L’ACFAV (Association pour la condition féminine et aide aux victimes) est dans la tourmente depuis quelques mois. La situation en interne est particulièrement tendue et les récentes décisions prises par la direction n’arrangent rien. Accusations de harcèlement et de discrimination, conflits d’intérêt et mal-être des salariés… des faits qui mettent à mal l’association.
« Tout s’est accéléré au début de l’année 2023 mais les problèmes au sein de l’ACFAV sont bien plus anciens », déclare amèrement Etienne Aka. Cet ancien directeur de l’association a été mis à pied en mars 2023 pour « fautes graves » – fautes qu’il conteste. Il explique avoir « tiré l’association vers le haut » à travers plusieurs actions, depuis son arrivée en octobre 2021. La présidente de l’ACFAV, Sophiata Souffou, ne tient pas le même discours et accuse l’ancien directeur d’avoir nui à l’ACFAV sur plusieurs points. Cette querelle révèle certaines failles au sein de l’association et ceci depuis plusieurs années.
Des accusations de « harcèlement » et de « discriminations raciales »
D’après une enquête de l’inspection du travail menée en mars 2020, l’ACFAV présenterait des « signes de dissensions au sein de la structure et des dysfonctionnements internes » et il y aurait « des tensions apparentes entre salariés et responsables de service ». Cette ambiance semble toujours d’actualité car plusieurs membres du personnel ont fait part de cette ambiance délétère, et certains disent avoir été victimes de « harcèlement ». C’est le cas de l’ancien directeur, Etienne Aka, qui a « été harcelé par la présidente » et affirme vouloir « le prouver en justice ». D’autres versions de salariés convergent avec l’avis du directeur, comme Séverine L.R., qui a quitté l’association pour des problèmes de santé. Elle aurait été victime d’un « enchaînement d’agissements hostiles » de plusieurs salariés et aurait été la cible d’une « coalition souhaitant son départ ». C’est ce qu’elle explique dans un courrier adressé au directeur en décembre 2022 : « ce déchaînement, cette dévalorisation au travail dont je suis victime a eu de lourdes conséquences, dont une fragilité sur ma santé globale en raison du caractère dégradant et humiliant des actes commis envers ma personne ». Outre le harcèlement, des faits de « discriminations raciales » ont également été révélés au sein de l’association. Dans un compte-rendu de l’ACFAV du 30 décembre 2022, auquel la rédaction a eu accès, deux plaintes pour discriminations raciales ont été déposées, ainsi que deux autres plaintes pour harcèlement moral.
La présidente et l’ancien directeur se renvoient la balle…
Seulement voilà, l’ancien directeur et Séverine L.R. sont eux aussi dans la tourmente. Cette dernière est accusée d’avoir instauré un « climat de méfiance » au sein de l’association et ne serait « pas compétente ». Cette salariée a été recrutée il y a moins d’un an et certains membres lui reprochent le fait d’avoir obtenu ce poste grâce à sa relation personnelle avec le directeur – son compagnon. C’est ce qu’on peut lire dans un rapport de l’ACFAV datant de décembre 2022, dans lequel une salariée prénommée Frahati explique : « [le recrutement de Séverine L. R.] pose problème sur l’île de Mayotte, parce que d’habitude sur l’île, en recrutement, on sépare les maris et les femmes ». Si Etienne Aka se défend en affirmant que Séverine L.R. est bien compétente et détentrice de la formation nécessaire pour occuper son poste, un rapport de l’inspection du travail relève tout de même une « absence de plan de recrutement ainsi qu’un manque de procédure écrite pour le recrutement » au sein de l’ACFAV. Cette faille dans le processus a sans doute joué un rôle dans le recrutement de Séverine L.R., qui n’avait finalement pas le diplôme requis pour occuper son poste.
Quant à l’ancien directeur, il est accusé de harcèlement par une dizaine de salariés et une plainte a été déposée contre lui. La présidente a affirmé, lors d’une interview sur Mayotte La 1ère, que ce dernier aurait été un « manager toxique qui a commis des fautes graves, avérées et reconnues par l’inspection du travail ». L’avocate de cette dernière rajoute qu’Etienne Aka n’a déposé aucune plainte contre la présidente, qu’il accuse pourtant de harcèlement. « Et aux dernières nouvelles, il n’a pas saisi le conseil des Prud’hommes. Or, c’est ce qu’il aurait dû faire avant d’ouvrir un procès médiatique », affirme-t-elle.
Outre ces accusations mutuelles, un grand nombre de salariés reprochent à la direction de ne pas avoir accepté le changement de locaux vers Combani – changement qui a pourtant été voté à la majorité. Ces locaux avaient déjà été pointés du doigt par l’inspection du travail en mars 2020. Dans son rapport, auquel la rédaction a eu accès, il est noté que « les deux bâtiments de l’ACFAV sont extrêmement vétustes à tous les niveaux et ils présentent un risque avéré pour le personnel qui y travaille ». Plusieurs salariés ont dénoncé de mauvaises conditions de travail : un espace exigu, des locaux trop éloignés obligeant certains salariés à se lever à 3 heures du matin, ou encore un manque d’intimité dans les sanitaires.
Une gestion financière de l’association qui fait débat
En parallèle de cette ambiance délétère, la gestion des finances de l’association pose aussi problème. Pour rappel, l’ACFAV est une association qui perçoit des subventions de l’État français dans le but de venir en aide aux victimes (aides logistiques, administratives, sociales, etc.). Mais Etienne Aka affirme que la présidente aurait effectué deux virements, l’un de 500 000 euros et l’autre d’un million d’euros entre deux comptes internes à l’association. D’après lui, ces versements correspondraient à des « placements à court terme » qui n’auraient pas été validés par la direction au préalable. L’avocate de Sophiata Souffou réfute ces accusations et explique que ces sommes correspondent justement aux subventions de l’État de l’année 2022, mais qu’elles n’ont pas encore été utilisées. Si cet argent aurait, néanmoins, déjà dû être réinvesti dans des infrastructures pour les victimes, son transfert entre les différents comptes de l’ACFAV n’est pourtant pas illégal. En effet, l’argent est toujours présent dans la trésorerie de l’association.
Enfin, la présidente explique que l’ancien directeur se serait versé des primes sans en avoir préalablement demandé l’avis au bureau administratif. « Il doit de l’argent à l’ACFAV et il devra s’expliquer devant la justice », explique-t-elle. Les primes en question correspondent aux primes Ségur octroyées par la Direction de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DEETS) aux contractuels du droit public. Etienne Aka aurait reçu cette prime pendant six mois alors qu’elle « n’était pas censée être octroyée à un directeur », d’après l’avocate de Madame Souffou. Etienne Aka se défend en expliquant qu’il a permis à l’association de toucher d’autres valorisations en parallèle. Il dit avoir mis en place des comptes CPF pour tous les salariés, une mutuelle complémentaire, une prévoyance, la prime Covid, et affirme également avoir contribué à l’augmentation des salaires de l’ensemble des employés, jusqu’à trois fois ce qu’ils gagnaient auparavant.
« Mensonges », « accusations infondées », « diffamation »… L’ancien directeur comme la présidente ne cessent de se renvoyer la balle, plaçant au centre des discordes l’ACFAV. En attendant que la tension ne retombe – sans doute devant la justice – l’association peut s’appuyer sur un effectif solide qui a été renforcé à l’occasion de l’opération Wuambushu et qui devrait pouvoir mener à bien les actions de l’association.