Récemment promu général, le commandant du groupement de la gendarmerie de Mayotte, Olivier Capelle, a accepté de faire le point sur l’activité des militaires sur l’île. Alors que les renforts envoyés il y a deux mois sont repartis ce dimanche, l’ex-colonel ne désespère pas qu’ils soient « pérennes » à l’avenir.
Flash Infos : Félicitations pour votre promotion. Qu’est-ce que cela va changer ?
Olivier Capelle : Merci beaucoup. Alors, sur les fonctions au quotidien, ça ne va rien changer. Ça changera, pour moi, dans les perspectives de poste après Mayotte. Ça me permettra certainement, en tout cas je l’espère, d’exercer des hautes responsabilités au sein de la gendarmerie, sur des grands commandements de régions, de zones de défense ou au sein de cabinets.
FI : Votre mandat est de trois ans, renouvelable possiblement d’un an. Quels sont vos souhaits ?
O.C. : On va déjà partir sur trois ans. Le mandat initial convient de remplir cette fonction de commandant de l’été 2020 à celui de 2023. Oui, c’est prorogeable au moins d’un an, mais pas au-delà. En outre-mer, les commandants de gendarmerie font rarement plus de quatre ans. Pour l’instant, on est plutôt sur une sortie en 2023.
FI : Comment voyez-vous votre bilan après deux ans ?
O.C. : C’est une excellente question. Je vais parler plutôt des hommes et des femmes avec lequel je travaille. En deux ans, j’ai un peu chaussé les bottes de mon prédécesseur (N.D.L.R. le général Philippe Leclercq). Il avait augmenté de près de 80% les effectifs de la gendarmerie entre 2017 et 2020. Je poursuis ces efforts en essayant de structurer un petit peu mieux certaines unités, qui manquaient de niveau de commandement intermédiaire. C’était l’objectif en créant le groupement de Koungou. Ce sera le cas cet été avec la création d’une brigade de recherches au sein de cette compagnie. On professionnalise le Psig (peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie), on a réaménagé le service de gendarmerie mobile en Petite-Terre. Après les fondations faites par mon prédécesseur, on a essayé de monter les murs le plus proprement possible pour que l’édifice tienne bien. Sur la troisième année, ce sera plutôt de la prospective, nous devons essayer de dégager un schéma directeur de la gendarmerie à quinze, vingt ans.
FI : Quelle est la différence entre une brigade et une section de recherches comme celle de Mamoudzou ?
O.C. : Justement parce qu’il n’y a pas de BR, la section brasse un spectre de missions et de procédures qui sont un peu larges. On souhaiterait la recentrer sur son cœur de métier, les affaires criminelles ou de délits complexes comme ceux concernant la délinquance financière. La brigade, qui devrait être complète à la fin de l’année, pourra traiter davantage de la délinquance qui ne peut pas se faire sur du moyen terme, mais de façon plus poussée que les brigades territoriales. Ce sont les stupéfiants, des violences intrafamiliales un peu complexes, des affaires d’agression sexuelle ou potentiellement du vol à main armée. Ce sont des affaires qui engorgent la SR alors qu’ils ne sont que 20 à la constituer. Il nous faut donc ce niveau intermédiaire.
FI : Ces deux derniers mois, la situation sur l’île semble apaisée. Est-ce une vue de l’esprit ?
O.C. : Non, ce n’est pas une vue de l’esprit. C’est vrai que c’est plutôt calme. Je ne dis pas qu’il n’y a pas quelques résurgences, comme mercredi à Labattoir. Mais globalement, c’est très calme. On ne connaît plus de troubles dans les villages comme ceux de Combani et Miréréni. On a eu l’avantage d’avoir un escadron qui nous a quand même bien aidés depuis février.
FI : En parlant de l’escadron « Mike », celui-ci est parti ce dimanche. Avez-vous toujours besoin de renforts ?
O.C. : On va essayer de pérenniser cet escadron supplémentaire. La relève n’est pas encore planifiée. On ne doute pas qu’on puisse obtenir celle-ci au regard des problématiques que l’on rencontre, notamment en termes d’ordre public, de lutte contre l’immigration ou de sécurité au quotidien. C’est un choix politique, donc il y a des choses qui ne m’appartiennent pas. Vous savez que nous sommes en période de transition. Il faudra attendre que le dispositif gouvernemental se stabilise pour que l’on puisse remettre le sujet sur la table.
FI : Cet escadron devait soulager des forces de l’ordre durement sollicitées. Savez-vous combien avez-vous eu de blessés depuis le début de l’année ?
O.C. : Sur les quatre derniers mois, nous avons 32 blessés, dont 28 gendarmes mobiles et quatre départementaux. Il y a eu parfois des blessures assez graves comme celle d’un adjudant lors d’un contrôle d’étrangers en situation irrégulière sur un chantier. Il est passé à travers les infrastructures du chantier et est tombé lourdement au sol, entraînant de graves blessures au dos et aux jambes. Cela reste rare, mais on va dire que c’est régulier.
FI : Vous avez évoqué Combani. Comment la situation s’est-elle arrangée ?
