Animaux du Lagon | Nettoyeurs des mers, une profession bien précaire

Comment prendre un bain quand on passe sa vie dans l’eau ? La question n’est pas si bête qu’il y paraît : les animaux marins ont tout autant besoin que les terrestres de se laver, mais n’ont pas accès à un détergent lessivable… Heureusement pour eux, il existe des astuces.

Tout être vivant rejette durant sa vie différents déchets et débris, morceaux de chair morte ou accumulations de sécrétions. Ceux-ci se dissolvent souvent dans l’eau, ce pourquoi les animaux terrestres prennent souvent des bains, éventuellement dans une boue qui étouffera les parasites et adhèrera mieux aux impuretés – d’autres comme les chats, craignant l’eau, préfèrent se lécher, ce qui revient au même. Mais les animaux marins n’ont pas accès à autre chose que l’eau, et toutes les impuretés qui ne se dissoudraient pas spontanément peuvent finir par leur poser de graves problèmes, tout comme l’accumulation de parasites.

Mais finalement, que sont ces impuretés et ces parasites ? Ni plus ni moins que de la « viande », pas toujours très ragoûtante certes mais assez nourrissante pour intéresser certains animaux avides de repas facile. Nous avions vu dans une précédente chronique (MH n°792) comment les concombres de mer se nourrissaient du film de déchets organiques présent à la surface du sable : d’autres animaux font de même directement sur le corps d’autres êtres, dans une relation symbiotique à bénéfice mutuel (nourriture contre nettoyage), et constituent ainsi la guilde des « nettoyeurs ».

On trouve des nettoyeurs dans plusieurs groupes d’animaux, mais les principaux sont les crevettes et les labres (poissons parfois appelés « girelles »). Commençons par les crevettes. On trouve plus d’un millier d’espèces dans la famille des palémonidées, qui est composée de petites crevettes souvent transparentes et munies de longues pinces. Si cette famille est si diversifiée, c’est que chacune des espèces est étroitement associée à un hôte symbiotique très particulier : oursin, anémone, corail, étoile de mer, holothurie, crinoïde… Ces crevettes miment à merveille l’aspect de leur hôte, leur permettant de passer inaperçues, et vivent ainsi bien protégées sur celui-ci, se nourrissant de ses parasites ou excrétions, et parfois de débris alimentaires qui passent par là. Les plongeurs connaissent bien Periclimenes soror, la « petite sœur des étoiles », ou la belle Periclimenes imperator, la crevette impériale orange et violette (et légèrement plus généraliste en termes d’hôte). En regardant bien, quasiment tous les oursins hébergent ainsi entre leurs piquants de petits animaux, qui viennent bénéficier de cette excellente protection.

D’autres crevettes nettoyeuses sont plus spécialisées dans un service plus précis : les soins dentaires. Oubliez la grossière fraise de votre dentiste et ses appareils de torture barbares, nous parlons ici d’une technologie qui est le fruit de millions d’années d’évolution, à la pointe de la perfection médicale ! Si les crevettes du genre Lysmata ont été rendues célèbres par le film Le Monde de Némo, c’est bien la grande crevette nettoyeuse (Stenopus hispidus) qui dispose de l’outillage le plus impressionnant : trois paires de longues antennes tactiles, et surtout trois paires de pinces de haute précision et une paire de fines brosses, avec une vue perçante capable de déceler la moindre impureté entre les crocs d’une murène ou dans les branchies d’un requin…


→ Un labre nettoyeur (Labroides dimidiatus) cherche à attirer l’attention d’une demoiselle soufrée (Pomacentrus sulfureus). Crédit Frédéric Ducarme

Car ces nettoyeurs n’hésitent pas à se glisser entre les terribles dents des plus grands prédateurs, qui pour les garder en bon état ont un grand besoin de ce service gratuit ! On les voit donc souvent s’affairer au plus profond du gosier des murènes, mérous et autres géants des mers, en toute tranquillité. Certains plongeurs expérimentés arrivent même à les convaincre de leur offrir une petite inspection gratuite…

Les crevettes nettoyeuses vivent généralement dans un trou, où les clients viendront les trouver pour bénéficier de leurs services. Les labres nettoyeurs quant à eux (espèces du genre Labroides et quelques autres au stade juvénile) occupent des « stations de nettoyage », souvent sur les crêtes de récif ou les massifs coralliens isolés. Pour les appeler, les poissons doivent adopter une position précise, toutes nageoires dehors et le corps incliné, immobiles bouche ouverte vers la lumière – oui, comme chez le dentiste. Cette posture est idéale pour les photographes sous-marins, même si certains poissons changent aussi de couleur dans cette situation, souvent en plus clair, peut-être pour mieux mettre en évidence les impuretés entre les écailles. Le labre lui aussi effectue une petite danse de séduction pour attirer des clients, parfois agrémentée de massages du dos. Pourquoi cela ? Car certains, trop gourmands, mordent parfois leurs clients ! Comme sur Uber, chaque nettoyeur a donc une « réputation » auprès des clients, et certains sont contraints de charmer pour convaincre… D’autant qu’il existe aussi la blennie à dents de sabre (Aspidontus tractus), parfaite imitatrice du labre nettoyeur, mais qui au lieu de nettoyer mord un grand coup dans la chair du client avant de s’échapper !

Uberisation, concurrence déloyale, tricherie, blanchi(sse)ment de corail : à quand une moralisation de la mer ?

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