Cette campagne s’inscrit dans un contexte de recrudescence du braconnage de tortues. Dimanche dernier encore, l’association des Naturalistes ont retrouvé le cadavre d’un chélonien à Saziley. Les méthodes des braconniers sont toujours les mêmes rappelle l’organisme Oulanga na Nyamba : « ils opèrent la nuit. Les tortues qui s’apprêtaient à pondre sont retournées sur le dos pour éviter leur fuite vers la mer. Les hommes procèdent tortue par tortue. Leurs gestes sont rapides et ciblés. Pour éviter les coups de nageoires lors du découpage, ils commencent par sectionner les ligaments de l’épaule. La tortue cesse de se débattre et subit son sort. La gorge est tranchée d’un coup sec et l’animal se vide de son sang. Les hommes activent leurs couteaux pour ouvrir la carapace telle une boite de conserve. Une fois la carapace ouverte, la chair et les organes sont soigneusement prélevés et découpés en morceaux avant d’être collectés dans des sacs de riz ».
Les chiffres publiés tous les ans dans les rapports Réseau Mahorais des Mammifères marins et Tortues marines (Remmat) sont alarmants selon les associations. En 2014, près de 350 cas de tortues marines mortes ont été recensés par le réseau, dont plus de 80 % concernent des tortues braconnées. Le braconnage reste la première cause de mortalité des tortues marines à Mayotte. « Et encore, les résultats du Remmat sont loin d’être exhaustifs et ne dévoilent que la partie émergée de l’iceberg : les braconniers veillent à effacer les traces de leurs actes illégaux en faisant disparaître les restes des cadavres en mer ou sous le sable », souligne les associations.
« Des moyens de répression insuffisants »
Sur les 140 plages de pontes de Mayotte, une cinquantaine est touchée par le braconnage. Les plages concernées sont surtout les plus isolées et difficiles d’accès. Les hauts-lieux de braconnage se concentrent dans les 4 coins de l’île, avec des plages particulièrement affectées dans le Sud (plages de Charifou), dans le Nord et notamment sur l’îlot Mtsamboro, dans le nord-ouest (plage d’Apondra, Acoua) et sur Petite-Terre (plage de Papani). De plus, l’existence à Mayotte de braconnage en mer à l’aide de harpons, de filets et à la ligne est bien connue, mais l’ampleur de ce phénomène est difficile a évaluer vu que les carcasses disparaissent en mer. Assurer une présence régulière sur les différents sites nécessiterait donc des moyens humains et une organisation importante. A l’heure actuelle, plusieurs acteurs de l’environnement mènent des actions anti-braconnage : la brigade nature de Mayotte, renforcée ponctuellement par la brigade nature de l’océan Indien, le Conseil départemental, le Parc naturel marin et la douane. Les actions, souvent conjointes entre plusieurs services, se traduisent par des opérations de dissuasion et de répression sur les plages. « Malheureusement, face à l’ampleur de la problématique, le constat général reste celui d’un fort manque de moyens humains et techniques », regrette la structure.
Pourquoi l’espèce est chassée et quels sont les risques?
La viande de tortues est actuellement vendue illégalement entre 10 et 15 euros le kilo. Si le braconnage continue, c’est qu’il y a de la demande. Mais qui sont les consommateurs ? « A Mayotte, la viande de tortue se mange le plus souvent en «tchak tchak » lors de rencontres plutôt festives et souvent arrosées entre hommes. Il ne s’agit donc pas, dans la plupart des cas, d’un repas de subsistance lié à une pénurie alimentaire », affirme l’association Oulanga na Nyamba. « De plus, selon l’école de l’imam Shanfi les gibiers et les animaux amphibies sont interdits à la consommation », ajoute-t-elle. Les braconniers risquent des amendes élevées et des séjours en prison mais les peines maximales sont malheureusement rarement atteintes ce qui pose le problème d’une réponse adaptée de la justice.
« Au-delà de cela, manger de la viande de tortue n’est pas sans danger pour la santé », préviennent les défenseurs des tortues. L’espèce ciblée par le braconnage est, à part quelques rares exceptions, la tortue verte (Chelonia mydas). Selon les idées reçues, la tortue verte est comestible, contrairement à la tortue imbriquée (Erythmochelys imbricata), dont la viande peut rendre malade. La vérité scientifique derrière ces suppositions est que les deux espèces de tortues peuvent accumuler une toxine provenant de leur nourriture (chelonitoxine), qui peut, selon la concentration dans la chair de l’animal, avoir des conséquences graves, et mêmes mortelles pour le consommateur, à en croire l’association. Dans la région, et notamment aux Comores et à Madagascar, plusieurs cas de mortalité suite à l’ingestion de tortue marine ont été relevés comme en décembre dernier à Nosy Be.
Une tortue verte adulte pèse autour de 100 kg et la viande d’un animal dépecé peut valoir quelques centaines d’euros. Ce calcul peut attirer des personnes qui ont besoin d’argent rapidement. Mais, il s’agit d’une vision à court terme qui, à long terme, peut avoir des conséquences socio-économiques néfastes en nuisant au potentiel de développement touristique de l’île. Une femelle adulte revient pondre tous les 2 à 3 ans à Mayotte, pour donner la vie à environ 500 petits (5 à 7 pontes d’une centaine d’oeufs), dont 1% survivront à l’âge adulte. Une fois atteints la maturité sexuelle, les descendantes de cette femelle, reviendront elles aussi pondre à Mayotte. « A long terme, une tortue vivante a donc une valeur plus importante qu’une tortue tuée parce qu’elle assure, tout au long de sa vie, la pérennisation de la présence de tortues à Mayotte », conclut l’organisme.
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