L’un des animaux marins préférés des Mahorais et des touristes est la tortue de mer. Les tortues marines sont un groupe de tortues retournées à la vie marine il y a environ 130 millions d’années : elles ont conservé de leurs ancêtres terrestres le fait de respirer de l’air, et de pondre des œufs dans un terrier sur la terre ferme.
Deux espèces de tortues marines peuvent être facilement rencontrées à Mayotte : la première est la tortue verte. C’est une grosse tortue qui se nourrit principalement d’herbes marines, qu’on trouve sur les platiers peu profonds (par exemple à N’gouja), et dont elle limite la prolifération. On la reconnaît à ses formes arrondies, sa belle carapace avec de larges écailles montrant souvent une sorte de coucher de soleil flamboyant, sa peau écailleuse sur un fond blanc crème, et les deux longues écailles rousses entre les yeux. Ces tortues peuvent mesurer jusqu’à 1m50 de long pour 300kg, mais en moyenne les adultes mesurent environ 1m10. La seconde espèce est la tortue imbriquée, appelée ainsi en raison de sa carapace dont les écailles se chevauchent au lieu d’être simplement soudées. Cette espèce est plus petite (1m20 maximum pour 75kg, en moyenne 90cm), plus aplatie, et sa carapace est généralement recouverte d’algues qui lui donnent un aspect « sale ». Elle est surtout reconnaissable à son bec de faucon crochu, et aux quatre écailles frontales, dessinant une croix blanche reliant les deux yeux. Cette tortue se nourrit principalement d’animaux gélatineux, comme des éponges, mais aussi des méduses, des anémones ou des coraux mous. En conséquence, on la trouve moins souvent sur les platiers, mais plutôt sur les tombants et dans les zones riches en corail.
Ces deux espèces ont de nombreux points communs. Toutes deux sont des espèces à vie très lente : elles n’atteignent la maturité sexuelle qu’entre 10 à 15 ans, et sont sans doute capables de vivre plus d’un siècle. Les adultes n’ont généralement plus de prédateurs naturels (à part certains très gros requins), et leur population se renouvelle donc très lentement.
Après la fécondation, les tortues femelles montent sur la plage pour y creuser un terrier et y déposer leurs œufs (entre 20 et 250), ressemblant à des balles de ping-pong. 45 à 70 jours plus tard, les jeunes émergent du sable, à peine plus gros que des souris. Ils se précipitent vers la mer, en tâchant d’éviter les oiseaux, les crabes, mais aussi les chiens ou les humains qui essaient de les attraper. Une fois dans l’eau, s’ils échappent aux gros poissons voraces, ils nagent de toutes leurs forces vers le large, là où les prédateurs sont rares, et où ils pourront commencer leur croissance en se nourrissant de plancton et de méduses. Ce n’est qu’une fois armés d’une carapace plus solide qu’ils se rapprocheront progressivement des côtes, pour adopter leur régime définitif et commencer à songer à leur propre reproduction. Mais les risques sont nombreux : on estime que seule une tortue éclose sur mille atteint l’âge de la reproduction ! Et cette reproduction fatigue tellement les femelles qu’elles ne pondent qu’une fois tous les trois à six ans.
Ce mode de vie fondé sur des individus à croissance rapide et à faible taux de survie des jeunes, donc reposant essentiellement sur la longévité des adultes, rend les populations de tortues particulièrement fragiles. Car de nos jours, à cause des activités humaines, les tortues courent de nombreux risques même une fois adultes : elles peuvent être heurtées par des bateaux, s’étouffer en mangeant des sacs plastique qu’elles prennent pour des méduses, se faire prendre dans des filets dérivants où elles viennent se nourrir, et bien sûr elles sont victimes d’un braconnage féroce, pour leur viande ou pour leur carapace. La tortue imbriquée recycle les toxines des éponges dans ses chairs, ce qui la rend toxique : elle fut donc chassée surtout pour ses belles écailles, jusqu’en 1984 (la mémoire de cet artisanat est conservée au centre Kélonia à la Réunion). Seule la tortue verte est vraiment comestible, et son appellation vient d’ailleurs de la couleur de sa viande.
La tortue verte est encore très braconnée à Mayotte, notamment sur les plages isolées (comme à Saziley), où l’on trouve souvent des ossements sur le sable. Cette activité est punie par la loi, et les braconniers se punissent aussi eux-mêmes car manger un animal âgé de 70 ans, c’est aussi manger 70 ans de toxines et de métaux lourds accumulés dans sa viande. Personne ne mange normalement d’animaux aussi vieux : alors que les vaches peuvent vivre plus de 30 ans, les vaches à viande sont presque toujours abattues avant 10 ans, car au-delà elles deviennent progressivement immangeables et surtout trop chargée en toxines et métaux lourds. Alors autant laisser ces vénérables tortues dans la mer, où l’on peut aller admirer leur nage placide, dans le respect mutuel.
Dr. Frédéric Ducarme (Muséum National d’Histoire Naturelle).
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