Mayotte, l’île-hippocampe

 

Le symbole pictural de l’île aux parfums est un étrange poisson à tête de cheval. Pourquoi a-t-il cette drôle de forme? Pourquoi ne le voit-on que si rarement dans le lagon? Les réponses avec Frédéric Ducarme.

 

Du club « Hippocampe plongée » à la bière « Hipo », l’hippocampe est bien présent dans la symbolique mahoraise, et deux de ces étranges créatures encadrent le blason de l’île, visible par exemple au Conseil Général. Mais pourquoi ce poisson, que l’on voit si peu, est-il devenu le symbole de Mayotte ? Tout simplement à cause de la forme de l’île : elle ressemble, vue du ciel, à un hippocampe la tête en bas. La bouche en tube se termine à Bouéni, et les caps de Kani-Kéli, Mronabéja, Mbouini et Mtsanga forment la crête située sur la tête de l’animal (plusieurs espèces en sont pourvues) ; l’œil serait situé très exactement à Choungui. Le rétrécissement de Chirongui forme le cou, et la région qui va de Sada à Tsingoni est le ventre : il s’agit sans doute d’un mâle ! A Hamouro devrait commencer la nageoire dorsale, qui est transparente (c’est normal). On peut enfin imaginer dans la région du Nord une queue bien enroulée. 

 

Mais pourquoi les hippocampes, qui sont bien des poissons, ont-ils cette drôle de forme ? Cela est dû à leur mode de vie très particulier. Les hippocampes font partie de l’ordre des syngnathiformes, ce qui signifie qu’ils ont la mâchoire soudée : ils ne peuvent pas ouvrir grand la bouche, qui est transformée en long tube, mais entrouvrent seulement le bout des lèvres, par où ils forment un puissant mouvement d’aspiration de l’eau. Ils se nourrissent donc de plancton et de tous petits animaux : les syngnathiformes les repèrent grâce à leur excellente vision, attendent qu’ils s’approchent assez près et les aspirent d’un mouvement très rapide, comme à travers une paille. C’est pourquoi ces poissons n’ont pas besoin de savoir nager rapidement (contrairement aux « fusiliers », qui se nourrissent également de plancton), mais plutôt d’être discrets. En conséquence, ils ont adopté deux stratégies distinctes, qui constituent deux groupes morphologiques : la première consiste à avoir un corps très allongé en longueur, comme une baguette, pour être presque invisibles vus de face. C’est le cas des poissons-trompettes et des poissons-flûtes, que l’on rencontre fréquemment dans le lagon, ainsi que des « syngnathes », qui sont des « hippocampes droits », assez fréquents à Mayotte, mais difficiles à repérer. Les hippocampes proprement dits ont pour leur part sélectionné une autre forme, verticale, avec la tête redescendant avec un angle aigu (d’où leur ressemblance avec un cheval). Leur posture leur permet d’enrouler leur queue préhensile à un support, tout en restant assez mobiles pour s’approcher discrètement de leur cible en s’étirant lentement, assez dissimulés parmi les algues pour devenir totalement invisible à leurs proies et prédateurs – et aux baigneurs ! Peu capables de fuir face à un prédateur, les membres de la famille des hippocampes préfèrent donc la dissimulation à la fuite, et s’efforcent en dernier recours de se rendre immangeables : leur squelette est complété par une série d’anneaux osseux qui leur confèrent leur forme anguleuse, et les rend particulièrement coriace. Ils ont d’ailleurs peu de viande, et ne sont donc d’aucun intérêt alimentaire – il n’y a qu’en Asie qu’ils sont pêchés, où certaines traditions leurs attribuent des propriétés médicinales (peu convaincantes). 

 

C’est avant tout parce qu’ils sont discrets que l’on voit si rarement des hippocampes, alors qu’il y en a bien : on recense au moins une espèce sur l’île aux parfums (Acentronura tentaculata, qui n’est pas complètement enroulé). On trouve aussi plusieurs espèces de syngnathes et apparentés, qui appartiennent à la même famille des Syngnathidae. Mais comme ils préfèrent surtout les milieux riches en grosses algues, on en voit principalement dans les régions non coralliennes, et notamment en métropole (l’étang de Thau en est rempli) ou les autres régions tempérées : l’Australie du sud compte de nombreuses espèces particulièrement spectaculaires, comme les Phycodurus et Phyllopteryx, qui imitent des algues très complexes et colorées. 

 

Enfin, une des particularités biologiques les plus marquantes des hippocampes est leur « inversion reproductive » : contrairement à la plupart des vertébrés, c’est ici la femelle qui confie ses œufs au mâle, qui les prend dans sa poche ventrale, où il les féconde puis les « couve », et c’est lui qui accouchera quatre semaines plus tard, par contractions brutales, de minuscules hippocampes juvéniles : assister à cette scène très rare est un véritable rêve de plongeur. 

 

Alors, quand il vous semble sous l’eau qu’une algue vous regarde, ouvrez l’œil : si vous ne voyez pas l’hippocampe, lui vous voit peut-être… 

 

On trouve aussi plusieurs espèces de syngnathes et apparentés, qui appartiennent comme les hippocampes à la famille des Syngnathidae. CREDIT MARC ALLARIA

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