« Nous sommes en train de réimaginer le modèle de transport maritime »

Suite de notre longue interview de Ben Issa Ousseni, le président du conseil départemental, ce mercredi 12 avril. Cette fois-ci, il aborde les questions liées au transport, un sujet majeur sur l’île. Objet de nombreuses critiques, il plaide pour la réorganisation du STM (service des transports maritimes).

 

Flash Infos : Comment voyez-vous la réorganisation du STM (service des transports maritimes) ? Quid des projets de cale sèche, de l’entretien des navires et les autorisations ?

Ben Issa Ousseni : Merci d’avoir posé cette question. Depuis notre arrivée à la tête du conseil départemental de Mayotte, nous avons décidé de revoir le fonctionnement global de la structure STM. Les barges Polé et Karihani étaient parties en carénage et nous sont revenues en bon état. Nous espérons pouvoir les remettre très prochainement dans les circuits avec les agréments des autorités compétentes. Il nous faut reconnaître que cette étape peut être très longue, certaines barges datent, même si de temps en temps, nous les utilisons pour un dépannage. Nous sommes en train de réorganiser tout le STM, de réimaginer le modèle de transport maritime à Mayotte, peut-être en changeant complètement le statut actuel de cette structure qui est un service, une régie, pour passer directement à une direction de la collectivité départementale, ou même créer une entreprise publique locale dédiée à la gestion de tous les problèmes de mobilité à Mayotte. Pour le moment, on est plutôt sur la trajectoire d’une création d’une entreprise publique locale qui se chargerait de tous les problèmes de mobilité à Mayotte et non pas uniquement la liaison entre Petite-Terre et Grande-Terre. Cela pourrait concerner notamment les nouvelles lignes maritimes que nous souhaitons créer pour desservir l’ensemble de l’île. Elle pourrait également intégrer les problèmes de transport aérien, de transport par câbles et donc l’ensemble des problématiques liées aux transports. Les derniers échanges que nous avons eus à Paris avec les ministères concernés nous laissent passer que l’État abonde dans ce sens. Les changements au sein du STM se feront progressivement. Nous avançons sur le système de la billetterie qui passe du papier à la carte électronique dès ce mois d’avril. Enfin, nous préparons le chantier de réparation des quais Issoufali et Ballou en coordination avec les services de l’Etat pour le second semestre. Vous le voyez, nous avons pris ce dossier à bras-le-corps, et je veux au passage saluer les agents du STM qui assurent un service indispensable de continuité territoriale sans véritable équivalent.

Voir le dossier Mayotte Hebdo sur les transports et le ras-le-bol des usagers de la barge

F.I. : Il est beaucoup question de trafic de tickets de transports dans les barges, qui sont réutilisés jusqu’à trois fois parfois. Comment envisagez-vous de mettre un terme à cela ?

B.I.O. : Cette affaire fait l’objet d’une double enquête en ce moment, l’une administrative menée en interne par nos services, une autre au pénale puisque ces faits ont été dénoncé publiquement par l’ancien directeur technique du STM. Avec la fin des tickets papiers, nous allons bientôt installer une barrière et obliger l’usager à scanner lui-même sa carte avant de passer dans un sas qui lui permettra d’accéder à la salle d’attente. Tous ces changements vont intervenir dans une échéance de six mois, ce qui nous amène vers septembre 2023. Cette restructuration du STM est très compliquée parce que nous sommes confrontés à la difficulté de convaincre les agents de la nécessité du changement. J’ai bon espoir que l’organisme réussira à se mettre en place dans les délais impartis. Vous savez j’y crois fortement à cette réorganisation et à ses retombées positives au point que j’ai fait inscrire six millions d’euros de recettes cette année.

F.I. : Vous avez évoqué publiquement la possibilité d’une gratuité de la barge pour les piétons, est-ce toujours d’actualité ou est-ce une promesse politique qui n’aura pas d’effets ?

