Destitué en 2022 après une décision de justice, Andhanouni Saïd a refait parler de lui au tribunal correctionnel de Mamoudzou, ce mardi 6 juin. L’ex-élu a été reconnu coupable de la radiation sans raison d’environ 200 électeurs de Chirongui pour favoriser le tandem Mansour Kamardine-Tahamida Ibrahim aux élections départementales de 2021. Il a pris un an de prison ferme, le maximum possible pour ce fait.
Au soir du 27 juin 2021, les candidats des Républicains, Mansour Kamardine et Tahamida Ibrahim exultent. Ils viennent de remporter le canton de Sada-Chirongui avec 38 voix d’avance. Une paille que va vite contester le duo perdant composé de Mariam Saïd Kalame et Mohamed Abdou, en raison des doutes sur la sincérité du scrutin à Chirongui. Le tribunal administratif de Mamoudzou, puis le conseil d’État en juillet 2022, leur ont donné raison. Rejouée en septembre 2022, la bataille électorale a profité au nouveau tandem Mariam Saïd Kalame-Soula Saïd Souffou (300 voix d’avance). Côté justice, les irrégularités constatées ont fait l’objet d’une enquête de la gendarmerie, notamment au vu du nombre des personnes radiées mystérieusement des listes.
Ce sont plus de 200 personnes qui ont été radiées des listes électorales, sans motif apparent, entre le 28 juin 2020 et le 28 juin 2021. Trois personnes ont été mises en cause dans cette affaire, la responsable de l’état-civil, le directeur de cabinet de l’ancien maire et l’élu en question. Ce dernier est resté maire de 2020 à 2022, avant d’être privé de ses fonctions à cause de sa condamnation pour détournements de fonds, prise illégale d’intérêts et favoritisme en mai 2022. Sa peine initiale (il a fait appel) était de 18 mois de prison avec sursis, une amende de 15.000 euros, une peine d’inéligibilité de dix ans et une interdiction d’exercer un mandat pendant cinq ans avec exécution provisoire. Il n’était pas présent lors de l’audience, qui s’est tenue ce mardi 6 juin devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou. Toutefois, il était représenté par son avocat, maître Askina Moussa.
Tout d’abord, le toilettage des listes électorales est une pratique habituelle dans les communes. Il se fait en raison des changements d’adresse des électeurs ou en cas de décès. Sauf qu’en juin 2021, la plupart des personnes radiées et qui n’étaient pas au courant pour la plupart étaient des membres des familles des opposants de Mansour Kamardine et Tahamida Ibrahim, leurs amis ou encore des collègues. L’ancien directeur général des services de Roukia Lihadji, ancienne maire de la commune, en fait partie par exemple. « Il s’avère que ce sont des gens de Malamani et Mramadoudou, des fiefs de l’opposition », fait remarquer la présidente du tribunal correctionnel, Chantal Combeau, ce mardi matin.
« J’avais peur d’être mise au placard »
Un ancien adjoint d’Andhanouni Saïd, aujourd’hui dans l’opposition, avait désigné très clairement l’ancien collaborateur du maire comme étant « à l’origine » du système. Il a affirmé que c’est lui qui a fait passer une liste et lui a demandé de cocher les gens qu’il connaissait dans son village de Tsimkoura. Originaire de Malamani, le directeur de cabinet aurait fait de même pour chez lui. « Il ment », affirme l’homme de 72 ans, par ailleurs ancien conseiller général. Il reproche à l’ancien adjoint « des manigances » au sein de l’appareil local des Républicains contre lui. Le bras droit de l’ancien élu répète tout au long du procès, n’avoir rien fait, il a juste « suivi les instructions du maire », ajoutant : « ce n’est pas moi qui décide, c’est lui ». Il maintient que les gens radiés l’ont été forcément pour une raison valable. Andhanouni Saïd avait, lui aussi, été interrogé et avait contesté les déclarations de ses collègues, ainsi que son implication devant les enquêteurs. « Jamais, franchement, je vous dis la vérité, je n’ai jamais fait ça », cite la présidente à l’audience.
