Les porcelaines, les autres déesses de la mer

Dans un précédent article, nous avons vu que Mayotte abritait une petite et précaire population de sirènes, les dugongs (Dugong dugon). Cependant, ce ne sont pas les seules princesses de la mer que l’on puisse trouver dans le lagon et autour : en effet, il existe des coquillages qui ont tout d’une déesse, les porcelaines.

 

Les porcelaines sont des mollusques de la classe des gastéropodes donc univalves (à la différence des bivalves comme les huîtres). Les gastéropodes forment la famille de mollusques la plus diversifiée, avec plus de 100 000 espèces décrites que l’on retrouve aussi bien en milieu aquatique que terrestre (les escargots). C’est le deuxième plus grand groupe animal après les insectes. Ils possèdent une coquille le plus souvent spiralée (sauf chez les patelles et les Opisthobranches, « limaces de mer ») et un système digestif torsadé. Ceux-ci sont littéralement des estomacs sur pied puisque le terme « gastéropode » vient du grec « gaster » (= estomac) et de « –pode » (= pied). Contrairement à une idée reçue, tous les gastéropodes ne sont pas herbivores.  Certains chassent des poissons, comme le cône géographe (Conus geographus) dont le venin est capable de tuer un humain, ou d’autres mollusques, comme Edentulina ovoidea, escargot terrestre endémique des Comores et prédateur des achatines (Achatina fulica), espèce introduite et fortement invasive.

 

Les porcelaines forment une famille au sein des gastéropodes que l’on appelle Cypraeidae. Cette famille compte plus de 250 espèces et on en a recensé 46 dans le lagon de Mayotte. Chez les porcelaines, pendant la maturité sexuelle, la coquille ne s’enroule plus mais grandit en s’épaississant. L’ouverture se referme pour ne laisser plus qu’une fente dentelée au centre de la face inférieure. Ainsi la spirale de la coquille est interne et n’est plus visible à l’âge adulte. Ceci leur donne leur forme de demi-coque ovoïde si particulière comparée aux autres gastéropodes. Sur la face inférieure on trouve l’ouverture étroite entourée de petites dents d’où sort l’animal. La face supérieure est vernissée et brillante mais pas toujours lisse comme chez Nucleolaria nucleus où elle est fortement grumeleuse. Certaines espèces sont herbivores mais la majorité se nourrit des restes d’animaux, d’éponges, d’ascidies ou d’anémones.

 

Les porcelaines sont connues depuis la préhistoire et on s’en servait il y a plus de 10 000 ans pour fabriquer des colliers et orner les morts. L’Homme a ensuite trouvé d’autres utilités à ces coquillages. Ainsi, les Monetaria moneta que l’on trouve dans le lagon doivent leur nom au fait qu’elles ont été utilisées comme monnaie d’échange dans le Pacifique et l’océan Indien : elles figurent encore sur les billets aux Maldives. On trouve dans la littérature qu’à la fin du XIXème siècle, en Ouganda, un poulet valait 25 porcelaines et une vache 2500. Les porcelaines sont aussi devenues au cours du temps une source d’inspiration pour de très nombreux objets décoratifs.

 

En raison de la forme de l’ouverture du coquillage, les Romains le nommaient « porculus » en référence à la vulve des truies (pas très glamour) et qui désignait aussi le sexe féminin. Ce terme traduit en français est devenu porcelaine. C’est seulement au XIIIème siècle, que par analogie, on donna aux terres cuites vernies venues de Chine le nom de porcelaine en rapport à l’aspect lisse et brillant du coquillage auquel elles ressemblaient.

 

Si les Hommes du paléolithique avaient la même image des porcelaines que les Romains, on peut supposer, a posteriori, que l’utilisation pour l’ornement de leurs morts pouvait avoir un double symbole : celui de l’arrivée au monde et de l’entrée dans un autre monde, celui de la mort. De même en Nouvelle-Zélande on réalise des ceintures de fertilité avec des porcelaines. Dans d’autres endroits on les utilise comme talisman protégeant la grossesse et l’accouchement. On peut aller plus loin dans l’analogie et considérer que ce coquillage présente d’un côté le sexe féminin et de l’autre le ventre de la femme enceinte. D’ailleurs, la plupart des porcelaines étaient jadis classées sous le même genre Cypraea qui vient du grec « Kupris » et qui était un des noms donné à Aphrodite (Vénus chez les Romains), déesse de l’amour et de la sexualité. On comprend donc maintenant pourquoi ces coquillages ont tout d’une déesse.

 

Les porcelaines sont désormais prisées des collectionneurs et certaines espèces peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros. Ne vous précipitez pas pour autant dans le lagon, aucune porcelaine de Mayotte n’est assez rare pour vous rapporter des fortunes. A Mayotte, c’est plutôt le ramassage pour la consommation qui impacte ces espèces. D’ailleurs, on peut s’étonner de ne voir que si peu la porcelaine tigre (Cypraea tigris) à Mayotte par rapport à ce que l’on observe dans les autres îles de l’océan Indien.

 

Par leur histoire, leur symbolique, leur beauté et leur rôle dans l’écosystème, les porcelaines figurent donc elles aussi parmi les déesses du lagon : évitons donc de les ramasser vivantes si nous voulons qu’elles continuent de veiller sur nous !

 

Face inférieure de Mauria mauritana.

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