En soumettant ce texte au parlement, où il détient plus que la majorité — tous les députés sauf deux élus, sont issus du parti présidentiel —, le gouvernement d’Azali Assoumani veut s’assurer que son projet passe comme une lettre à la poste, malgré les conséquences. Ses opposants eux dénoncent déjà une réforme discriminatoire visant à écarter les binationaux, installés principalement en France.
Ce sera certainement l’un des projets de loi qui fera beaucoup parler dans les semaines à venir. Même si, personne ne doute de son adoption puisque tous les députés sont issus de la Convention pour le renouveau des Comores (CRC), le parti présidentiel, sauf deux parlementaires. En effet, une réforme des modalités de l’élection du président de la République proposée par le gouvernement d’Azali Assoumani commence déjà à susciter des grincements de dents. Le texte qui se trouve déjà à l’Assemblée nationale est composé de plusieurs volets. Mais il y en a trois qui attirent l’attention, notamment, celui qui concerne les binationaux. Selon l’article 7, si un candidat est titulaire d’une ou plusieurs nationalités autre que la nationalité comorienne, il doit alors renoncer à toutes les autres nationalités avant de briguer la présidence. Une proposition qui est aux antipodes des réformes issues du dialogue inter-comorien, organisé fin février 2022, mais boycotté par l’opposition. Puisque les participants avaient plutôt suggéré que le président élu abandonne ses autres nationalités avant son investiture. Mais, le pouvoir a donc décidé de passer outre l’esprit de l’article. Ce qui ne manque pas de faire réagir la classe politique comorienne. « S’il y a un lien de causalité entre la bi-nationalité et le sous-développement de notre pays, alors il faut s’empresser d’adopter ce texte », a réagi avec ironie, l’ancien ministre de la justice, Fahmi Said Ibrahim.
Pas de lien entre binationalité et sous-développement
Ce dernier se dit étonné d’une telle proposition et rappelle que la faillite sociale et économique de l’archipel n’est pas liée au fait qu’un président soit titulaire ou non d’une autre nationalité. « C’est un message négatif que nous risquons d’envoyer à la moitié des Comoriens qui sont des binationaux. La diaspora comorienne et ses enfants recèlent des potentialités pour les cinquantes prochaines années et l’apport qui est et continuera à l’être pour le développement des Comores », alerte cet ancien chef de la diplomatie comorienne. Il soulignera qu’en dehors d’Ahmed Abdallah [1978-1989], aucun autre président, d’Ali Soilihi jusqu’à Azali en passant par Sambi ou Ikililou ne possédait une autre nationalité. Pourtant, le pays n’a pas décollé.
L’ancien gouverneur de la Grande Comore, Mouigni Baraka Said Soilihi, a également condamné cette continuité de l’équipe d’Azali, qui au lieu de faire en sorte à ce que la confiance s’installe avec la société civile et la classe politique a préféré poursuivre la même attitude. « On s’attendait à un nouvel élan, une reprise du dialogue, un cadre de concertation sur des sujets comme celui-ci. Mais ce n’est pas le cas. Je me demande pourquoi se donner du mal à organiser des soi-disant élections si les règles du jeu restent les mêmes », tacle l’opposant, dont l’entrevue avec Azali Assoumani, début septembre lui avait valu une salve de critiques. Le porte-parole du gouvernement a laissé entendre que Moroni a pris cette décision parce qu’aucun pays n’autorisait les binationaux à briguer la présidence. Ce qui est faux.
Franco-comoriens dans le viseur
Des observateurs y voient uniquement une mesure visant la diaspora comorienne installée en France, estimée à 300.000 personnes dont le poids économique n’est plus à démontrer : de 2019 à 2020, les fonds envoyés par les expatriés ont augmenté de 32%, selon les données de la banque centrale des Comores. C’est en France où est établie la plus importante opposition qui dénonce à coup de manifestations la politique dictatoriale d’Azali Assoumani, dont elle ne reconnait pas la légitimité, depuis sa réélection controversée de 2019. Ce projet, réitère Said Larifou, n’est autre qu’une provocation, une loi malveillante, méprisante à l’encontre des centaines des Franco-comoriens qui tiennent l’économie des Comores et le rayonnement sportif, scientifique, ou politique. « Ils ne sont pas responsables de la corruption, des détournements des deniers publics. Au contraire, l’avenir du pays est dans le métissage. Personne ne peut empêcher les enfants comoriens nés en France de revendiquer et d’exercer leur citoyenneté politique », a poursuivi le leader du parti Ridja. La condition de résidence imposée par le projet de loi est raciste et inutile, a-t-il soutenu. Son article 7 exige que le candidat réside sur le territoire douze mois avant l’élection. « Dès lors que les Comoriens de l’étranger ont droit au vote, ils ont ipso facto éligibles sans condition de résidence », estime Me Larifou. Pour rappel, jusqu’à maintenant, la diaspora comorienne ne vote toujours pas à l’instar des autres diasporas, notamment africaines et ne dispose pas non plus d’un siège au parlement.
Parrainage et 2024
Le projet de loi inclut également l’instauration de parrainages. Un système nouveau qui est loin de faire l’unanimité. L’article 8, consacré aux conditions d’éligibilité, précise que « nul ne peut briguer la magistrature suprême, s’il ne parvient pas à avoir les signatures de 3.000 électeurs, répartis proportionnellement au nombre d’électeurs inscrits par île. Soit donc 0.9% du nombre total d’électeurs. Le dernier recensement réalisé en 2020 faisait état de 318.432 électeurs sur l’ensemble du territoire. Si par exemple les électeurs d’une île représentent 14% de l’effectif global, pour candidater, il faut recueillir ce même pourcentage dans l’île en question. Un électeur peut parrainer deux candidats et pas plus. Dans le continent, le Sénégal reste le dernier pays à adopter en 2019 une loi qui exige un parrainage, afin de limiter les candidatures « fantaisistes ». Là-bas, avec 300 partis politiques, la mesure peut paraître logique. Mais quid des Comores ? L’opinion publique pense seulement que la présidence d’Azali Assoumani a juste fait du copié-collé sans tenir compte de la réalité locale pour s’assurer une réélection en 2024. Notons que la mesure est souvent qualifiée d’antidémocratique du fait qu’elle empêche des citoyens de briguer la présidence, un droit pourtant garanti par la constitution.