De son côté, la responsable de l’état-civil reconnaît son implication. Elle accuse l’ancien maire de Chirongui et le collaborateur de lui avoir fourni la liste alors que les élections départementales approchaient. « C’est monsieur le maire qui a demandé les radiations ». Il lui a donné des noms écrits manuellement, qu’elle a retiré du registre électoral unique (REU), puis présenté la liste en commission de contrôle le 31 mai 2021 (la date limite était le 30 mai normalement). Elle exprime ses regrets : « je suis coupable indirectement, je regrette beaucoup. J’avais peur d’être mise au placard ». En effet, elle était employée à la médiathèque quand la nouvelle équipe en municipale l’a placée à la tête de l’état-civil, où la femme du directeur du cabinet avait opportunément atterri.
Ni elle ni l’autre n’avaient de connaissances en droit électoral. Celle qui est retournée à la médiathèque depuis (« un placard » selon elle) souligne cependant avoir signifié à, au moins une cinquantaine de personnes, leur radiation de la liste électorale, comme le prévoit la loi.
« Ici, on empêche les vivants de voter »
D’après l’avocat des parties civiles (deux électeurs ont déposé une plainte au pénal), maître Laurent Tesoka, l’ancien maire de Chirongui se serait vanté que l’élection de Mansour Kamardine et Tahamida Ibrahim était de son fait et qu’il avait « tout risqué pour eux ». Le substitut du procureur, Tarik Belamiri, note : « on a connu des morts qui votaient. Ici, on empêche les vivants. Je ne sais pas ce qui est pire ». Il assure ensuite : « il n’y a aucun doute sur l’intention frauduleuse. 200 personnes, on ne peut plus parler d’erreur ».
L’avocat de la prévenue de 50 ans, Érick Hesler, affirme que sa cliente « a subi des pressions », elle avait peur d’être envoyé dans une « voie de garage ». Il n’y a, de plus, « aucun élément intentionnel ». Cette dame sans histoire soutient avoir envoyé les notifications des radiations, même si ce n’était qu’une cinquantaine, et a délivré des attestations à ceux qui les contestaient. Ainsi, 73 électeurs ont tenté de faire valoir leur droit de vote en 2020 au tribunal administratif (une cinquantaine a réussi). « On aurait pu en présenter bien plus, mais on a manqué de temps », rappelle maître Laurent Tesoka, qui était intervenu à l’époque. Souvent, cela n’a pas servi à grand-chose, la mairie n’ayant pas suivi l’injonction du tribunal.
Maître Ahmed Idriss, qui défend le conseiller de l’ancien maire, certifie qu’il n’y a pas de réelles preuves, que son client n’a pas non plus l’autorité de faire radier des gens. « Il n’y a pas de preuves formelles que c’est lui qui a fait radier ces gens. Il est inculpé seulement car il a pris part à des réunions et que c’était un conseiller du maire. Ce n’est pas suffisant. » Quant à Andhanouni Saïd, son avocat dénonce des déclarations incohérentes ainsi qu’un manque de preuves. « Ces radiations étaient justifiées, je ne vois pas où est le problème. Ça ne mérite pas de condamnation. »
Le tribunal correctionnel de Mayotte a reconnu Andhanouni Saïd coupable de fraude électorale et le condamne à un an de prison ferme (le maximum prévu par la loi), cinq ans d’inéligibilité, ainsi que la privation de ses droits civiques pendant cinq ans. La fonctionnaire a été reconnue comme complice, avec une peine de six mois de prison avec sursis et une inéligibilité pendant cinq ans. Ils seront obligés de payer solidairement 1.000 euros de préjudice moral aux deux victimes et devront s’acquitter également ensemble de 2.000 euros de des frais d’avocat de la partie adverse. Le directeur de cabinet a été relaxé au bénéfice du doute. Il pourrait toutefois être sur le coup d’une condamnation, ce jeudi. En effet, il faisait partie aussi des proches du maire jugés avec lui, en mai 2022, puis rejugés dernièrement en appel. Il aurait participé au fameux voyage financé par la municipalité pour des « échanges culturels » à Madagascar à la fin de l’année 2020, que les protagonistes ont eu bien du mal à justifier lors du procès en mai 2022.