Visite ministérielle, Issa Issa Abdou : « Au-delà des annonces, nous attendons de voir du concret ! »

Élu MDM en charge du social au Département sous la précédente mandature, Issa Issa Abdou réagit aux annonces du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, sur la création d’un centre éducatif fermé pour mineurs délinquants et la possible révision du droit du sol à Mayotte. Au-delà des paroles, il attend du gouvernement des actes concrets pour juguler la question migratoire sur notre territoire.

Flash Info : Quelle réaction vous inspire cette visite à Mayotte de trois ministres, avec à leur tête, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer ?

Issa Issa Abdou : Ma première réaction est qu’il faut rester objectif et républicain, saluer cette visite d’un ministre d’État et non des moindres, puisque Gérald Darmanin est numéro deux du gouvernement, premier flic de France, à la fois ministre de l’Intérieur, mais aussi des Outre-mer, c’est lui qui porte la question si sensible de la sécurité de notre pays, et Dieu seul sait combien ce sujet est d’actualité à Mayotte. Il n’est pas venu seul, et ils ont tous les trois eut le courage de rester trois jours sur ce territoire. Il y a eu des annonces, nous pouvons ne pas être d’accord avec celles-ci, nous y reviendrons.

Ma deuxième réaction porte sur le fond de ces mesures annoncées, en particulier celle du centre éducatif fermé. Une mesure portée par le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti qui n’a pas été de ce voyage. À mes yeux, cette mesure répond réellement à une attente des Mahorais, je l’ai défendu à l’occasion du mandat que j’ai exercé au conseil départemental de même que dans lors de ma candidature aux dernières élections législatives. Là-dessus, je suis comme tout le monde, j’attends de voir sa concrétisation au-delà des effets d’annonce, qu’il y ait des précisions, des contours, des décrets d’applications, le lieu et la date d’implantation, etc. Ce sont là des questions qui intéressent l’ensemble de la population à Mayotte.

FI : Vous qui avez présidé aux affaires sociales sous la précédente mandature au Département, que pensez-vous de cette convention sur la question de l’enfance à Mayotte ?

I.I.A. : J’ai noté que la secrétaire d’État Charlotte Caubel a signé une convention sur la stratégie nationale sur la question de l’enfance. Je ne cache pas ma déception sur ce positionnement car il ne résout pas le problème. Il y a quelques années, nous avons déjà refusé cela à Adrien Taquet, qui avait précédemment la charge de ce portefeuille, nous avions fait une contre-proposition qui était plus précise sur les objectifs à atteindre sachant qu’il n’est pas possible de résoudre d’un trait tous les problèmes liés à l’enfance sur ce territoire. Qu’on ne dise pas qu’il y a 3.000 mineurs non accompagnés lorsqu’il y en a le double, chiffres à l’appui.

Je souhaiterai que l’État prenne en compte la réalité de Mayotte et surtout qu’on laisse une possibilité pour revoir nécessairement ces chiffres à la hausse dans l’avenir. À l’époque, cela nous avait été refusé, donc nous avions clairement dit que nous ne refusions pas de signer cette convention, mais que nous attendions un geste de Paris sur la prise en compte des chiffres réels afin de pouvoir avancer. Là visiblement, ils ont profité d’un vide, que sais-je, pour signer cette convention qui ne répond en rien aux problématiques du territoire. Pour dire un mot sur la question du droit du sol, je dirai que sur la forme on pourrait se réjouir de l’intention manifestée par Gérald Darmanin, mais que sur le fond il n’y a que du papier.

FI : Avez-vous le sentiment que le ministre va réussir à dépasser les barrières parlementaires sur cette question ô combien sensible à l’échelle nationale ?

I.I.A. : C’est pour cela que je suis très méfiant ! Je ne me fais pas le porte-parole de cette majorité, loin s’en faut, mais je pense que l’annonce est bonne. Maintenant, il faut aller au-delà. De quoi s’agit-il ? Pour éclairer tous nos concitoyens, il convient de rappeler que ce droit du sol dispose qu’un enfant né sur ce territoire devient citoyen français à sa majorité. Cela était valable jusqu’aux amendements « Tani » (du nom de l’actuel sénateur de Mayotte) issus de la loi sur l’immigration, lesquels imposent désormais que l’un des deux parents doit obligatoirement justifier d’un séjour régulier d’au moins trois mois sur le territoire. C’est toujours cela (à prendre), mais nous voyons bien que nous sommes loin du compte. Or, la situation de Mayotte veut que 50% de la population soit d’origine étrangère, ce sont plus de 10.000 naissances au CHM, en attendant les chiffres de 2022… Nous ne pouvons plus continuer comme ça !

