Les dernières sirènes mahoraises : les dugongs

L’un des animaux les plus mystérieux du lagon de Mayotte est le dugong. Il est devenu très rare de croiser ce mammifère marin à l’allure de sirène, et sans doute que les générations futures n’auront plus jamais cette chance. Présentation.

 

L’un des animaux les plus rares et les plus mystérieux du lagon de Mayotte est le dugong. Le dugong est un gros animal particulièrement placide, qui peut mesurer 4m de long pour un poids de 500kg (certains disent jusqu’à 900 !). De loin, il peut ressembler à une baleine grise, mais il est beaucoup plus lent, et ne “souffle” pas par l’évent : il n’a pas d’ailleurs d’évent mais juste deux grosses narines sur son nez en forme de gros tube. Il n’a pas non plus de nageoire dorsale, mais un dos lisse et arrondi, de couleur gris clair. Le corps des dugongs est allongé, avec une tête dans le prolongement du corps (sans cou), de tout petits yeux, un énorme ventre et des nageoires courtes et arrondies. Les jeunes individus ont parfois une silhouette presque humaine… Ils se nourrissent exclusivement d’herbes marines (un peu comme les tortues vertes), qu’ils broutent lentement sur le fond au moyen de leur gros museau. Ils en consomment jusqu’à 40kg par jour, ce qui permet de “tondre” ces prairies sous-marines et d’assurer la pousse d’une plus grande diversité d’espèces, qui sinon seraient étouffées par les herbes.

 

Les dugongs sont des mammifères marins : ils ont le sang chaud, respirent de l’air et allaitent leurs petits. Ce sont d’ailleurs les deux énormes mamelles de la femelle, très visibles en période d’allaitement même depuis la surface, qui ont souvent fait prendre ces gros animaux pour des femmes aquatiques, à l’origine de nombreuses légendes de sirènes, d’autant plus qu’il leur arrive de chanter d’une voix aiguë pour communiquer. Leur nom signifie d’ailleurs “dame de la mer” en malais. C’est à cette ressemblance que les dugongs (et les lamantins, leurs cousins de l’Atlantique) doivent le nom de leur ordre dans la classification des biologistes : les “siréniens”.

 

Les siréniens sont donc des mammifères retournés à la vie aquatique, comme les cétacés (dauphins et baleines) et les pinnipèdes (phoques, otaries et morses), auxquels ils ne sont pas apparentés. Les animaux les plus proches des siréniens sont, en dépit des apparences, les éléphants et les damans (petits animaux africains ressemblant à des rongeurs), qui ont suivi des trajectoires évolutives bien différentes, mais conservent certains traits communs – comme le nombre de vertèbres ou l’absence de clavicule. On distingue facilement les dugongs des pinnipèdes à plusieurs détails : ils sont plus massifs, plus lents, complètement dépourvus de poils à l’exception de quelques moustaches sur le museau, n’ont pas de pattes arrières mais une queue aplatie horizontalement et divisée en deux comme les dauphins, et sont incapables de sortir de l’eau (même l’accouchement a lieu dans le lagon).

 

Comme les tortues, les dugongs sont des animaux qui vivent au ralenti : les femelles ne sont matures qu’entre 10 et 17 ans, et ne donnent naissance qu’à un seul petit tous les 7 ans ! En contrepartie, dans la nature les adultes ont une espérance de vie très longue, dépassant 70 ans. Le renouvellement de leur population est donc extrêmement faible, et la pêche peut éradiquer complètement l’espèce en quelques années – ce fut le cas à l’île Maurice, mais aussi aux Maldives et en de nombreux autres endroits. Aujourd’hui, seules l’Australie et le Golfe Persique abritent encore des populations stables, et l’espèce est en voie d’extinction dans presque toutes les autres régions, dont le Canal du Mozambique. A Mayotte, l’espèce était encore abondante il y a quelques générations, mais la surpêche l’a décimée au XXe siècle, et le Parc Naturel Marin estime la population actuelle à moins d’une dizaine d’individus, dont très peu de femelles – ils sont formellement protégés depuis 1995. L’une des dernières femelles a été tuée en 2015 par un pêcheur, qui a écopé de trois mois de prison ferme et d’une lourde amende pour destruction volontaire d’espèce en voie de disparition. D’autres sont tués accidentellement, par des hélices de bateau, dans des filets, ou empoisonnés par la pollution.

 

Il est donc devenu très rare de croiser des dugongs à Mayotte, et sans doute que les générations futures n’auront plus jamais cette chance. Les derniers individus vivent dans les herbiers extérieurs de l’est de l’île, surtout au sud de Petite Terre. Le Parc Marin et certains réseaux comme TsiÔno effectuent un suivi de la population restante, en centralisant les observations des chanceux qui se retrouveraient face à ces fantastiques sirènes géantes.

Crédit photo Marc Allaria

 

La conservation du dugong est un grand enjeu scientifique et touristique, car bien peu de pays peuvent encore se vanter d’avoir ces animaux dans leurs eaux (pour la France, il n’y en a ni à la Réunion ni à Tahiti). Les dugongs étant plus faciles à observer que les baleines, ils fournissent aux touristes comme aux Mahorais une expérience inoubliable face à un animal de plusieurs centaines de kilos parfaitement pacifique, et au chant ensorcelant porteur de mille légendes marines.

 

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