition toutefois que le sujet ne soit pas enfermé dans l’image dont il est affublé par l’autre, par la communauté. 

Mayotte Hebdo a donc choisi de s’intéresser à tous ces sociotypes qui font l’île aux parfums et aux idées reçues qu’ils véhiculent. Et elle n’en manque pas : de l’infirmière fêtarde au cadre fantôme des collectivités, du prof chasseur de primes au mzungu raciste, sans oublier la bouéni endormie du marché ou encore le gendarme dragueur : nous avons isolé une douzaine de groupes, et nous sommes amusés à les décrire. Vous êtes forcément dans l’un d’entre eux ou dans plusieurs, au moins un peu. Et si ce n’est pas le cas, c’est que vous manquez d’autodérision. Cela serait bien dommage car, comme le dit notre intervenant : « L’autodérision est un pas vers la tolérance. »

Souriez, vous êtes clichés : un dossier à lire avec humour et second degré. Et n’oubliez pas, on peut rigoler, mais on ne se moque pas ! 

 

⚠ N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article qui sera étayé de nouveaux portraits

 

Le cadre qui travaille dans une collectivité

Sur son bureau, les piles de dossiers commencent à défier les lois de la gravité. La climatisation, en mode On depuis plusieurs jours, agite doucement les feuilles qui attendent, impavides, qu’on veuille bien les consulter. Anfouati, la secrétaire de ce directeur général adjoint d’une collectivité, a appris par cœur le message mécanique qui sauve ses journées de travail : « Ahmed H. est en déplacement. Rappelez demain ». En attendant, elle discute avec sa belle-sœur au téléphone qui, de toute façon, ne sonne guère plus. Lassés de rappeler tous les jours ce responsable aux abonnés absents, les interlocuteurs ne se pressent plus au bout du fil.

Ahmed est en déplacement depuis des mois. Quand il n’est pas à Madagascar – il fait bien partie du département Coopération régionale, non ?  –, il passe au bureau vers 10h pour demander à Anfouati  de rédiger quelques notes afin de justifier ses frais de bouche. A midi, il mange avec les vingt personnes de la délégation et évoque bruyamment ses dernières péripéties de voyage. Les convives des autres tablées ne sont même plus choqués, ils ont l’habitude.

Son père, agriculteur, lui a toujours dit qu’un homme qui réussit est un homme qui travaille dans un bureau. Ahmed a bien retenu le côté bureau, un peu moins le côté travail. Du coup, il a pris un peu de poids ces dernières années, il bedonne tranquillement. Il s’en fout, ce qu’aiment les femmes, c’est un petit ventre douillet et un portefeuille bien rempli. Avec ses chaussures faussement italiennes mais vraiment pointues, et son eau de Cologne qui embaume l’intérieur de son gros 4×4 payé cash, il trouve qu’il a réussi. Papa serait fier de lui. En tout cas, lui il l’est.

 

Le capoaï

 

Ce métropolitain qui a atteint un stade de tropicalisation très (trop ?) avancé ne pourra désormais plus se réadapter ailleurs. Le capoaï, également appelé « clochard » ailleurs – se trouve autour des épiceries – le soir en semaine, et dès le matin le week-end -, ou plus rarement attablé à un comptoir de bar. Il peut évoluer seul, mais préfère généralement trinquer en groupe de trois ou quatre capoaï. Il est facilement reconnaissable à la canette de mauvaise bière qu’il tient dans la main, et qui ne sera ni la première ni la dernière.

On l’imagine arrivé à Mayotte il y a de longues années : 10 ans, 15 ans. Peut-être 20. En tout cas, il est là depuis longtemps. Trop longtemps. Plus en tout cas que ce qu’il pouvait supporter sans sombrer. La chaleur, la mer, son divorce récent, des primes d’expatriation, des femmes plus jeunes que lui et peu regardantes, etc. : autant d’arguments qui l’ont alors convaincu que la vie était meilleure ici.

Malheureusement, le bonhomme n’a pas pris garde à la dégringolade. De mauvaise bière en mauvaise bière, d’été moite en été moite, l’ivresse l’a emporté sans qu’il ne s’en rende compte. Aujourd’hui, à cinquante ans, il a le visage rougi (et pas que par le soleil), des rides creusées, parfois un enfant qu’il a eu par accident, et la conviction qu’il mène la plus belle des vies. Il a probablement un métier, mais impossible d’imaginer lequel. En tout cas, une chose est sûre : il a des potes avec qui boire, boire, et boire encore devant des épiceries sans aucune retenue, et c’est finalement la seule chose qui lui importe.

Valable pour tout autre métropolitain célibataire qui arrive à Mayotte dans la force de l’âge, avec pour unique but de fuir quelque chose.