Véritablement, nous ne pouvons qu’être d’accord avec la démarche du ministre, mais il faut d’une part la concrétiser, et surtout dire qu’elle n’est pas suffisante et que tous les autres paramètres soient mis à contribution, au premier rang desquels la coopération régionale. Les accords qui ont été signés, notamment en 2019, sont tout sauf respectés. Et puis, il faut que plus largement, chacun dans la chaîne joue sa partition pour que nous sortions vraiment de cette situation. J’attends donc de voir : nous pouvons saluer les annonces, mais je reste dubitatif quant à leur faisabilité, tant les réticences au niveau de Paris sont légion. En même temps, je dirai que quand bien même on nous annoncerait demain la fin du droit du sol à Mayotte, il faudra que nous soyons inventifs pour tenir compte de la singularité de ce territoire pour traiter cette question sous tous ses angles afin d’être efficaces demain.

FI : Beaucoup vous reconnaissent une action positive dans le social lors de votre passage au Département. Partagez-vous personnellement cette opinion ?

I.I.A. : Je reste très humble sur ce que nous avons fait au conseil départemental en matière social parce qu’en vérité, nous n’avons fait que notre devoir et c’est un sujet très sensible sur lequel il faut se garder de se jeter des fleurs. Et puis à en croire les autres, nous avons été battus aux élections parce que nous n’avons pas bien travaillé… Mais j’aimerai dire quand même que notre action a démarré par le début : en un mot, nous avons eu des schémas pour avancer dans chaque matière, je faisais feu de tout bois avec la permission du président Soibahaddine Ibrahim Ramadani, pour que le social prenne vraiment toute sa place, la première.

Sous notre mandature, certains ont trouvé que nous en faisions trop, alors que nous estimons que nous ne faisions pas assez. Je rappelle ici que le social est la première des compétences d’un Département, or nous avons l’air de le découvrir. Donc, le schéma à la fois pour les personnes âgées, la personne handicapée, l’enfance, une ambition pour le RSA, j’entends par là un public à insérer, etc. À défaut d’un alignement sur le droit commun, nous avons obtenu pour l’allocation pour le handicap et celle pour les personnes âgées. Le social, c’est une délégation qui est très large au-delà des domaines que je viens de citer et si nous l’avons fait en début de mandat c’est parce que cela nous permettait d’aller réclamer à qui de droit les compensations qui allaient avec, grosses difficultés que nous avions, notamment au niveau de la PMI (protection maternelle et infantile) et de l’aide sociale à l’enfance qui avaient été transférées au Département respectivement en 2004 et 2006 sans compensations. C’était contre l’esprit de la loi et toutes les mandatures successives se sont bagarrées sans succès.

FI : Comment avez-vous fait pour réussir là où vos prédécesseurs ont échoué ?

I.I.A. : Nous, nous les avons eues parce que, peut-être, nous avons commencé par le début. Donc, nous avons pu récupérer 120 millions d’euros pour la PMI et un peu moins de 100 millions d’euros pour l’aide sociale à l’enfance, ce qui nous a permis d’assoir vraiment la politique d’aide à l’enfance, de développer des structures inédites jusque-là. Je pense aux lieux de vie et d’accueil, aux maisons de l’enfance à caractère social, à tout ce que nous avons mis en place avec le tissu associatif pour permettre que soient exercées des actions en milieu ouvert, à cet appel à projets qui nous a permis de donner la possibilité à des familles de retrouver leurs parents aux Comores et dans la région.

Cela nous a également permis d’avoir un vrai personnel formé dans les PMI et reprendre la mission qui était la nôtre en matière de suivi des grossesses qui était jusque-là assurée par le CHM. Figurez-vous que des Mahoraises étaient obligées d’aller faire un suivi de grossesse à La Réunion et en métropole alors même que nous avions des PMI ici. Aujourd’hui, cela reste encore une réalité, mais ça l’est beaucoup moins. C’est une lacune que nous avons tenté de combler avec la construction de nouvelles PMI. On nous l’a reproché alors que c’était une nécessité pour nos compatriotes et non pas pour les étrangères comme nous entendons parfois.

FI : Revenons sur un point important, sujet à une grande interrogation auprès de la population de cette île : l’usage trop exagéré de cette expression d’appel d’air venu des Comores et d’ailleurs.