B.I.O. : Je m’inscris toujours dans cette logique de gratuité pour les piétons, comme je l’ai toujours dit, ce n’est pas sur ce point que le département fera de vraies économies. Ce que je voudrais à travers cette mesure, c’est que le jeune Mahorais ne soit pas freiné dans sa recherche d’emploi, selon qu’il soit d’un côté ou de l’autre de notre archipel. S’il estime avoir des chances d’embauche dans le sud alors qu’il vient de Labattoir qu’il puisse s’y rendre sans difficulté, de même qu’un jeune de Kani-Kéli qui veut aller à Pamandzi pour trouver du travail. Lorsque j’étais jeune en métropole, la région Picardie nous facilitait la mobilité pour aller rechercher un emploi. J’ai bénéficié de beaucoup de facilités pour faire mes recherches d’emploi et de formation. C’est ce modèle dont j’ai pu profiter que je souhaite voir s’instaurer à Mayotte dès que possible au profit des Mahoraises et des Mahorais. Je rappelle ici que plusieurs délibérations ont été prises par l’assemblée départementale autorisant les étudiants à prendre gratuitement la barge, et c’est la même chose pour les toutes les associations, y compris sportives ou culturelles devant se rendre en compétition ou représentation en Petite-Terre comme en Grande-Terre. Cependant, il est important de retenir que le Département ne pourra pas autoriser la gratuité des barges pour les piétons sans l’aval des deux maires de Petite-Terre, du préfet et du commandant de la gendarmerie. J’ai déjà eu plusieurs réunions de travail et des échanges avec les maires en question et la gendarmerie. Pour le moment, je suis confronté à une absence de consensus sur le sujet, certains estimant que cette gratuité de la traversée par barge est de nature à favoriser l’exportation et l’accentuation de la délinquance en Petite-Terre. Mais nous poursuivons nos échanges et dès que j’obtiendrai le consensus souhaité, le Département autorisera cette mesure.

F.I. : Vous vous plaignez du coût du transport scolaire (46 millions d’euros). Comment allez-vous convaincre les intercommunalités d’assumer cette compétence ?

B.I.O. : Le coût du transport scolaire est exorbitant. Notre priorité en 2023, c’est d’assurer la continuité du service pour éviter de se trouver dans la contrainte de laisser les enfants à la maison. Oui, nous avons enclenché un travail avec les intercommunalités parce qu’elles perçoivent une cotisation patronale sur la mobilité depuis trois ans, notamment la Cadema (communauté d’agglomération Dembéni-Mamoudzou), qui perçoit à elle seule environ un 1% de cet impôt. L’objectif visé est que ces institutions assument leur compétence sur le transport scolaire le plus rapidement possible. Certaines de ces entités ont déjà délibéré en faveur de la récupération de leurs compétences en la matière. Outre la Cadema, c’est aussi le cas de la Petite-Terre et de la communauté de communes du Centre-Ouest (3CO), me semble-t-il. Mais je dirais que nous connaissons très bien nos amis qui ne manqueront pas de demander un accompagnement du Département dans la prise en charge de cette responsabilité.

F.I. : Quelle position avez-vous sur la question de la piste longue, notamment son lieu d’implantation, Pamandzi ou M’tsangamouji ?

B.I.O. : Vous posez la question au conseiller départemental ou au président du Département ? Plus sérieusement, ma réponse est simple : les Mahorais ont suffisamment attendu ce projet pour dire aujourd’hui que le plus important est qu’il aboutisse dans les meilleurs délais. Je ne pense pas que relancer le débat sur la localisation soit la priorité, l’enjeu étant d’abord et avant tout d’aboutir. Qu’il faille tout étudier oui, mais pas à n’importe quel prix ni dans n’importe quel délai !

F.I. : Face à la cherté des billets d’avion, l’opposition vous presse, ainsi qu’une partie de la population, de prendre part au projet de Zena Airlines. N’avez-vous pas peur de louper le train ?

