Les microplastiques dans le viseur du Parc marin

En cette saison des pluies – qui draine de nombreux détritus dans notre lagon – le Parc naturel marin de Mayotte alerte sur la question des déchets plastiques, et notamment des plus petits d’entre eux. Depuis novembre dernier et jusqu’en juin prochain, le parc finance le projet Plasma, qui vise à quantifier le problème de la pollution aux microplastiques du lagon de Mayotte, et à en déterminer l’origine. Une équipe pluridisciplinaire de scientifiques est mobilisée, épaulée par des chercheurs en herbe, élèves de deux établissements scolaires de l’île.

A Mayotte, faute de tout-à-l’égout, nous avons le tout-au-lagon ! En cette période de saison des pluies, les déchets sont immanquablement ravinés par les fortes précipitations tout droit dans la mer qui nous entoure. Si les bouteilles en plastique, ou les incontournables savates « White Dove » se repèrent facilement – flottant à la surface – d’autres détritus, plus petits, plus discrets, soulèvent une inquiétude particulière. Les microparticules de plastiques, ou « microplastiques » sont issus de la dégradation d’objets plus gros. « Compte tenu de leur taille comparable à celle des organismes du plancton, les microplastiques sont ingérés de façon accidentelle par le zooplancton, et de nombreux animaux marins consommateurs de plancton. […] Le plancton étant la base de la chaîne alimentaire, les conséquences peuvent être dramatiques pour l’ensemble des espèces : troubles physiologiques, altération de la productivité de ces animaux et in fine de l’efficacité de la chaîne alimentaire », renseigne le Parc naturel marin de Mayotte dans un communiqué, précisant que ces perturbations peuvent entraîner « une désoxygénation des océans ». Gloups !

En réponse, et dans la lignée de la création – en 2017 – d’un Observatoire des déchets marins, le parc finance, à hauteur de 60.000 euros, le projet Plasma (« pollution aux microplastiques de lagon de Mayotte »), qui réunit des chercheurs en physique, chimie et sociologie autour de la problématique. « Le projet a deux grands objectifs », renseigne Cristèle Chevalier, chercheur en océanographie physique à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), et spécialisée dans la modélisation des courants marins dans les lagons. « Dans un premier temps, il s’agit de mieux comprendre la dynamique des microplastiques dans le lagon : de savoir en quelle quantité ils se trouvent, et comment ils circulent. Ensuite, nous chercherons à déterminer leur origine. Proviennent-ils uniquement du littoral mahorais, ou entrent-ils aussi dans le lagon depuis l’océan ? », indique-t-elle.

Localiser les zones polluées dans le lagon

Pour tenter de répondre à ces questions, la scientifique développe un modèle de courantologie à l’échelle du lagon de Mayotte. « On a besoin de comprendre la dynamique des courants car ce sont eux qui transportent les objets : le plancton qui est incapable de nager, mais aussi les déchets ! Donc on calcule les courants et après on essaye de voir comment se déplacent les microplastiques avec ces courants », détaille Cristèle Chevalier. « Cela ressemble un peu à de la météorologie. Le modèle repose sur tout un système d’équations qui déterminent les mouvements marins en fonction des marées, des vents, de la houle. Cela représente plusieurs dizaines de milliers de lignes de code ! », renseigne-t-elle. Son modèle met ainsi en évidence des « zones de concentration », où s’accumulent les microplastiques, et des « zones de dispersion », où ils ne restent pas. Par exemple, la baie de Bouéni retiendrait les déchets microplastiques, tandis qu’ils se disperseraient plus rapidement dans la zone de Longoni. Des prélèvements seront effectués en mer pour valider le modèle. « Dans une logique pluridisciplinaire, nous rencontrerons également les professionnels du lagon : les plongeurs, les pêcheurs… pour qu’ils nous détaillent les courants qu’ils observent au quotidien », précise Mathieu Leborgne, enseignant-chercheur de sociologie, également impliqué dans le projet.

Dans un second temps, Plasma s’intéresse au continuum terre-mer, c’est à dire « à la dynamique qu’il y a entre certains bassins versants de rivières et le lagon, qui est le réceptacle de tout ce qui se trouve en amont », indique le sociologue. « Pour cela, on a déployé un dispositif de science participative ». Deux classes – respectivement du collège de Passamaïnty et du lycée des Lumières de Kaweni – ont été mobilisées. Les chercheurs en herbe, « à la fois ethnologues et scientifiques », ont ainsi effectué des prélèvements d’eau des rivières pour en déterminer la teneur en microplastiques, et ont mis en œuvre un protocole d’enquête ethnographique. « Pendant deux heures, nous avons arpenté le cours de la rivière. Les élèves devaient relever sur une carte l’ensemble des pratiques observées en lien avec la rivière. Qui s’en sert ? Pour quoi faire ? », explique le sociologue. Cette observation de terrain doit aider à déterminer la source des microplastiques trouvées dans les rivières, et drainés dans notre lagon : le linge des lavandières, les pneus qui servent de barrages informels sont autant de pistes à explorer. Un questionnaire sur les rapports locaux aux déchets est en cours de passation par les élèves auprès de leurs familles et amis. « Pour nous, scientifiques, cette démarche est d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de collecter des données issues de milieux qui nous sont normalement très difficiles d’accès », avance Mathieu Leborgne. Les élèves présenteront le fruit de leur travail au mois de juin prochain. D’un point de vue recherche, les modèles de courantologie et d’analyse de dispersion des particules devraient être terminés d’ici l’année prochaine. « C’est le temps qu’il faut compter pour l’analyse des échantillons et prélèvements », précise Cristèle Chevalier. « Ensuite, on écrira des articles scientifiques dessus ! »

Quelle suite concrète pour les conclusions scientifiques qui seront établies ? « Le projet Plasma est un outil qui doit nous permettre de faire émerger des solutions concrètes. Une fois que l’on saura combien de microplastiques nous avons, à quels endroits, et que nous aurons compris d’où ils proviennent, alors nous pourrons alerter les collectivités locales pour qu’elles prennent des mesures », détaille Clément Lelabousse, chargé de mission qualité de l’eau au Parc naturel marin de Mayotte, qui se projette déjà sur un « Plasma 2 ».

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