I.I.A. : Cet argument m’énerve au plus haut point. À chaque fois que l’État ne veut pas faire, ou ne veut pas développer ce territoire, il brandit cette histoire d’appel d’air en direction des Comores. La vérité c’est que le Quai d’Orsay est très ambigu sur la question de Mayotte. Il joue un double jeu qui consiste à donner des gages au pays voisins, cela s’appelle apparemment de la diplomatie. Et en parallèle, on dit aux Mahorais qu’on ne développe pas votre île pour éviter de provoquer un appel d’air en provenance des Comores. C’est une aberration, il faut en finir avec cela. L’une des choses qui m’a choqué à l’occasion de cette visite ministérielle et qui n’a pas été relevé par beaucoup de gens, c’est Gérald Darmanin répondant à une question sur les titres de séjour territorialisés made in Mayotte. Il utilise ce même argument parisien repris par les gouvernements de droite comme de gauche qui consiste à dire que les Comoriens ne demandent qu’à aller en métropole et que si la porte de ces documents n’est pas limitée, nous ne pourrons plus contrôler l’immigration. Ce n’est pas la vérité et c’est surtout pour le coup, faire de Mayotte un département à part quand cela n’arrange personne à Paris. Cela n’est pas acceptable !

Nous sommes un département de droit commun, il faut que nous fassions l’alignement dans tous les domaines, y compris pour le développement économique. C’est comme cela que nous parviendrons à être un département comme les autres. Donc pour moi, cet argument ne tient pas debout, mais alors pas du tout ! Cela est valable également pour la question de l’enfance que nous avons évoqué tout à l’heure. Je suis de ceux qui estiment très injuste le procès d’intention que nous faisons aux associations qui s’occupe de l’enfance, ou de l’aide sociale à l’enfance, parce que la question de l’immigration qui en est la source n’est pas bien gérée ou pas du tout gérée par l’État en termes de contrôle ou de fermeture des frontières. Résultat des courses, nous nous retrouvons avec des adultes dont il faut gérer la problématique des titres de séjours territorialisés, mais avec des mineurs dont il faut régler la question de la prise en charge.

FI : Que répondre alors à ceux qui dénoncent l’action de ces associations comme favorisant justement un afflux d’immigrés clandestins et par ricochet le département de Mayotte ?

I.I.A. : Heureusement que l’aide à l’enfance joue sa partition ! Je suis Mahorais et fier de l’être, mais je m’insurge contre ce débat qui consiste à dire que les services sociaux, par leurs actions, favorisent l’immigration clandestine. C’est tellement malhonnête sur le plan intellectuel parce qu’en vérité, ces associations ne sont pas en charge de l’immigration. C’est comme si on indexait un médecin parce qu’il soigne un patient en situation irrégulière… À chacun son rôle, le Département ou les associations qui conventionnent avec lui jouent leur partition, à charge pour l’État de faire son job de contrôle des frontières pour veiller à ce qu’il n’y ait pas d’avantages d’immigrés clandestins.

Heureusement également que l’action sociale est menée parce qu’en attendant, ces enfants sont présents sur le territoire, que nous le voulions ou non, ce n’est pas la faute d’un tel ou de tel autre. La question à poser à ce moment-là c’est « qu’est-ce que nous faisons ? ». Personnellement, je pense que nous pouvons stopper l’hémorragie en faisant en sorte de prendre en charge cet enfant-là afin qu’il ne nous coupe pas les routes, qu’il ne nous caillasse pas, qu’il ne nous pourrisse pas la vie si j’ose dire, et qu’il ne devienne un délinquant avec les conséquences que nous connaissons tous. De manière concomitante, il faut dire à l’État de faire jouer la solidarité nationale pour que ces enfants soient répartis sur l’ensemble du territoire national, exactement comme le prévoit l’esprit de la circulaire Taubira de 2013. Cela permet au territoire qui souffre le plus de respirer un peu.

FI : Le ministre a donné la tranche d’âges des délinquants que la loi n’autorise pas d’emprisonner. Une question fondamentale s’impose : n’avons-nous pas simplement raté quelque chose dans le rythme de la construction de la départementalisation de Mayotte ?