 

L’infirmière fêtarde

 

Le mercredi, « C’est Barak / Zen Eat ! » Ses jours de repos ? Wakeboard, plongée et sorties bateau. Sans oublier l’apéro « au Camion ». De temps en temps une sortie pêcheur et un voulé avec les collègues aides-soignants. Plus rarement, un dimanche au calme « Parce que ça fait du bien des fois. »

L’infirmière fêtarde aime Mayotte. Elle l’adore même ! Son lagon, tous les potes qu’elle s’est fait « Super rapidement », et tous ces loisirs trop cools qu’elle ne pouvait pas faire dans son Ardèche natale. Ici, elle vit en groupe, elle bronze, elle s’émerveille. Elle poste souvent des photos sur les réseaux sociaux. Le jour, ce sont les eaux turquoise et les plages blanches d’un ilot, accompagnées d’un « Trop dur la vie » ironique en commentaire. Le soir, c’est plutôt un selfie avec ses potes autour d’un verre de vin, avec là encore un « Trop crevée ! » faussement blasé comme message.
 Rapidement, ses amis de métropole vont venir la voir parce qu’elle leur donne envie, forcément. D’ailleurs, elle est « Super impatiente ! » de leur faire découvrir sa vie ici. Tellement hâtive qu’elle leur a déjà concocté un programme : Choungui au levé du soleil, wake, plongée, sortie bateau, voulé, bivouac, sortie pêcheur. Et bien sûr, « Camion, Barak’ et Zen Eat », parce qu’il « Faut trop que je les emmène au Zen Eat ! »

Quand elle repartira, elle sera triste. C’est pour ça qu’elle a déjà prévu d’aller en Nouvelle-Cal’ ou en Guyane. Mais ce n’est pas pour tout de suite : elle va prolonger son contrat pour un an. Ici, c’est trop chouette, et puis elle aimerait retourner une troisième fois à Mada, puis aller à La Run « Voir un pote », et aussi faire Maurice avant de partir.

Parfois, elle a un copain en métropole, mais elle n’est pas sûre que ça tienne entre eux. C’est normal : maintenant qu’elle a goûté à la vie au soleil, elle ne se voit pas retourner en arrière.  Lui, il veut une histoire tranquille, alors qu’elle, elle préfère « Profiter de la vie ». Elle verra bien, parce qu’elle n’a plus envie de se « Prendre la tête. »

En dehors de ses heures de travail, durant lesquelles elle est évidemment immédiatement identifiable, l’infirmière fêtarde est facilement reconnaissable : elle porte un short en jean, un débardeur, et des tongs. De retour de Madagascar, elle peut porter un sarouel et un tressage des cheveux égaye bien souvent son visage aux yeux un poil cernés.

Cette dernière caractéristique est d’ailleurs visible les lendemains de fête – particulièrement le jeudi -, mais aussi  à chaque fois qu’elle sort du CHM où elle vient de travailler 12h d’affilées, de jour ou de nuit. Car il faut bien lui reconnaître qu’elle bosse dur et consciencieusement.

Valable aussi pour les sages-femmes, les profs contractuels en première année, les salariés du privé célibataires de moins de 35 ans; etc. De manière générale, ce stéréotype peut concerner tous les métropolitains n’envisageant pas de rester plus de quelques années sur l’île.

 

La bouéni du marché

 

Il est 8h et il fait déjà chaud sous les toits du marché couvert de Mamoudzou. Ma Fatima est allongée de tout son long dans son nambawane bleu et blanc, le bras gauche replié sous elle. Son regard un peu embrumé passe sans les voir sur les ananas de saison, les papayes et les tomates plus vertes que rouges qu’elle vend aujourd’hui. Elle pense à toutes les bouteilles de poutou qu’elle ne peut plus écouler depuis que la préfecture a décrété que ce n’était pas aux normes. Depuis quand le poutou est-il illégal ? Tsssss, chipe Ma Fatima avec dédain.

Au bout de la rangée formée par les étals colorés dignes des plus belles toiles de Gauguin, une dame s’agite et marche d’un pas décidé vers elle. Une petite m’zunguette un peu fine, un peu pressée, un peu intimidée par ce milieu auquel elle n’appartient clairement pas. « Elle a de l’énergie, celle-là », pense Ma Fatima. « Ca se voit qu’elle ne s’est pas levée avant le chant du muezzin, qu’elle n’a pas levé les petits, pris le taxi brousse avec toute sa récolte. Je suis sûre qu’elle a la climatisation dans sa voiture », maugrée-t-elle encore. Qu’importe, il faut appâter la professeure en quête de légumes frais. « Madamou ! Madamou ! Papayes ? Tomates ? Ananas ? » La jeune femme frêle s’arrête devant l’étal et tente un « Gégé Bouéni » qui radoucit immédiatement Ma Fatima. « J’aimerais deux ananas, s’il vous plaît ». Mais c’est quoi leur problème, à ces wazungu ? Ils voient bien qu’on les vend par trois ! « Je n’en prends que deux, mais je vous paie les trois, ça ne me dérange pas ». Butée, Ma Fatima refuse. C’est trois, c’est trois. La mzunguette, courageuse mais pas téméraire, cède de bonne grâce. « Allez, on ne va pas se fâcher, tiens, je t’en mets un autre de plus », rigole Ma Fatima, regardant partir malicieusement cette petite chose toute perdue avec ces… quatre ananas. On a le sens du commerce, à Mayotte, on ne pourra pas nous enlever ça !

Mayotte Hebdo vise à contribuer au développement harmonieux de Mayotte en informant la population et en créant du lien social. Mayotte Hebdo valorise les acteurs locaux et les initiatives positives dans les domaines culturel, sportif, social et économique et donne la parole à toutes les sensibilités, permettant à chacun de s'exprimer et d'enrichir la compréhension collective. Cette philosophie constitue la raison d'être de Mayotte Hebdo.

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte Hebdo n°1112

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