Après trois ans à la tête de gendarmerie de Mayotte, le général Olivier Capelle quitte bientôt le territoire. Il intègre la direction générale de la gendarmerie, le 1er août, où il deviendra chargé de mission auprès du directeur des opérations et de l’emploi. Il y gardera un œil sur les Outre-mer et notamment Mayotte.
Flash Infos : Quel sentiment domine à l’approche de votre départ ?
Olivier Capelle : C’est très vaste comme question. Il y a des choses sur lesquelles on a été pleinement au rendez-vous. On a le quatrième escadron de gendarmerie mobile sanctuarisé à Mayotte, une présence quotidienne auprès de la population, que ce soit auprès des établissements scolaires, les transports scolaires, la voie publique, auprès des maires, on a des projets avec les communes sur la vidéoprotection. J’ai essayé d’être le promoteur d’idées un peu nouvelles, d’une façon un peu différente de travailler. C’est en cela que j’estime avoir rendu de bons services, au moins de loyaux services. On a vraiment essayé de travailler main dans la main avec les élus, les associations, les directions départementales, la préfecture de Mayotte, les magistrats, les forces armées. J’ai le sentiment d’avoir avancé dans le bon sens. Après, j’ai conscience que sur certains aspects, on a lancé que des chantiers. Ça vaut pour la culture de la prévention de la délinquance, on est à peine dans les projets de vidéoprotection. Les comités de locaux ne sont pas encore bien structurés, ça manque encore de régularité dans les échanges. On a mis la locomotive sur les rails, il faut qu’elle trouve son rythme de croisière.
F.I. : Comment voyez-vous l’évolution de la gendarmerie, notamment en matière d’effectifs ?
O.C. : Il y a deux volets, les affectés et les détachés [N.D.L.R. les gendarmes mobiles, dont les missions à Mayotte sont la lutte contre l’immigration clandestine et le maintien de l’ordre]. Pour les deuxièmes, quand je suis arrivé, il y avait un peu moins de trois escadrons [de 72 hommes chacun] sur le département. On en a quatre maintenant. J’ai conscience que c’est un effort très conséquent qui est fait par mon directeur général. On le voit bien en métropole, avec ce qui se passe en ce moment. Ces gendarmes mobiles sont souvent sollicités pour du maintien de l’ordre. Aujourd’hui, Mayotte concentre un cinquième des forces mobiles envoyées en outre-mer.
Sur la partie des militaires affectés, on est passé de 265 à 289. On passe à 319 en comptant le GIGN (groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale), dont le commandement est à Satory (Yvelines). On a créé pas mal de choses. Je pense à la compagnie départementale à Koungou. Ça m’a permis d’avoir un commandement sur Grande-Terre. Celui-ci est plus proche des brigades territoriales et permet d’avoir une meilleure réactivité dans les thématiques de police judiciaire et de sécurité publique que l’on connaît. Grâce à cela, on a créé une brigade de recherches, un niveau intermédiaire entre la section de recherches qui balaye le haut du spectre en termes de criminalité et la brigade territoriale. On a quatre militaires et j’y adjoins un petit groupe judiciaire. Ils sont neuf au total.
F.I. : D’autres changements sont prévus ?
O.C. : On va avoir des renforts supplémentaires, effectivement, au titre du groupe interministériel de recherches (GIR). Avec nos camarades de la direction territoriale de la police nationale, celle-ci va s’articuler autour de sept personnels. Ce groupe va travailler sur le champ de la délinquance financière et qui va nous permettre de chercher des organisateurs de certains réseaux liés à l’immigration clandestine, à l’entrée au séjour, au travail illégal, « des marchands de sommeil ». Ceux qui quittent notre section de recherches pour intégrer le GIR seront remplacés.
F.I. : Gérald Darmanin avait annoncé la création de quatre nouvelles brigades à Mayotte. Où en est-on ?
O.C. : Il y aura deux créations qui seront rapidement mises en œuvre. On attend que la validation politique par une annonce officielle du gouvernement. L’objectif est de pouvoir disposer à terme d’une architecture de commandement similaire aux départements de l’Hexagone. On peut imaginer, par exemple, deux groupements, un au nord et un autre au sud, ou le dédoublement des moyens d’intervention avec un deuxième Psig (peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie). Je pense que le département de Mayotte a encore besoin de structuration.
F.I. : L’année dernière, vous parliez justement de l’élaboration d’un schéma directeur. Où est-ce que vous en êtes ?
O.C. : Difficile pour moi de faire des annonces parce qu’il y a des enjeux fonciers et financiers lourds. Aujourd’hui, on réfléchit à ce que le commandement de la gendarmerie puisse se trouver plutôt sur Grande-Terre [N.D.L.R. il est actuellement à Pamandzi]. C’est là que se trouve 95% de notre activité. Ça nécessite du foncier. On a des pistes de réflexion intéressantes, mais je ne pourrais rien dire aujourd’hui.
F.I. : Certains élus locaux poussent parfois pour que Petite-Terre ou Koungou passent en zone police. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
O.C. : C’est vrai, Madi Madi Souf [maire de Pamandzi] a longtemps prôné un passage en zone police. Il a radicalement changé de position. Le maire de Dzaoudzi-Labattoir, Saïd Omar-Oili, n’a jamais fait cette demande. Je pense qu’on a fait la démonstration que la gendarmerie peut pleinement répondre à leurs attentes. En Petite-Terre, il n’y a donc plus de débat. Sur Koungou, je ne suis pas propriétaire de ma zone de compétences. C’est un choix qui se fait à des niveaux politiques. Il y a un travail de concert avec la municipalité qui est en bonne voie, mais qui mérite d’être amélioré.