I.I.A. : La question est pertinente et je vous remercie de l’avoir posé. Juste d’abord réagir sur ce qu’a dit Gérald Darmanin, il fait écho à l’ordonnance de 1945 laquelle a justifié la création de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). De quoi s’agit-il ? C’est considérer qu’un enfant, parce qu’il est mineur, ne doit pas aller en taule, mais doit être considéré comme un être qu’il faut protéger. Moi je me suis toujours battu mordicus pour considérer un enfant délinquant tel qu’il est et non comme un mineur qu’il faut à tout prix protéger. Cela suppose de revoir cette ordonnance de 1945. Un travail a été réalisé il y a un an sous l’impulsion de l’actuel Garde des Sceaux, mais pas assez à mon sens. Nous avons accéléré la démarche administrative pour que les choses aillent vite, mais cela reste toujours au bout du compte un mineur qui ne doit pas être emprisonné.

Je pense que dans le cas de Mayotte, il faut être catégorique, vigoureux et radical. Pardon mais lorsqu’un mineur commet un crime, il reste un criminel. S’il tue, il reste un meurtrier ! Il faut trouver les voies et les moyens juridiques pour le condamner et là c’est cette ordonnance qu’il faut absolument retoucher. Au sujet de l’idée du ministre de l’Intérieur de ce centre de redressement, il faut dire que cela concerne d’abord la PJJ et non l‘aide sociale à l’enfance. La différence entre les deux c’est que la PJJ s’adresse aux jeunes majeurs ou mineurs qui ont fait l’objet d’une mesure judiciaire sanctionnée par un jugement alors que l’aide sociale à l’enfance ne s’inscrit pas dans cet esprit. Je dirai même qu’adosser progressivement le centre de redressement éducatif fermé à l’établissement de Mromouhou de quelque 2.000 places est une mesure nécessaire.

Il faut saluer l’annonce du ministre de l’Intérieur sur ce centre avec un encadrement militaire via une convention. Il faut encourager cette initiative, mais j’estime qu’il faut aller plus loin. Au-delà de cela ou à côté de cela, il faut que les actes commis par ces jeunes puissent être juridiquement condamnés, même si cela suppose que nous soyons obligés d’abaisser l’âge minimum légal si nécessaire.

FI : Selon vous, qu’est-ce que nous avons raté dans cette trajectoire ?

I.I.A. : Dans le cas de Mayotte, c’est quelque chose que nous pouvons regarder de très près, mais il faudrait en même temps que les autres paramètres soient développés. Je pense à une question cruciale qui est celle de la parentalité et par extension la question de notre société mahoraise et par ricochet le droit commun. Étions-nous réellement bien préparés à cette départementalisation ? Et c’est même la Cours des comptes qui le dit dans son rapport de 2016 : tout n’a pas été bien préparé dans cette évolution institutionnelle, y compris sur le développement humain. N’avons-nous pas cassé brutalement une société ? Il faut que les choses soient très claires, je suis un départementaliste convaincu, il n’y a pas débat là- dessus. Mais, je dis simplement que nous aurions pu mieux préparer la départementalisation à la fois sur le plan financier et économique, mais aussi sur le plan de l’humain, du Mahorais. La question des cadis en est une, la question des écoles coraniques, non pas sur le plan religieux strict mais plutôt dans la prise en charge de l’enfant dans son temps périscolaire qui est un sujet d’actualité, également.

FI : Que faire pour corriger le tir selon vous ?

I.I.A. : Nous voyons bien que si nous sommes obligés de nous pencher dessus c’est qu’il y a quelque chose qui a failli. Les premiers éducateurs d’un enfant ce sont ses parents. Que s’est-il passé ? Qu’avons-nous loupé ? Que font les parents lorsque des enfants de 11 à 14 ans sont dehors à trois heures du matin pour s’opposer aux forces de l’ordre ? La facilité pour nous c’est de dire que ce sont des enfants étrangers, mais l’honnêteté intellectuelle nous impose de reconnaître qu’il y a aussi nos enfants à nous, Mahorais, et nous les connaissons tous. Il faut scinder les choses en deux… La question de l’immigration et des enfants étrangers nous l’avons déjà évoqué tout à l’heure, je ne reviens pas là-dessus. S’agissant de nos enfants à nous, que font-ils dans la rue à cette heure-là ?

L’éducation et la parentalité sont l’une des mesures fortes mise en place au Département avec l’appui des associations parentales et des centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active. Ce n’est pas suffisant, il faut aller plus loin. Malheureusement, être parent ne se décrète pas, il faut donc vraiment provoquer cette prise de conscience collective. Et au-delà de cela, je pense qu’il faut s’interroger aussi sur le développement de notre société et aussi sur le développement de Mayotte tout court, dans un savant mélange entre droit commun et us et coutumes. Il faut trouver un juste équilibre de manière à ne pas perdre notre âme, car c’est bien de cela dont il s’agit.

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