O.C. : Je pense qu’il y a eu un effort de tous les acteurs de ces deux villages. Il y en a un également de notre côté pour être plus présent et pas uniquement que sur le volet répressif, mais en allant davantage au contact de la population. Il y a eu un effort de la commune avec une police municipale mieux structurée avec des agents originaires de deux villages. Il y a aussi une responsabilisation des adultes, qui à mon sens se sont davantage engagés auprès des jeunes pour les tenir et jouer leur rôle d’autorité parentale. Les associations se sont également mobilisées. Il y a une vraie concorde qui se dégage et donc moins de faits. La mairie de Tsingoni est également l’une des plus entreprenantes avec des remontées d’informations.
FI : Les vagues d’arrestations ont sans doute eu l’effet escompté.
O.C. : Il y a eu des affaires de police judiciaire qui ont été marquantes, c’est certain. C’est important de marquer les esprits avec ces opérations. Mais j’ai tendance à dire que sur du long terme, ça ne suffit pas. Si on n’a pas un effort de l’ensemble des acteurs pour prévenir la délinquance et que chacun joue son rôle, vous aurez beau faire toutes les interpellations possibles, les bandes se reconstitueront et ça repartira.
FI : Avez-vous remarqué une augmentation d’un certain type de délits ?
O.C. : On a vu une augmentation de ce qu’on appelle les atteintes volontaires à l’intégrité physique. Ça regroupe tout ce qui est coups et blessures volontaires. On s’aperçoit qu’on a de plus en plus de violences de type non crapuleuse. C’est-à-dire des violences et des affrontements entre protagonistes qui ne sont là que pour s’affronter ou se porter des coups, pas nécessairement pour voler un téléphone ou des effets personnels. C’est souvent le fait de violences exercées entre jeunes au sein d’établissements scolaires, à proximité de transports scolaires. Ce n’est pas forcément de grandes interruptions volontaires de travail (ITT), mais avec quelques traumatismes malgré tout. A côté de ça, j’ai des indicateurs régulièrement en baisse. C’est le cas des vols, comme ceux liés aux véhicules.
FI : Nous étions récemment à Kahani où les violences sont plus rares (voir FI du vendredi 29 avril). Comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?
O.C. : L’escadron supplémentaire nous a fait beaucoup de bien, on a pu concentrer davantage d’effectif. Quoi qu’on en dise, cette dernière permet de dissuader la commission des infractions.
FI : Au contraire, Petite-Terre est plus agitée ces derniers temps. De quelle manière, gérez-vous cette situation ?
O.C. : On essaye d’abord de s’interposer entre groupes de jeunes pour éviter que les affrontements souvent sous la forme de jets de projectiles ne se dégradent au point où ils en viennent à la confrontation directe. On a aussi géré cette situation par la réitération d’opérations anti-délinquance sur les secteurs avec des contrôles à l’entrée du lycée, une présence plus massive entre la barge et le lycée, et un contrôle plus systématique à l’entrée de la barge afin d’éviter que les jeunes de Grande-Terre ne viennent commettre des violences. Le lycée de Pamandzi accueille parfois des jeunes qui exportent sur Petite-Terre leurs conflits de quartiers.
FI : Quelle est la difficulté à interpeller les auteurs de violences ?
O.C. : Elle est double, mais elle se résorbe quasiment d’elle-même. A l’instant T, notre priorité est de faire cesser les troubles. On privilégiera toujours la possibilité de disperser les groupes et d’aller ensuite les interpeller, plutôt que d’aller les interpeller en se faisant aspirer dans des secteurs où les gendarmes se mettraient en danger. On a toujours en tête l’idée de le faire en sécurité. La preuve, 48 heures après, on a été cherché trois auteurs majeurs de ces faits, identifiés à l’aide d’images vidéo. L’autre difficulté, ce sont les renseignements qui nous permettent de prévenir ces troubles. Ce n’est la qualité du renseignement qui est bien là, mais le délai de transmission qui est parfois trop court.
Ving-et-un ans de gendarmerie avant d’arriver au grade de général
Agé de 49 ans et père de trois enfants, Olivier Capelle s’est vu récemment promu au grade de général. Le commandant de la gendarmerie de Mayotte depuis le 3 août 2020 a intégré la gendarmerie en 2001. Avant, l’homme a fait ses classes à l’armée, en passant notamment par le 152e régiment d’infanterie de Colmar, au cours des quatre années précédentes.
Pendant son parcours, il a été un commandant d’escadron de gendarmerie mobile en région parisienne, puis de la compagnie de gendarmerie départementale dans le Lot-et-Garonne. Affecté à la direction générale, de 2009 à 2013, il était chef de section doctrine ordre public. Ensuite, Il a été contrôleur de gestion, puis adjoint du chef des opérations de la région Alsace. Après un bref retour sur les bancs de l’École de guerre à l’École militaire de Paris en 2016 et 2017, il a pris la tête du groupement de gendarmerie mobile à Dijon (Côte-d’Or). Il a participé à toutes sortes d’opérations, que ce soient le démantèlement de la Zad de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), les manifestations de Gilets Jaunes et plusieurs déplacements en province du président de la République.