B.I.O. : Mettons-nous d’accord sur une chose, le Département n’accompagne pas des personnes ni des idées, il accompagne seulement des projets travaillés et structurés. C’est ce que j’attends des promoteurs de Zena Airlines. J’ai entendu beaucoup de choses là-dessus, mais à l’heure où nous sommes, je n’ai encore jamais reçu de dossier relatif à ce projet sur mon bureau. Certes, j’ai rencontré les porteurs de projet, ils m’ont fait une démonstration du bienfondé de cette compagnie, mais cela s’arrête là. Personnellement, je suis convaincu que Mayotte a besoin de disposer de sa propre compagnie aérienne, c’est une réelle nécessité. Nous sommes en train de travailler sur la mise en place d’une société publique locale pour gérer toutes ces problématiques de transport, j’ai moi-même commencé à prospecter pour avoir un spécialiste de l’aérien ici dans l’île afin de travailler sur une création de compagnie aérienne locale. Est-ce que ce sera Zena ou une autre ? Je ne saurai le dire pour le moment. J’estime que les jeunes à l’origine de ce projet sont très dynamiques, mais ils n’ont pas encore réussi à lui donner suffisamment de maturité pour qu’il soit choisi par le Département. En revanche, si tout est fait en ce sens, il va de soi que nous les épaulerons. Toutefois, je ne pourrai pas attendre indéfiniment car cela fait presque quatre années que j’entends parler de leur projet. En 2021, le collectif des femmes leaders est même venu perturber une réunion de travail que nous avions à l’hôtel de ville de Mamoudzou. Ce qui m’importe actuellement, c’est que Mayotte puisse se doter d’une compagnie aérienne avant la fin de ma mandature. C’est dans cette optique que je suis déjà entré en contact avec certains porteurs de projets. C’est la maturité du projet retenu qui déterminera le statut juridique final.

F.I. : Avez-vous eu l’occasion d’en discuter avec la direction générale d’Air France ?

B.I.O. : Non, pas directement au niveau d’Air France, nous travaillons plutôt avec différents ministères dont Bercy, le ministère des Transports et celui des Outre-mer. En novembre dernier, j’ai soumis la problématique au chef de l’État que j’ai rencontré à Paris. Des navettes de courriers ont déjà eu lieu et nous mettons une pression maximale pour l’ouverture d’une ligne sur Mayotte. Maintenant, nous pouvons nous atteler à ouvrir des discussions avec la compagnie nationale.

F.I. : Monsieur le président, pour clore ce chapitre des transports, quand est-ce que Mayotte pourra disposer de navettes maritimes ou un téléphérique pour réduire les problèmes de circulation ?

B.I.O. : Les déplacements sont notre priorité. Nous disposerons des navettes maritimes dans ce mandat en 2026 (N.D.L.R. alors que la Cadema souhaite les lancer début 2024). Je préfère annoncer des dates que l’on sait tenables que de devoir, tous les ans, repousser l’échéance d’un dossier qui est complexe. Notre avant-projet sur les gares maritimes d’Illoni et de Longoni est en cours de finalisation avec les services de l’État. Les autorisations réglementaires seront obtenues d’ici un an et s’ensuivront les travaux. Simultanément, nous allons lancer l’appel d’offres du futur opérateur qui devra, lui, investir dans une flotte de navettes, adaptées à notre lagon et aux contraintes de nombres de passagers. En parallèle, nous étudions la mise en place d’un service de transport maritime du fret en provenance de Longoni pour désengorger du trafic poids lourds les traversées de Koungou et Kawéni. Bien sûr, il existe un travail en vue d’implanter le téléphérique à Mayotte. À mon grand étonnement, cela coûte très cher, en tout cas bien au-delà de l’idée que je me faisais au départ. Pour seulement 45 kilomètres de câble, les estimations de financement atteignent déjà 1,2 milliards d’euros d’investissement. Vous comprenez bien que lorsque le Département est engagé dans le financement de la piste longue, ma réaction a été immédiatement de solliciter l’accompagnement de nos partenaires de l’État une fois que ce sujet a été posé sur la table.

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