Une trentaine de professionnels du secteur se sont réunis, ce mercredi matin, au siège de la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM) pour faire émerger un projet de cluster « emploi/recrutement », conventionné par le Conseil départemental.
« Comment attirer et pérenniser les talents à Mayotte ? » C’était en somme la trame des échanges tenus, ce mercredi matin, au siège de la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte. Une trentaine de professionnels du recrutement – directeurs d’agences spécialisées et responsables des ressources humaines de grands groupes et institutions – s’y sont réunis pour discuter de l’émergence d’un cluster « Emploi/Recrutement », épaulés par Alain Tubiana, un expert en la matière (voir encadré).
L’outil cluster vise à faire travailler de concert des concurrents d’un même secteur au profit de tous. Pour les participants, l’objectif de la matinée était donc d’identifier leurs problématiques communes pour in fine établir un plan d’action concret. « Pas un seul directeur de ressources humaines de mon réseau me dit recruter facilement ! » Intéressant écho à la table ronde organisée fin janvier sur la question de l’attractivité du territoire, le constat dressé en début d’atelier par Namoure Zidini, directeur du cabinet de conseil Maestria Recrutement, plante le décor. Dans la salle, tous acquiescent et pointent du doigt le manque d’attractivité du territoire (insécurité, manque d’infrastructures, de loisirs, etc.) comme frein principal au recrutement de personnels qualifiés. « Les postes sont attirants. La qualité des missions proposées dans les différentes organisations – publiques comme privées – n’ont rien à envier à ce que l’on peut trouver ailleurs, que ce soit en métropole ou à la Réunion. Donc, on trouve des personnes intéressées par le challenge professionnel, mais qui ne franchissent pas à cause de la mauvaise publicité dont souffre Mayotte », argue le directeur.
« Rapatrier les Mahorais »
Pour autant, les acteurs du recrutement n’auront que peu d’impact sur l’attractivité du territoire. « Il s’agit de jouer sur les leviers que vous contrôlez », rappelle Alain Tubiana. Après une bonne heure de brainstorming collectif, plusieurs enjeux ont été définis par les participants, tels que « la compétence et la formation », « le rapatriement des Mahorais partis se former ailleurs », « l’attraction des talents », ou encore « la lutte contre le turnover ». Ces problématiques identifiées doivent cadrer le plan d’action du futur cluster de l’emploi et du recrutement, qui sera établi et structuré au cours de réunions ultérieures, prévues en avril. « Je suis convaincu que cette initiative va être utile pour Mayotte. Beaucoup d’acteurs ont d’excellentes idées, mais qui sont difficiles à mettre en œuvre individuellement. En se structurant de la sorte, nous allons pouvoir déployer ces solutions plus facilement », estime Namoure Zidini en fin d’atelier.
Trois questions à …
Alain Tubiana, consultant expert en management de cluster.
F.I. : En quoi l’outil cluster est-il pertinent pour le territoire de Mayotte ?
Alain Tubiana : Le cluster est pertinent pour tous les territoires en réalité ! L’intelligence collaborative existe dans toutes sortes d’économies, qu’elles soient extrêmement avancées comme aux USA, ou en voie de développement. Ce qui est spécifique à Mayotte, c’est que depuis la départementalisation, on observe une sorte de rattrapage à marche forcée, qui contraint fortement la société et a un impact fort sur les activités économiques. La mise en réseau d’acteurs d’un même secteur permet de résoudre plus vite les problèmes. Deuxièmement, le cluster permet de faire grandir les acteurs ensemble. Or, à Mayotte, beaucoup d’activités ne sont que très faiblement structurées. Prenons le cas du cluster cosmétique. Nous avions, au départ, des femmes qui, en intelligence collective, se réunissaient pour acheter à Dubaï des marchandises qu’elles rassemblaient dans un container, qu’elles faisaient venir à Mayotte et qu’elles vendaient ensuite de manière informelle. Ces produits n’étaient pas conformes à la réglementation européenne. La mise en place du cluster a attiré un certain nombre de ces négociantes, et leur a permis de prendre conscience que la réglementation allait s’appliquer un jour ou l’autre à Mayotte. Elles ont compris que leur activité était en danger, et que la seule façon de continuer à travailler dans ce domaine serait de devenir elles-mêmes productrices. Aujourd’hui, certaines ont créé de petites entreprises qui commencent à fabriquer des produits cosmétiques mahorais, et portent un projet d’atelier de transformation collectif.
F.I. : Le territoire de Mayotte n’est pas extensible. Une fois qu’un cluster aura permis de structurer une filière ou un secteur donné, ne risque-t-on pas d’arriver à un point où – concurrence oblige – les différents acteurs commenceront à se tirer dans les pattes ?
A.T. : Non. Le phénomène classique dans les clusters qui fonctionnent bien, c’est qu’ils se projettent vers l’extérieur. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, je suis intervenu sur un cluster qui s’était structuré autour des déchets. Au départ, n’en faisaient partie que les gens impliqués dans la collecte. Ils étaient un peu statiques, avaient accompli tout ce qu’ils avaient à faire dans leur champ d’actions. Ils se sont alors élargis à l’ensemble de la filière, ont doublé le nombre d’adhérents. Ça a fait appel d’air, et de nouveaux projets ont émergé. En fin de compte, ils se sont rendu compte que le territoire de la Nouvelle-Calédonie était trop petit pour eux, et ont exporté leur savoir-faire dans les autres îles du Pacifique.
F.I. : Donc le cluster serait un bon outil pour intégrer Mayotte dans l’économie de la grande région océan Indien/Afrique de l’Est ?
A.T. : Absolument ! On peut faire des choses incroyables, mais cela prend du temps. Aujourd’hui, on plante les graines.