F.I. : Sur l’aspect de la délinquance, les chiffres montrent une augmentation du nombre de faits en 2022 en zone gendarmerie (+15,6% par rapport à 2021).
O.C. : Ce que je vois sur ces trois dernières années, ce sont deux tendances structurelles. La première, c’est qu’on a une délinquance qui relève à l’intégrité physique des personnes qui est de plus en plus importante et qui découle de rixes pour différents motifs, parfois très futiles. De plus en plus de faits sont commis de très jeunes mineurs. La proportion de mineurs n’a été vraiment évolué, elle est aux alentours de 27% ou 28% parmi les mis en cause. On est rentré dans un cycle de violences structurelles. Un différent ne peut se régler que par des coups entre jeunes. La deuxième tendance, c’est l’augmentation de violences intrafamiliales (+44,1% en 2022). En trois ans, on a travaillé avec au départ une intervenante sociale dans la gendarmerie, on en a trois aujourd’hui. Elles concentrent beaucoup la parole des femmes. J’ai tendance à dire que cela traduit une libération de la parole. Par contre, je n’ai pas vu une augmentation des vols ou des cambriolages.
F.I. : Voyez-vous une augmentation d’autres faits ?
O.C. : Sur les six, huit derniers mois, on a davantage d’infractions financières. C’est aussi parce que j’ai le temps d’aller les chercher. Ça revient à ce que je disais sur la création brigade de recherches qui permet à la section de recherches de sortir ce genre d’affaires, comme celles des maires de Chirongui [Andhanouni Saïd a été condamné à 18 mois de prison avec sursis pour ses voyages en métropole et à Madagascar aux frais de la municipalité, des recrutements de proches à la mairie sans les qualifications requises et des marchés passés sans appels d’offres] ou Tsingoni [Bacar Mohamed a été condamné à douze mois de prison avec sursis, 15.000 d’euros d’amende et une peine d’inéligibilité de trois ans avec exécution provisoire pour prise illégale d’intérêts]. Je pense aussi aux fraudes Covid-19, un gros dossier sur lequel on a travaillé. On va continuer, parce qu’il n’est pas question de traiter que la délinquance de voie publique, qui reste notre priorité. De la lutte contre la délinquance financière, dépend le développement du territoire.
F.I. : Combien de temps consacrez-vous aux écoles chaque année ?
O.C. : On consacre 28% de notre temps sur la prévention de la délinquance aux alentours des établissements scolaires, transport scolaire compris. C’est énorme. Je ne suis pas sûr que d’autres commandements de gendarmerie fassent plus. Ça correspond à une réalité du territoire. Il y a 112.000 élèves scolarisés. L’année prochaine, on sera à 120.000. C’est normal donc d’y consacrer un quart de mon activité. Je sais très bien que c’est une population qui mérite une attention de chaque instant. Les établissements sont les catalyseurs des violences entre mineurs.
F.I. : Et concernant la lutte contre l’immigration, il y a beaucoup d’attentes ici, notamment parce que vos moyens ont augmenté.
O.C. : On a cinq intercepteurs actuellement, mais le plus ancien va être réformé. Alors oui, on a davantage de moyens, mais on a surtout standardisé nos procédures de travail. Ce n’est pas tant qu’on ait plus d’hommes, c’est qu’ils travaillent mieux. Les circuits d’information sont bien huilés, chacun sait ce qu’il a à faire. On a monté un nombre incalculable de missions conjointes avec la police aux frontières et la gendarmerie mobile. Avant que j’arrive, chacun travaillait dans son coin. Il y a encore des choses à améliorer, c’est vrai. Mais il fallait davantage se professionnaliser la chaîne et c’est ce que nous avons fait.
F.I. : Nous sommes toujours en pleine opération Wuambushu, qui a mobilisé davantage de policiers et de gendarmes (1.800 à son maximum). Est-ce que ça a vraiment aidé dans vos missions ?
O.C. : Oui, forcément. On n’a plus à faire des choix opérationnels. Quand on a autant de capacité de manœuvre, on peut traiter de front une fin d’année scolaire qui s’est globalement bien passée, tout en étant présent sur les contrôles liés à l’immigration clandestine, en assurant la sécurisation pendant la déconstruction d’habitats informels ou étant sur mer. Demain, et vous le savez, ces renforcements seront amenés à rentrer dans l’Hexagone et on rentrera dans une nouvelle phase plus technique, plus tournée vers de la police judiciaire. Là aussi, des renforcements arriveront, dans des délais qui restent à déterminer. Je pense que les résultats de la première phase sont plus qu’honorables. On aura toujours des détracteurs pour dire : « tout ça pour ça ». Mais il faut bien se dire que personne ne l’avait fait avant. Ça méritera d’être prolongé, peut-être d’une autre façon. Il ne faut pas que ça se limite à un coup d’essai.
Un autre général à la tête du commandement
Le successeur du général Olivier Capelle est le général Lucien Barth. Celui-ci est actuellement commandant en second de la gendarmerie de Corse. Il y est depuis août 2020. Avant cela, le militaire de 56 ans a été à la tête du groupement de gendarmerie de Nièvre et commandant de la gendarmerie de Martinique pendant quatre ans.
Romain Guille est un journaliste avec plus de 10 ans d'expérience dans le domaine, ayant travaillé pour plusieurs publications en France métropolitaine et à Mayotte comme L'Observateur, Mayotte Hebdo et Flash Infos, où il a acquis une expertise dans la production de contenu engageant et informatif pour une variété de publics.