Le gouvernement comorien appelle les autorités françaises à privilégier plutôt le dialogue multilatéral avec les pays dont les concitoyens se trouvent en situation irrégulière à Mayotte, au lieu de maintenir son projet d’expulsions massives. Celui-ci risque de déstabiliser la région selon lui.
C’est la première réaction officielle du gouvernement des Comores sur l’opération Wuambushu. Après plus d’un mois de tergiversations, Beit-Salam s’est exprimé, ce lundi 10 avril, sur ce projet chapeauté par le ministre français de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, visant à détruire les bidonvilles et à chasser les sans-papiers résidant à Mayotte. Jusqu’à présent, tout porte à croire que l’État français compte bien respecter son calendrier. Les gendarmes attendus sur l’île devraient commencer les expulsions à partir du 21 avril prochain. « Ainsi, soucieux d’entretenir la bonne qualité des liens séculaires qui unissent les Comores et la France, et de contribuer à la préservation de la paix, la stabilité dans la région de l’océan Indien et sur le continent africain, le gouvernement comorien interpelle sur le danger d’une telle opération et demande aux autorités françaises d’y renoncer », demande toutefois un communiqué de la présidence comorienne, publié en début de soirée. Depuis que la presse a révélé la préparation de cette opération de décasage de masse, porté par Gérald Darmanin, seule la société civile comorienne était montée au créneau pour la dénoncer, en raison surtout des conséquences humanitaires qu’elle risque d’engendrer.
Visite annulée du ministre des Armées
Le président Azali Assoumani, qui depuis février dernier a pris la tête de l’Union Africaine, ne souhaitait pas s’exprimer en se basant sur des informations relayées uniquement par voie de presse soutenait il y a un mois, le porte-parole du gouvernement comorien, Houmed Msaidie. Ce dernier, disait attendre d’abord des actions sur place avant de se prononcer car les deux pays n’avaient à l’époque pas discuté du sujet. Est-ce désormais chose faite ? Peut-être, puisque le 18 mars, soit quelques jours après cette déclaration des autorités comoriennes, le président français, Emmanuel Macron s’était entretenu avec son homologue comorien et a avait exprimé son inquiétude sur « la situation sécuritaire et sociale à Mayotte », rapportait un communiqué de l’Elysée. Aussi, pas plus tard que le 6 avril, une délégation conjointe française de haut niveau conduite par les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères, a effectué à Moroni une visite de plusieurs jours. Selon les quelques informations laconiques publiées à l’issue d’une rencontre qui a eu lieu au ministère comorien des Affaires étrangères, les discussions portaient sur la sécurité maritime, les migrations régionales et les liens avec Mayotte. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, devait lui aussi se déplacer aux Comores, le 9 avril, avant que sa visite ne soit annulée à la dernière minute, sans explications.
Le dialogue d’abord
Il faut dire qu’à trois semaines du début de Wuambushu, ce ballet diplomatique ne fait que renforcer la thèse selon laquelle Paris et Moroni échangent sur ce projet d’envergure qui divise encore les différents collectifs citoyens à Mayotte dont certains s’affrontent par des communiqués interposés. « Depuis l’annonce de cette opération, les associations de la société civile aussi bien comoriennes que françaises pour ne citer que celles-là ont, dans leur diversité manifesté leur opposition à ce projet, dénonçant non seulement les conditions de sa préparation mais aussi les séquelles qu’elle laissera et le précédant qu’elle créera », souligne, la présidence comorienne qui suggère aux autorités françaises de privilégier le dialogue et la concertation, non seulement avec l’Union des Comores , mais aussi avec les autres pays dont les concitoyens se trouveraient illégalement à Mayotte. Tout cela, dans le but de « trouver ensemble, les réponses humanitaires de relogement et de formation nécessaires, mais aussi celles de régularisation, pour ceux dont le statut le nécessite ».
Dans son communiqué de deux pages, Beit-Salam estime par ailleurs qu’une telle « action spectaculaire », pour paraphraser Gérald Darmanin, basée sur des destructions de bidonvilles et d’expulsions d’habitants de Mayotte jugés en situation irrégulière ne doit pas aller dans le sens de la déstabilisation de toute une région à un moment où la communauté internationale s’emploie à consolider la paix et la stabilité. Devons-nous nous attendre à une rupture des relations diplomatiques ? Les chances d’arriver à un tel stade sont minces, temporisent certains observateurs. Ceux-ci, restent convaincus que si Azali Assoumani a bel et bien bénéficié du soutien de Paris pour accéder à l’Union Africaine, il ne prendra jamais une décision qui risquerait de fâcher les autorités françaises.
Du côté de la société civile, l’on invite à présent le gouvernement à durcir le ton en refusant par exemple d’accueillir les reconduites qui souvent sont débarqués à Anjouan, comme ce fut le cas en 2018. Si le comité Maore envisage de saisir les Nations Unies, le collectif « Stop opération Wuambushu », lui, a annoncé une série de manifestations prévues courant avril dans plusieurs villes françaises et à l’île de la Réunion. A Moroni, un rassemblement citoyen aura lieu samedi prochain.